Christer Strömholm
"Love and Death"
 
 
On connaît mal ou pas du tout ce photographe suédois, né en 1918 et mort en 2002, peu préoccupé de sa notoriété semble-t-il, et qui demeure néanmoins grâce à son enseignement en Suède une référence pour des générations de photographes suédois : Anders Petersen, J.H Engstrom pour ne citer que ceux-là. Lui-même n'a pas caché ses influences dans le traitement d'une image qui par ses sujets : l'Espagne, l'érotisme de la rue, Paris, le rapproche à plusieurs égards de Brassaï et Kertesz. Cela a-t-il desservi son œuvre, quand on sait l'ombre portée des grands arbres ?
Amour et mort
les deux faces
contraires
d'un Janus
nommée
la vie réelle

Christer Strömholm
 
 
C'est donc à l'initiative de Christian Caujolle, qui dirige la galerie Vu, qu'on doit de l'avoir redécouvert cet été aux Rencontres d'Arles, où fut reconstituée son exposition de 1965 à la galerie du grand magasin NKV de Stockholm. Intitulée : "A ma propre mémoire (Till minnet av mig spalv)", l'exposition fut en son temps jugée trop dérangeante et décrochée au bout de trois jours. Bill Brandt disait photographier des souvenirs, Strömholm ramasse ses clichés au cœur de flaques aux tonalités plutôt saumâtres, racontant la vie par des entrées tout sauf complaisantes. Si les obsessions macabres de cette série de 1965 n'avaient pas eu le don de plaire à l'époque, trop documentaire peut-être, c'est à nouveau à la mort qu'il est fait référence pour cette première présentation de son travail en Belgique avec l'amour en contrepoint. La Box galerie a donc intitulé "Love and Death" des travaux s'échelonnant de 1949 à 1970. Amour et mort, les deux faces contraires d'un Janus nommée la vie réelle. Strömholm la montre, ni chair ni poisson et un peu des deux, mais surtout équivalente au médium photographique ne véhiculant aucune certitude, ni jugement arrêté, sur ce qui se doit d'être et d'exister et de quelle manière.

Car le photographe joue avec nos a priori, sont-ce bien des femmes étendues sur le dos dans la chambre d'un hôtel qu'on dirait de passe ?
Ce baiser est-il hétérosexuel ? le grain de peau de ces amoureux pourrait être un peu trop rugueux.

Ambigu, Strömholm l'est sans aucun doute, bien avant Nan Goldin, il a "shooté" allégrement le milieu transgenre. Dans le Pigalle des années soixante, il suit la découpe des reins de Marie-France, les belles mains manucurées et anguleuses de Jacky. Hommes et femmes confondues, le sujet a inspiré à Strömholm des images où rois et reines ne croisent pas le fer, le portrait de cette poupée mâle qui se mire dans la glace n'a rien de grotesque, bien au contraire. À l'image, l'émotion affleure souvent à des moments inopportuns.
Pour démolir un peu plus la différence des sexes, le photographe remise ses codes et finalement les engloutit tel le serpent que ce travesti fakir (Pigalle, Paris années 60) avale goulûment, le photographe excelle à susciter le trouble chez le spectateur voyeur que nous sommes. N'est-ce pas là, au fond, la condition sine qua non de tout désir qui ne cède pas ?
Donc du corps qui séduit. Dans l'exposition, cette séduction apparaît multiple : racoleuse et instrumentalisée place Blanche, ou ultime, tenant debout grâce à l'artifice, ce dentier qu'un vieillard nous vomit presque à la tête, ou encore la voilette plaquée sur le visage d'une vieille Madrilène magnifiant d'autant sa décrépitude.
On trompe souvent la mort dans les photos de Strömholm, de fait, l'amour en prend aussi pour son grade. Car rien ne dit que les couples qu'il photographie en sont véritablement, ni que les baisers donnés ne le sont pas pour de l'argent.

C'est aux enfants que Strömholm a beaucoup photographiés qu'il revient d'accuser encore le trait, puisque qu'ils ne sont pas moins ambivalents. C'est d'ailleurs leur capacité insolente à fixer l'objectif, sans ciller, avec le talent déjà pour la pose et le jeu sensuel du modèle que le photographe arrive sans doute le mieux à saisir chez l'enfant. Dans un registre moins désinvolte, les photos du Japon, et ce moulage de cire qu'il photographie en 1963, comme une terrifiante scène d'accouchement, arrivent à déclencher, pour qui voit là un rappel métaphorique à la bombe lancée sur Hiroshima, un profond malaise. Ici Strömholm, de plain-pied dans la barbarie à l'œuvre dans l'histoire, aura donc su aussi tirer la sonnette d'alarme avec talent.

Une monographie dans la collection Photo Poche est sous presse, c'est une bonne nouvelle. Quant aux Parisiens, ils pourront découvrir ou redécouvrir cet important photographe lors de la rétrospective qui lui sera consacrée à l'Hôtel de Sully à Paris, en janvier 2006.
Raya Baudinet
Bruxelles, octobre 2005

Strömholm, le mélange des genres, Box Galerie, Stefan de Jaeger et Alain D'Hooghe
88 rue du Mail, 1050 Bruxelles, exposition du 30 septembre au 12 novembre 2005.

accueil     Art Vivant     édito     Ecrits     Questions     Imprimer     haut de page