Régis Durand et le "Jeu de Paume", exporevue, magazine, art vivant et actualité
Régis Durand et le "Jeu de Paume", entretien avec Damien Sausset

 

Le 24 juin a été inauguré le nouveau Jeu de Paume, sous ce label sont désormais réunies trois entités distinctes : le Centre National de la Photographie (CNP), le Jeu de Paume avec ses équipes et le Patrimoine Photographique qui garde l'espace de l'Hôtel de Sully. Dédié à l'image contemporaine, de la photographie à la vidéo en passant par le cinéma, la structure est placée sous la direction de Régis Durand qui a bien voulu en exclusivité nous rencontrer afin d'expliquer sa politique et son programme et notamment d'Eblouissement et de Guy Bourdin, ses deux premières expositions. C'est sur la deuxième exposition, celle de cet ancien roi de la photo de mode et surtout de la publicité, que nous avons débuté l'entretien dans ce bureau encore vide.
 

Damien Sausset : Première exposition, Guy Bourdin. On peut s'étonner car ce photographe est presque aux antipodes de ce que vous défendiez au CNP.

Régis Durand : Je ne suis pas au Jeu de Paume pour faire ce que je faisais précédemment au CNP. Cette nouvelle structure entraîne des missions différentes. Guy Bourdin, voilà un projet que j'avais en tête depuis longtemps. Il y a quatre ans, j'ai rencontré son fils, Samuel, au Festival de Hyère. Je lui ai dit combien j'étais désireux de présenter l'œuvre de son défunt père. Je savais que ces images avaient eu une grande importance pour des photographes mais aussi pour des artistes contemporains. C'est vraiment une très bonne chose que de débuter avec ce photographe français, de plus, jamais véritablement exposé.

Damien Sausset : Qu'est-ce que ce photographe a apporté ?

Régis Durand : Il a apporté au monde de la photographie une conception radicalement différente de l'image. Son travail de mise en scène très élaboré, son utilisation de petites fictions, de mini-récits, autant de choses nouvelles destinées à faire travailler l'imaginaire. On le voit dans ces films. Bourdin, c'est non seulement une atmosphère mais surtout un style. Et ce style, ces inventions formelles ont révolutionné la photo de mode et la photographie publicitaire dans les années 60-70. Son influence sur les artistes a également été essentielle.

Damien Sausset : Quelle différence avec l'exposition de Londres ?

Régis Durand : On a produit neuf photographies supplémentaires. Mais la grande différence se mesurera en termes de présentation. Il y a le diaporama, les films qui seront présentés d'une manière plus visible. À Londres, il y avait une sophistication dans la scénographie, un peu voyeuriste à mon goût, qui me semblait nuire à la compréhension de son travail. Ici, on veut montrer l'œuvre en tant que telle, sans partis pris particulier. Nous montrons également les polaroids en leur donnant la place qu'ils méritent.

Damien Sausset : Pourquoi avoir réalisé de nouveaux tirages ?

Régis Durand : Il n'existe aucun vintage de l'époque. L'exposition repose sur des tirages contemporains. Les seuls vintages sont les polaroids et les petites photographies noir et blanc. Bourdin ne tirait pas puisqu'il travaillait pour les magazines.

Damien Sausset : Comment articulez-vous l'autre exposition, éblouissement, avec celle de Bourdin ?

Régis Durand : Eblouissement est justement celle qui indique l'autre direction du Jeu de Paume. Je compte alterner monographies et expositions thématiques mélangeant œuvres contemporaines et historiques. Il faut être transversal, ouvrir ce lieu à toutes les époques sans pour autant sectoriser historiquement la photographie. C'est une exposition qui rassemble des œuvres de 1870 à nos jours autour du thème de l'éblouissement, de la lumière en tant qu'elle affecte le regard et les matériaux. Ces deux événements donnent quelques perspectives même si l'exposition de la rentrée en septembre "L'ombre du temps" sera pour moi très importante par son contenu et sa dimension historique.

Damien Sausset : Quels aspects de la photographie allez vous privilégier ?

Régis Durand : Tous.

Damien Sausset : De la photographie de mode à la photographie plasticienne en passant par les divers usages de ce médium ?

Régis Durand : Ce que je cherche à éviter, c'est justement valider ces catégories. Je souhaite que le lieu soit ouvert à toute forme de photographie autour de projets spécifiques. Bourdin est là non pas à cause de statut de photographe de mode mais bien parce qu'il n'a pas été exposé alors qu'il est important pour l'histoire de la photographie. Il faut mettre un terme à ces clivages ridicules. Par exemple, j'ai pour projet une exposition sur l'événement. Il est évident qu'elle sera l'occasion d'une réflexion approfondie à travers le brassage de choses issues du photo-reportage, des images d'actualité, du cinéma, de la gravure, des photographies d'artistes contemporains.

Damien Sausset : N'avez-vous pas le sentiment qu'il y a urgence à défendre certains artistes français malheureusement peu défendus en France ?

Régis Durand : C'est nécessaire et essentiel. Je crois qu'il y a beaucoup d'artistes français qui n'ont pas suffisamment tôt la grande exposition qu'il mérite. Je serais très attentif à cela.

