Vlaminck, un instinct fauve
 
Hassan Musa
Hassan Musa
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Vlaminck

Maurice de Vlaminck (1876-1958), Autoportrait, 1911, huile sur toile, Paris,
Centre Georges Pompidou, Musée National d'Art Moderne Centre de création industrielle,
Donation Louise et Michel Leiris, 1984

 
 
Fidèle à sa politique d'expositions alternant la Renaissance et l'art moderne, le Musée du Luxembourg à Paris organise une rétrospective flatteuse de Maurice de Vlaminck (1876-1958). Flatteuse car les œuvres regroupées ne concernent que les années 1900-1915, c'est-à-dire la période la plus féconde du peintre. Des dizaines de toiles et quelques céramiques retracent cet itinéraire esthétique quelque peu chaotique, oscillant entre la ligne et la couleur, la nature et la peinture, le beau et le réel.

Cette image d'iconoclaste fuyant les musées, pour mieux exprimer sur la toile son interprétation du monde, Vlaminck l'entretint délibérément et largement. Loin du raffinement d'un Matisse, Vlaminck jouait le fauve mal dégrossi, vrai dandy autant qu'artiste maudit. Cette réputation, comme son association systématique au plus estimé Derain lui faisant ombrage et la mauvaise fortune critique de sa fin de carrière, expliquent le relatif dédain pour son œuvre : un artiste boudé tant par le grand public que les historiens de l'art, si l'on en juge par le faible nombre d'expositions qui lui ont été jusqu'ici consacrées. Il est vrai que face à des contemporains tels que Picasso ou Matisse, son art apparut rapidement en retrait sur la scène de la modernité. En dépit de ses indéniables charmes et qualités, l'œuvre de Vlaminck reflète aujourd'hui une ambition manquée.

Dépassant le vérisme outrancier de ses premiers portraits, Vlaminck s'essaye vers 1905 au paysage, genre le plus abondant dans son œuvre. Chez celui qui déclarait aimer Van Gogh plus que son propre père, la peinture sublime la quiétude des bords de Seine, grâce à l'ardeur de la touche, l'énergie du coloris, la dilatation de l'espace. Dans ces vues à la fois urbaines et pastorales, peu de personnages ; mais la vie jaillit imperturbablement dans le fleuve et le ciel saturés de bleus et de blancs. Au point qu'une atmosphère vibrante emplit ces tableaux, dépeignant pourtant des sites immuables de Chatou et du Pecq. Librement employée, la couleur pure traduit un sentiment de joie de vivre, face à la sérénité perpétuelle de la vie aux abords de Paris : le rendu de la sensation prime alors sur le rendu de la réalité, embellie par ce flamboiement formidable mais paisible de la palette. Les arbres deviennent rouges, les champs sont bariolés et les bateaux se muent en feu d'artifice pour l'œil : la puissance optique de la couleur atteint là une de ses apothéoses, consacrée par le scandale esthétique du salon d'automne 1905, où Vlaminck figure parmi les plus effrontés de ces fauves si libres dans leurs tonalités.

Au cours de cette même première décennie du XXe siècle, la nature morte devient un formidable domaine d'expériences visuelles, rejoignant parfois les recherches contemporaines de Braque et Picasso. Les tables de Vlaminck s'ornent sans surprise de pommes et de compotiers, mais rendus avec un brio indéniable. Comme chez Cézanne, les formes sont simplifiées et largement cernées, comme pour identifier chaque objet inanimé. Quant à la palette employée, elle reste aussi chaude et contrastée que pour les paysages, donnant un éclat vif à cet univers inerte. Les couverts d'argent, les poissons morts ou le torchon plié prennent un relief inédit : la synthèse entre le dessin très affirmé et la couleur franche aboutit à des tableaux d'une grande force plastique, comptant parmi les plus réussis de Vlaminck. Ces recherches l'ont parfois mené aux confins de l'abstraction, dès 1905-06 avec Fleurs, symphonie en couleur : sous ce titre parlant, le bouquet chantant emplit l'espace de ses teintes vives, au point de neutraliser tout repère spatial. La surface peinte n'est plus qu'une succession harmonique de pétales chatoyants, dont la ligne de contour évoque à peine la matérialité. Cet art très lyrique de la couleur structurante est repris dans Coteaux à Malmaison de 1907, paysage analogue dans cette démarche avec ses grandes masses colorées formant les plans. Tout cela n'est pas sans rappeler le Kandisky de l'époque Die Brücke.

Face à une telle sensibilité, on ne peut que déplorer le déclin frappant la peinture de Vlaminck dès 1909. Délaissant quelque peu l'audace de la couleur, l'artiste se tourne désormais vers la leçon de Cézanne et son interprétation cubiste. S'ensuit alors une rupture nette avec l'éclat chromatique de la période fauve, de façon presque trop brutale. Sans guère de transition, Vlaminck s'essaye plus ou moins bien au paysage et à la nature morte sous l'influence marquée de Picasso : mais les domaines où il excellait peu de temps auparavant souffrent d'un cruel manque de renouvellement personnel. Ses vues de villages manquent de cette spontanéité du fauvisme, et s'abîment dans des formules maladroites (pastichant parfois les vues de Horta d'Ebre peintes par Picasso) desservies par une palette terne. Le décalage avec les œuvres de jeunesse de Vlaminck est trop grand pour ne pas voir une impossibilité de l'artiste à pleinement participer à l'avant-garde, qu'il avait pourtant promue. Est-ce donc pour ne pas avoir pu profiter de la découverte du Midi et de sa lumière radieuse ? Seuls les portraits se démarquent, avec Le Chapeau à plumes (1911), écho aussi moderne que délicat au Chapeau de paille de Rubens, ou bien le plus sobre Autoportrait (1911) aux allures moins polies, conforme à l'image que Vlaminck voulait donner de sa personne.

L'exposition s'arrête donc en pleine Première Guerre mondiale, alors que les révolutions esthétiques connaissent un essoufflement avant le "retour à l'ordre". On ne verra donc pas les développements ultérieurs de la carrière de Vlaminck, années aussi méprisées qu'ignorées. Peut-être faut-il le regretter, le Musée du Luxembourg préférant ne retenir du peintre que ce qu'il a laissé de mieux à la postérité.
 
 
Benjamin Couilleaux
Paris, mars 2008
 
 
 
Maurice de Vlaminck, un instinct fauve, Musée du Luxembourg, 19, rue de Vaugirard, 75006 Paris,
du 20 février au 20 juillet 2008.  www.museeduluxembourg.fr
Crédits photographique : http://www.photo.rmn.fr - http://www.buehrle.ch - http://www.moma.org
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