D'une pierre trois coups, Sean Scully, Mark Rothko, exporevue, magazine, art vivant et actualité
D'une pierre trois coups, Sean Scully, Mark Rothko

Sean Scully - This This 1994

Sean Scully - This This 1994 - huile sur toile

Sean Scully est avant tout un peintre ; l'un des plus grands peintres de sa génération. C'est donc en peintre qu'il livre sa perception de l'œuvre de Mark Rothko dans l'opuscule publié aux éditions de l'Echoppe au début de l'année 1999, intitulé Corps de Lumière. Sean Scully prend comme point de départ sa visite de l'exposition de Rothko à la National Gallery de Washington, que le Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris accueille à son tour jusqu'au 18 avril. Le style de Scully est pour le moins sobre, tout comme la traduction de Patrice Cotensin et, à côté de petites anecdotes ou de commentaires superflus, il témoigne d'une sensibilité aiguë de la peinture de Rothko. L'auteur évoque à plusieurs reprises le mysticisme et le sentiment du sublime qui émane de sa peinture, mais insiste aussi sur le lien puissant qui unit Rothko à la tradition de la peinture : contrairement aux autres artistes de la nouvelle génération de la peinture américaine, qui, dans les années cinquante, adoptaient des formats monumentaux pour baigner le spectateur dans la peinture, Rothko, tout en peignant de grands formats, se cantonnait aux limites de l'échelle humaine, des tableaux verticaux, beaucoup plus hauts que larges, qui s'apparentaient à des fenêtres sur le monde.

Si Sean Scully est très sensible à cet aspect de la peinture de Rothko, c'est que l'on peut relever de nombreuses affinités qui lient les deux artistes. D'origine irlandaise, Scully, qui expose ses dernières toiles actuellement à la Galerie Lelong à Paris, a gagné ces dernières années aux Etats-Unis une reconnaissance qui rend tous les commentateurs perplexes. Comment un peintre de formation traditionnelle, qui ne semble pas apporter grand chose à l'histoire de la peinture, peut-il avoir autant de succès ? La réponse est dans Mark Rothko, Corps de Lumière, dans la filiation qui s'instaure entre l'auteur et son sujet. En effet, Scully a fondamentalement la même sensiblité que Rothko. Comment, sans cela, pourrait-il définir sa peinture de façon aussi juste Rothko savait déjà que les bords du monde, et toutes choses dans ce monde, sont brouillés par le mystère et la tristesse ? De même, Scully souligne le caractère indissociable de la couleur et de la surface, Rothko travaillait ses surfaces comme Véronèse ou Titien, alors que dans son œuvre, l'apparence géométrique, la juxtaposition de formes pures, est toujours contrebalancée par la touche apparente, souvent une couleur sombre apposée sur un fond préparé en rouge ou en orange, ce qui lui donne une luminosité exceptionnelle : les maîtres vénitiens ne peignaient pas autrement.

Cet excellent ouvrage offre donc la possibilité, pour 27 francs français, d'être à la fois introduit dans le monde de Rothko, celui de Sean Scully, et enfin celui des éditions de l'Echoppe, qui par le travail patient et passionné de Patrice Cotensin contribue depuis longtemps déjà à éveiller la sensibilité de ses lecteurs privilégiés.

François Dournes

Mark Rothko, Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, Paris 16e, France, jusqu'au 18 avril 1999.
Sean Scully, Galerie Lelong, Paris 8e, France, jusqu'au 17 avril 1999. Catalogue Repères n° 101, Editions Galerie Lelong, 90 FF.
Mark Rothko, Corps de Lumière, par Sean Scully, Editions de l'Echoppe, 32 pages, 27 FF, ISBN : 2-84068-0971

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