Damien Sausset : Les conservateurs affirment tous ça ! Allez-vous vraiment le faire ?

Régis Durand : Oui et je pense que la politique du CNP le prouve. Effectivement, il y a une résistance des institutions à l'égard de certains artistes français une fois passé un certain âge. Arrive un moment ou les institutions ne donnent plus de soutien car elles estiment qu'elles ont déjà fait le nécessaire. Je pense que la notion de milieu de carrière, notion si importante dans les pays anglo-saxons, est effectivement quelque chose d'essentiel.

Damien Sausset : Le bâtiment nécessite-t'il des travaux ?

Régis Durand : Pas vraiment même si c'est un bâtiment un peu raide, un peu rigide. Au premier étage, nous occultons les verrières pour maîtriser la lumière. Non, il n'y a pas de vrais problèmes bien que beaucoup de choses aient été dites de la part des gens du monde de la photographie pour critiquer le lieu.

Damien Sausset : Vous avez deux sites d'expositions. Quelles seront les différences ?

Régis Durand : Je voudrais à la fois les différencier et les rapprocher. Sully sera réservé à des expositions qui pourront avoir un caractère plus ciblé. Il y aura de l'art contemporain, de la vidéo.

Damien Sausset : Votre mission est-elle aussi d'accueillir des donations.

Régis Durand : Oui, bien évidemment. Mais j'estime nécessaire de mener une vraie réflexion sur cette idée. Je crois qu'accepter une donation est une responsabilité importante. Ensuite on a la charge de la conserver ainsi que de la gérer commercialement et artistiquement. Donc on ne peut pas tout accepter.

Damien Sausset : Un article vous met en cause, avec d'autres, sur le cas d'une donation Newton.

Régis Durand : C'est autre chose. Le cas de Newton est une série de ratages. Il y a dix ans, l'idée d'une donation de Newton à l'état a été évoquée et n'a pas été menée à bien pour des tas de raisons qu'il vaut mieux ne pas évoquer. Ensuite, il y a eu une deuxième tentative il y a un an et demi. Newton ayant donné la totalité de ses archives à Berlin, l'état français s'était ému de cette situation et a demandé si la France pouvait conserver quelque chose. La discussion portait sur une cinquantaine de photographies liées à la période du Vogue France. Les choses ont traîné et ne se sont pas faites. La mort de Newton malheureusement est intervenue avant la signature. Il y a eu aussi ce malentendu sur l'idée d'une possible exposition. La proposition qui a été faite à Newton et qui m'a été faite était d'exposer la donation quand elle serait effective. Ce qui me paraissait bien. Newton et les gens qui l'entourent ont cru comprendre qu'il s'agissait d'une grande exposition pour l'ouverture du Jeu de Paume. Décrire l'enchaînement des responsabilités n'est sans doute pas essentiel. L'important, c'est qu'il y a eu un ratage et que l'état ne possède toujours pas d'œuvre de Newton dans ses collections publiques.

Damien Sausset : L'article donne l'impression que les institutions françaises sont incapables de se mobiliser et de s'engager lorsqu'il y a urgence. Que l'état français et ses institutions ne soient pas en mesure de recevoir des donations, pourquoi pas ! mais encore faut-il le dire et analyser lucidement les raisons de tels dysfonctionnements.

Régis Durand : Vous posez une vraie question. Il y a une longue tradition de l'état accueillant des donations par de biais divers (donations, dations…). Nous possédons donc les outils. Simplement, l'état manque de réactivité car il est incapable de mobiliser des moyens rapidement pour ces actions. Car une donation, cela coûte de l'argent, c'est rarement gratuit. Les gens oublient un peu facilement cet aspect des choses. L'affaire Newton est malheureusement plus compliquée que cela. Newton étant mort, cela rend pratiquement impossible l'idée de divulguer certaines choses.

Damien Sausset : Vous allez inviter des commissaires extérieurs ?

Régis Durand : Nous avons beaucoup d'institutions co-produites avec des institutions étrangères. Une de mes idées, c'est de donner leur chance à des commissaires et des chercheurs. Je veux développer ici un axe de recherche assez important. J'aimerais faire venir ici des gens qui renouvelleront le discours sur la photographie.

Damien Sausset : Combien de temps pour asseoir cette politique ambitieuse ? Deux ans ?

Régis Durand : Oui, même si c'est un projet lourd.

Damien Sausset : La consécration d'un parcours !

Régis Durand : Je ne raisonne pas comme cela. Ce qui compte c'est de faire les expositions. C'est écrire aussi.

Damien Sausset : Vous êtes bientôt à la retraite ?

Régis Durand : Mon contrat est de trois ans et je partirais à la fin de celui-ci.

Damien Sausset : Vous confirmez les expositions annoncées telles "L'ombre du temps" en septembre, Jean-Luc Moulène et Tony Oursler en avril 2005 ?

Régis Durand : Oui. Il y aura ensuite une double exposition sur Chaplin, une sur le Burlesque contemporain. L'automne sera consacré à l'artiste israélienne Michal Rovner puis en 2006 une grande exposition de Richard Avedon et Cindy Sherman.

Complément d'entretien par Damien Sausset
avec l'accord de la rédaction, Paris
paru en juillet 2004 dans Photo

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