Les métamorphoses de l'ange à Tanlay
 
 
ange

lévitation

disparition

chute

aile

lumière

androgyne

souffle

corps

martyr

innocent
Pierre et Gilles
 
Pierre et Gilles, L'ange blessé, 1990
Collection FRAC des Pays de la Loire. Crédit photo : Bernard Renoux
 
 
Photographies, vidéos, dessins ou installations ont été privilégiées par Jacques Py, commissaire de l'exposition et directeur du Centre d'art de l'Yonne pour nous proposer un parcours paradoxalement très figuratif au pays de l'invisible et de l'immatériel. Si les années précédentes, les expositions d'été de Tanlay ("Le champ des illusions", "Domiciles", "Qui a peur du du rouge du jaune et du bleu ?"…) avaient habitué le regard à passer d'une peinture à une installation, d'une vidéo à une sculpture, d'une photographie à une maquette architecturale, et ce pour le plus grand plaisir d'une pensée plastique propice aux rapprochements sémantiques et aux découvertes esthétiques, cette fois-ci il s'agit de se laisser porter aux suggestions figurales que l'ange a induit chez des artistes contemporains dont le médium à première vue est plus apte à représenter qu'à suggérer. Mais il y a longtemps que l'on ne croit plus à la vérité d'une photographie et encore moins à la notation instantanée d'une aquarelle. Et pourtant, aussi paradoxalement que cela puisse paraître, il s'agit ici de nous questionner, indirectement certes mais tout aussi justement, sur le pouvoir jouissif que ces modes d'expression peuvent révéler quant à une thématique où "l'androgynie, l'hybridation de l'homme et de l'animal (le passage ou le combat) de l'ombre et de la lumière, le désir d'envol ou de chute…" (J. Py, préface du catalogue) sont convoqués au gré des engagements de chacun.
 
 
Louis Jammes
 
Louis Jammes, Les Anges de Sarajevo, 1994
Courtesy galerie RX, Paris. Crédit photo : Louis Jammes
 
 
Ainsi peut-on dès la première salle prendre acte de l'iconographie chrétienne grâce à "L'ange blessé" de Pierre & Gilles et retrouver en vis à vis le détournement ironique qu'Orlan fait subir à la Vierge, tantôt madone baroque en "Vierge Blanche", tantôt prostituée en "Vierge Noire". Mais c'est peut-être l'ensemble de triptyques photographiques et d'aquarelles colorées d'Yves Rozet qui nous amènent le plus directement vers "D'étranges devenirs à nouveau". En effet si aquarelles et photographies se font la part belle dans les salles du rez-de chaussée - dont aussi la suite en noir et blanc des "Angélophonies" de Maria Klonaris et Katerina Thomadaki où l'androgynie est déclinée dans un travail sur le support photographique ou celle aquarellée des "anges pulmonaires" de Mathilde Rosier - c'est sûrement lorsque l'on quitte la représentation attendue des ailes et des anges que l'exposition trouve son véritable envol.
 
 
François Loriot et Chantal Mélia
 
François Loriot et Chantal Mélia. S'envoyer au diables, 2005-07-24
Collection des artistes. Crédit photo : Christian Leray
 
 
En effet, quoi de plus troublant que ces corps en lévitation, à la limite de la chute ou de la disparition, peints par Emmanuel Pereire comme des ombres bleues étirées et aspirées par on ne sait quelle puissance cosmique ou photographiés dans leur luminance surnaturelle par Gerd Bonfert ou Hannah Collins. Mais l'ange est aussi celui qui a toujours accompagné la représentation duelle de l'innocent et du martyr. Enfants de Sarajevo mis en scène par Louis Jammes, à la fois symboles de la colombe christique et ange auréolé de la lumière divine, mais aussi corps de douleur dont les ailes arrachées laissent leurs scories photographiées par Witkin ou symboliquement imaginées sur un dos écorché magnifiquement sculpté dans la cire par Frédérique Decombre.

Corps charnel mais aussi symbole du souffle et de la lumière, l'ange est aussi l'allégorie de notre destin d'humain, quitte à nous "envoyer au diable" comme nous le suggère Loriot & Mélia dans leur dernière installation, aussi ludique qu'invective, où parole et projection lumineuse se partagent la tâche de nous faire prendre conscience de la vanité de nos propos, tout comme Sarkis essayant de faire entendre à l'ange un oratorio de Bach définitivement silencieux dans son cercueil de bandes magnétiques inutilisables. Il est d'ailleurs tout aussi illusoire de "chercher la lumière" avec Du Zhenjun, dans un monde plus manipulateur que véritablement interactif dès qu'il est géré par l'informatique et le virtuel.
 
 
Roman Signer
 
Roman Signer, Bottes, 1986
Collection Art : Concept Paris. Crédit photo : Marek Rogowiec
 
 
Restent encore et toujours les mots, même ceux dont on ne peut juste qu'imaginer le sens et inventer la musique, tellement ils sont gonflés de vent (ou d'hélium) dans les phylactères plafonnants de Philippe Parenno. A moins que l'ultime destinée de l'ange soit son atomisation en artifice – image contemporaine de son immatérialité originelle – nuage de gouttes d'eau ou de particules de lumière, chacun empreint d'ironie et de burlesque comme sait si subrepticement le mettre en scène Roman Signer, tant à Tanlay qu'à Paris. Reste à faire notre propre chemin de lumière… et à découvrir ce qui de l'ange se cache derrière l'image ou l'œuvre.
Michelle Debat
Paris, juillet 2005
 
Du Zhenjun
 
Du Zhenjun, On cherche la lumière, 1993
Collection de l'artiste. Crédit photo : Du Zhenjun

"Les métamorphoses de l’ange, du corps céleste au corps virtuel"
communs du château de Tanlay-Yonne, tél. : + 33 (0)3 86 75 76 33
du 4juin au 30 septembre 2005, tous les jours de 11h à 18h30, visite commentée tous les samedis et dimanches à 16h
Catalogue, "Les métamorphoses de l’ange, du corps céleste au corps virtuel",
préface de Jacques Py, texte de C Buci Glucksmann, éd. Centre d’art de l’Yonne, 2005 
exposition parallèle :
Daniel Van de Velde, sculptures, du 4 juin au 17 octobre 2005
Abbaye Notre-Dame de Quincy, Centre d'art de l'Yonne
10, route de Saint Georges, Perrigny, 89005 Auxerre, tél. : +33 (0)3 85 72 85 31,
centredart@cg89.fr

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