"La violence c'est le lisse", Sylvie Blocher

Cathy Bion, Lisbonne

Sylvie Blocher, Le jugement de Paris 1997,
installation vidéo, courtesy galerie Art & Public Genève

Les "modèles"









sont souvent









poussés à









des situations









extrêmes

Écrite en grandes lettres noires sur un énorme mur blanc à l'entrée du Casino- Forum d'art contemporain à Luxembourg cette définition peu conventionnelle, présentée comme un slogan propagandiste, interpelle le visiteur dès son entrée à l'exposition "Living pictures and other human voices" de Sylvie Blocher. Le mot "violence" qui sonne déjà extrêmement violent et brutal est associé ici au mot "lisse" qui lui semble opposé parce que synonyme de doux, d'égal et qui renvoie à quelque chose de tactile, "qui n'offre pas d'aspérités au toucher" (Larousse).
Perplexe, mais incité à réfléchir, le visiteur s'approche pour constater que le mur n'est pas entièrement blanc : des petits dessins érotiques d'accouplements hétéro et homo-sexuels et d'animaux entourent les lettres et donnent l'aspect de mouchetures sur une surface qui n'est plus tout à fait "propre", voire "lisse". Appel à la légèreté de l'être, d'un côté, une certaine résistance, de l'autre.

Cette œuvre qui est la seule installation non-vidéo sert en quelque sorte de préambule à l'ensemble des pièces.
Que cette première rétrospective importante de l'œuvre de Sylvie Blocher ait lieue justement au Luxembourg n'est pas un hasard. Enrico Lunghi, directeur du Casino a invité plusieurs fois Sylvie Blocher à participer à des expositions collectives à thème : "Gare de l'Est" en 1998-99, "Luxembourg, les Luxembourgeois" en 2001 et "Power" en 2002. Pour l'exposition "Luxembourg, les Luxembourgeois", qui avait fait couler beaucoup d'encre, rappelez-vous la "Gëlle Fra" de Sanja Ivekovic, Blocher avait réalisé la vidéo "Men in Pink" où l'on voit les "Caramels fous" (chorale homosexuelle parisienne), chanter L'internationale et Heigh-Ho, Heigh-Ho (célèbre chanson des sept nains rentrant du boulot dans Walt Disney) installée d'abord dans un souterrain, pendant l'exposition du Musée d'histoire de la Ville de Luxembourg, elle est revenue en 2002 pour l'expo "Power" qui précédait "Living Pictures"… au Casino.


Depuis 1992, "Living pictures" est le titre d'une série d'installations vidéo "in progress". Elles constituent une grande partie de l'exposition éponyme. Le principe de ce concept est simple : l'artiste invite des individus rencontrés dans la rue ou contactés par annonce à répondre à différentes questions devant la caméra en leur demandant d'imaginer une personne aimée ou détestée derrière le vide de la caméra pour ne garder à la fin que les passages où les modèles ne jouent plus mais sont eux-mêmes. La force de ces dispositifs réside justement dans le fait que nous ne nous trouvons plus devant des portraits filmés de gens mais "devant des êtres vivants qui apparaissent dans leur réalité la plus directe." comme l'exprime E. Lunghi dans la préface du livre catalogue coédité avec Actes Sud (Living Pictures and other Human Voices, Actes Sud, Casino Luxembourg, 2002).
La muséologie du "white cube" du Casino s'y prête aussi magnifiquement. Une œuvre par salle favorise cette confrontation, ce face à face où se joue l'ambiguïté d'un questionnement qui exploite toutes les formes de proximité et de distance, d'intimité ou d'éloignement.

Les protagonistes, les "modèles" (comme Sylvie Blocher les appelle) sont souvent poussés à des situations extrêmes. Ils semblent répondre à nos regards complices devant ces écrans géants où défient les images fragmentées des chauffeurs de taxi dans "Them" (selves), les scènes touchantes des enfants de 40 ans et leurs parents dans "For ever", les déclarations niaises des footballeurs américains transpirant héroïquement pour devenir une œuvre d'art dans "Are you a masterpiece" ou le jeu à la limite du supportable de l'homme humilié dans "Le Jugement de Paris". D'autres pièces sont moins émouvantes comme "The Meditation Room" tournée avec onze physiciens du CERN à Genève. Malgré la mise en scène esthétisante de cette installation vidéo les réponses des scientifiques sur les questions philosophiques posées par S. Blocher restent relativement neutres. A aucun moment, le dispositif de l'artiste réussit à pénétrer au-delà du rôle que leur statut leur attribue. L'effet de distanciation, présent dans beaucoup d'œuvres de Sylvie Blocher est particulièrement fort dans ce travail…

Figurant sur les cartons d'invitations et les affiches, l'installation, la "sauteuse" constitue comme une espèce de second leitmotiv visuel en opposition au texte à l'entrée. La légèreté du personnage féminin sautant sur un tremplin est visuellement soutenue par la projection en décalage sur trois écrans qui rythment la chorégraphie des images. Jouissance à l'état pur ce travail qui semble pourtant s'opposer au "jugement de Paris" ne nous parle-t-il pas autrement de la "conscience du féminin en nous-mêmes" ?

Avec l'altérité et la singularité, l'autorité et le pouvoir, c'est un des thèmes récurrents de Sylvie Blocher que la vidéo lui permet d'aborder depuis une dizaine d'années.

Paul di Felice
Paris, février 2003

Sylvie Blocher, la sauteuse

Sylvie Blocher, la sauteuse : Lapsus n¡1, 2002, installation vidéo

Exposition au Casino-Luxembourg, Forum d'art contemporain, jusqu'au 16 mars 203

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