Voigtland, Christophe Mauberret, exporevue, magazine, art vivant et actualité
Voigtland, Christophe Mauberret
 
Le pays
Utopie
Réalité
Vocabulaire
Le jeu
L'infini
Photographie

Christophe Mauberret est facétieux ; vaudrait-il mieux dire taquin ?

Le pays
Voigtland, une consonance germanique, un nom de république d'opérette ou de dictature de bande dessinée. Nous sommes donc bien dans le domaine de la fiction, et ce sont bien des photographies qui nous sont montrées, des documents !

Utopie
Voigtland est un pays rêvé.
Par le photographe d'abord, qui, selon certaines pulsions, va saisir tel ou tel aspect de ce monde onirique, fait de souvenirs (hors nostalgie), d'impressions, de bonheurs, de peines, une vie en somme. Par nous ensuite, projetant nos fantasmes sur ces images colorées qui remplissent totalement notre champ visuel. Mais bien que notre regard soit plein de chaque image, celles-ci ne sont pas envahissantes, elles apparaissent un peu éthérées — comme dans certains songes : un léger flou, un léger flottement, non pas systématique, mais suffisamment présent pour suggérer que, vraiment, ce n'est pas là la réalité.

Réalité
Rendre l'utopie réelle. Traduire la réalité en utopie. Belle gageure que Christophe Mauberret réalise ici avec ces grands tirages photographiques, représentant une réalité souvent bien triviale — paysages, scènes de foule…
Et pourtant, chaque fois, il nous mène par le bout du nez. Ces grandes photographies, de style documentaire, apparemment banales mais d'une composition savante, où l'on reconnaît une grande qualité de coloriste, généralement construite sur une palette classique, dominante colorée et contrepoint, ouvrent sur un univers où la réalité est d'un autre ordre : onirique et critique. Cette ouverture est rendue possible par une clef que nous livre Mauberret : un simple substantif précédé de son article défini.

Vocabulaire
Le chemin. Le drapeau. Le plaisir. Le genêt. Autant d'entrée pour accéder au Voigtland, par une porte défini, mais pour entrer dans notre propre Voigtland, non celui de Christophe Mauberret. Jamais ! Il n'indique jamais : "Mon désir" ou "Mon chemin". Jamais non plus il n'indique "un babouin" ou "un drapeau" : l'indéfini est diffus, seul le défini accède à l'aspect, soi disant, universel de la photographie.
Murmurés, ces intitulés forment la litanie du temps qui passe en Voigtland. Les mots donnent la mesure temporelle que les photographies ont perdue, temps figés du souvenir.

Le jeu
Christophe Mauberret est facétieux, plutôt taquin. Il joue avec nos projections fantasmatiques, il joue avec les images et les mots. Le jeu est une des motivation profonde de l'auteur, particulièrement sa part d'ambiguïté : jeu de séduction ou jeu de dupes ; les deux peut-être ?
La marque de fabrique de ce jeu est un jeu elle-même : un jeu de taquin vert et blanc, ces petits jeux où l'on pousse horizontalement ou verticalement des pièces afin de reconstruire une suite logique ou une image, sur lequel s'inscrit Voigtland.
Les photographies sont autant de pièces d'un taquin géant, le Voigtland, et qui se combinent pour former cette utopie. Jeu à multiples combinaisons : en effet, seize photographies combinées donnent 2 092 279 000 000 (deux mille milliard deux cent soixante dix-neuf millions) figures possibles, autant dire une infinité pour notre entendement.
L'infini

Mauberret se joue de nous : seize photographies et c'est déjà l'infini. Pourtant, ce qu'il expose est clos, maîtrisé : apparemment fini. Ce sont des photographies en couleurs, de format carré, de grandes dimensions (pas immense cependant, toujours envisageable).
Mais, insidieux, un vertige nous prend : il s'agit bien d'un ensemble défini, mais dont ni la limite interne (combinaison), ni la limite externe (accroissement possible) ne sont fixées par l'auteur. Infinie pluralité de l'œuvre photographique de Mauberret.

Photographie
Ea res est.

Xavier Martel
Paris, octobre 2002

Voigtland, Christophe Mauberret, du 13 septembre au 19 octobre 2002
galerie Anne Barrault, 22 rue Saint Claude, 75003 Paris
téléphone : 00 33 1 44 78 91 67,
www.galerieannebarrault.com

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