Alexandre Ponomarev, l'in-fini et la mer

Alexandre Ponomarev

Alexandre Ponomarev

Alexandre Ponomarev

La poésie







de son travail,







requiert au







demeurant un







réel travail







d'ingénieur,







s'exprime aussi







dans les titres







de ses pièces



Alexandre Ponomarev est un homme "épatant". Grand, de carrure respectable, portant le bouc et les cheveux grisonnants, il impressionne dès les premières minutes par sa détermination et son énergie, communicative. Fort en voix, allant et venant dans l'atelier pour passer d'un projet à l'autre - puisque le premier a engendré le second - il contamine ses interlocuteurs de sa fougue… et de son talent.

Russe né en 1957 à Dniepropetrovsk, il vit aujourd'hui à Moscou. Artiste, Alexandre Ponomarev ne l'a pas toujours été. Avant d'évoluer dans le monde de l'art et de s'y mouvoir comme un poisson dans l'eau, il a été marin et ingénieur naval. Métiers qu'il a dû abandonner pour des raisons de santé.

Depuis une douzaine d'années, notre homme enchaîne les projets artistiques. Mais pas n'importe lesquels. De son parcours maritime, il a gardé une affinité élective avec la mer, qui lui rend bien. Captivé par l'élément liquide et le milieu marin, il a produit plusieurs installations en Russie, au Portugal, en Autriche, à Paris, où sa double formation se mêle à son activité de plasticien. Les œuvres de Ponomarev, bien que protéiformes (installation, vidéo, photographie, dessin, etc.) utilisent le plus souvent l'eau et le rapport à la technologie. De ces deux composants, l'artiste tire des installations improbables, sortes de machines "gratuites" dont on se demande quelle peut être la finalité. Structures d'acier, filins de métal, parois de verre contiennent de grands volumes d'eau, où se nichent et se meuvent ce qu'il appelle des "submobiles". Des engins, cellules "intelligentes" ou sous-marins miniatures qui sillonnent la verticalité des colonnes ou la longueur des tubes aqueux.

La poésie de son travail, qui requiert au demeurant un réel travail d'ingénieur - l'artiste travaille avec plusieurs scientifiques russes de ses amis - Ponomarev l'exprime aussi dans les titres de ses pièces : "Hommage à Archimède" (1999), "Le souffle de l'océan" (1998), "Mémoire de l'eau" (2002)… Une démarche qui sait faire la part belle au rêve, suscite l'imaginaire de la part du spectateur, quand bien même elle s'autorise de prendre le réel à bras le corps et de détourner le sens des objets avec dérision.

Alexandre Ponomarev

Si Ponomarev est un homme plein de chaleur et d'impétuosité, il sait poser ses valises et prendre le temps. Il a récemment terminé un séjour de six mois à l'Atelier Calder de Saché en Touraine. Lieu de vie du célèbre sculpteur américain Alexandre Calder (un prénom et une taille imposante comme deux points communs que l'artiste relève avec gourmandise!), la maison et l'atelier sont devenus un lieu de résidence d'artistes d'envergure internationale.

Ponomarev y a dévoilé la première étape d'un projet tout à sa dé-mesure intitulé "Recycler la meute". Entamé en 1996 avec une autre action - Trace septentrionale de Léonard - où l'artiste avait peint un sous-marin de la marine russe d'un camouflage aux couleurs chatoyantes puis effectué un voyage au cœur de l'océan Arctique, "Recycler la meute" reprend cette figure mystérieuse et guerrière du submersible. Il veut aujourd'hui créer "une flotte de défense des intérêts de la communauté artistique internationale" ! Cette escadre d'une nature toute particulière pourrait ainsi émerger sur les rives des grands raouts de l'art dans le monde...

A reprendre sa définition sommaire, il serait assez facile de prendre le projet pour une toquade farfelue. Il n'en est rien. Avec le sérieux que demande une ingénierie formidable, Ponomarev a réalisé à l'Atelier Calder un grand tube de verre rempli d'eau, dont les forces sont retenues par une structure d'acier. A l'intérieur, un sous-marin miniature grisâtre parcourt les six ou sept mètres du "bassin". Lorsqu'il arrive à une extrémité, il est pris dans des filins qui le sorte de l'eau, le retourne et lui font subir le souffle d'air de plusieurs sécheurs électriques. Le vaisseau se transforme alors comme un caméléon et retrouve des couleurs expressionnistes jaune, rouge, blanc. Une fois replongé dans l'eau pour une énième traversée, il redevient instantanément la machine de guerre qu'il est censé être.

Quelques semaines plus tard, "Recycler la meute" connaît son second avatar, cette fois à Tours. En résonance avec l'exposition à la Bibliothèque municipale qui réunit photographies du vrai sous-marin peint de 1996, de grands dessins au crayon et pastel réalisés sur des cartes marines russes, Ponomarev a placé un kiosque de sous-marin dans la Loire. L'exposition se tient au dernier étage du bâtiment et domine le fleuve qui renvoie les reflets de l'eau par les grandes baies. L'artiste y présente également des vidéos, traces d'actions antérieures. On y découvre le marin qu'il fut dans Trace septentrionale de Léonard, filmée à l'intérieur du sous-marin "camouflé", ainsi qu'une perle intitulée Maya, l'île perdue. Réalisée en 2000, l'intervention consistait à filmer un îlot de la Mer de Barents disparaissant dans les nuages. Aidé par une équipe abondante, Ponomarev a tout bonnement entouré l'île de fumigènes, qui en moins de vingt minutes, par un temps clément et un ciel bleu, effacent toute présence visuelle de Maya. Une disparition toute poétique, de la teneur de ce que l'artiste appelle avec humour de "l'art pour les poissons"…

Mais "Recycler la meute" n'en est qu'à son coup d'envoi. Le projet va prendre toute sa dimension dans l'année à venir, quand l'artiste aura pris possession des bases sous-marines de la dernière guerre qui parsèment la côte Atlantique : Brest, Lorient, Saint-Nazaire, Bordeaux. Ponomarev y créera des installations ad hoc, qui se coltineront les espaces grandioses et glaçants de ces bunkers de béton. Et comme il procède par enchaînements et accumulations, chaque étape reprendra des éléments déjà produits ou esquissés pour nourrir la phase à venir.

Doté d'une énergie dévoreuse, l'artiste restitue de la poésie là où nous n'en voyons pas, ou peut-être plus : la machine (de guerre), les sciences physiques, les techno-structures et techno-logies, dans un environnement qui recèle encore pour longtemps sa part d'ombre. Une énergie qui le fera bientôt se frotter à un autre créateur insatiable : l'écrivain portugais Antonio Lobo Antunes. Ponomarev travaille à la scénographie d'une création de Laurence de la Fuente et de la Compagnie Pension de famille, à partir du roman "La Splendeur du Portugal". Immersion au printemps 2004 : TNT Manufacture de Chaussures à Bordeaux…

Greg Larsson
Paris, novembre 2003

Alexandre Ponomarev

Alexandre Ponomarev

Alexandre Ponomarev, Trace septentrionale de Léonard, 1996, Océan Arctique

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