Hélène Mugot, Sacre - Cire - Ciel, exporevue, magazine, art vivant et actualité
Hélène Mugot, Sacre - Cire - Ciel



Hélène Mugot

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Relié













Symbolique













architecturale













Métaphore













Transformisme













artistique













Alchimie













Métamorphose













Cosmiques













Adoucir le monde

A quelques pas du Monte Stello, dans le Cap corse, et peu de jours avant l'Assomption, Hélène Mugot fait atterrir le ciel, le met à notre disposition. Un parterre de chandelles dessine les étoiles du mois d'août. Des bougies fabriquées par une native de Bougie (Algérie) avec le don de cire des apiculteurs corses, se consument devant l'autel de la chapelle dédiée à la Vierge, Santa Maria Assunta de Canari. Une stricte mise au carreau les a disposées à l'emplacement exact des étoiles, leur façonnage a respecté les différentes proportions stellaires. Hautes, trapues, ocres ou bronzes selon leurs végétaux d'origine, elles forment une constellation de fleurs butinées et invitent le visiteur à voir le ciel étoilé, de jour : Le Ciel et le Miel.



Hélène Mugot

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Hélène Mugot a souvent relié le bas au haut, le sol au plafond (Mur de larmes, 1990, Echelle double, 1992, Opéra cosmique, 1993, Ardre, 1996-1997). Ici, elle remue ciel et terre sans doute, pour que tout soit convoqué (Christian GODIN : La Totalité, tome 1, p. 421). Car les associer, c'est faire revivre des images d'épousailles primordiales, relancer l'épopée des prémices du monde. Situer Les Pythiques dans la nef et Le Ciel et le Miel dans le transept, c'est rappeler cette symbolique architecturale inhérente à toute église, de la terre et de la voûte céleste. Verser la cire liquide de haut en bas, le long des mèches lors de la fabrication des 155 cierges, faire ensuite monter la flamme, la faire « couler vers le haut, vers le ciel comme un ruisseau vertical » (Gaston BACHELARD : op. cit., p. 23), libérer les parfums de la cire pour qu'ils charment les narines du Très-haut, attendre que la cire retombe en Voie Lactée sur le socle de verre, voilà qui dynamise cette rencontre.
Il est même des moments dans la journée, où le pavement de verre joue de la lumière comme une surface d'eau, captant en sa profondeur non seulement les flammes dispersées mais les cîmes de l'architecture aussi... Noces accomplies.

Comme le Maître de Saïs, Hélène Mugot pratique la métaphore : déjà dans la photographie Luglio (1999), les gouttes d'eau devenaient constellation sur fond de ciel. Ici les flammes se font étoiles sur fond de verre, de terre ; le café devient limon. L'inversion fait aussi partie de ses plaisirs : elle utilise dans les Pythiques, cette propriété qu'a la photographie de proposer l'image d'une forme pleine à partir d'un objet en creux, le café dans une coupelle. Elle se plaît tout autant à dérouter nos notions de distance : du familier fond de café elle fait une énigmatique galaxie elliptique (peut-être a-t-elle à l'esprit l'étymologie du café ou kavah, à savoir le souvenir du roi perse Kavus-Kai qui ignorant la pesanteur, détenait le pouvoir de s'élever dans les cieux sur son char ailé) ; de l'éther étoilé infini et inaccessible, elle offre la vision d'une prairie toute proche. Il suffit de baisser les yeux.
Elle n'ignore pas plus les bienfaits de la transposition. Ses cônes de cire jaune, flamme en l'air, ont des traits communs avec les deux lunettes de laiton brillant dirigées vers le ciel et situées au seuil de l'exposition. Toutefois à la différence des premiers, celles-ci cherchent à nous faire apprécier les lointains, le recul. Comme si elles nous exhortaient de préférer le regard à l'érigé.



Hélène Mugot

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De multiples gestes entourent Le Butin du ciel. A l'instar des abeilles ou des étoiles, Hélène Mugot est une inlassable transformatrice : de cire en bougies en passant par la cuve de cuivre, de café en image numérique qui sent la poudre ou le grain, c'est selon, de la carte du ciel en disposition au sol, d'allumage de flammes en libres coulées, de formes accidentelles à la mise en place organisée et inversement, elle fait circuler la matière à travers un rebondissant processus de travail, une sorte de transformisme artistique. Il y aurait chez l'artiste, constat du dynamisme, de la continuité, de la productivité infinie de la Nature et désir d'en restituer le procès qui conduit de produit en produit.
Le terme « d'alchimie » a déjà été évoqué avec justesse par les exégètes de son oeuvre. Il ne peut se trouver qu'à son aise, ici, en compagnie des abeilles, ces « cirières d'élite » (Maurice MAETERLINCK : La vie des abeilles, Aux éditions du livre, p. 141), ou des étoiles coutumières de la combustion, de la fusion, du rayonnement, de l'explosion.

L'exposition n'est pas qu'un événement, mais également une durée. Le temps que la cire s'effondre, que chaque bougie abdique de sa fonction et « se noie dans son aliment » (Francis PONGE : Le parti pris des choses, Gallimard, 1942, p. 39). Il est difficile de ne pas rappeler les instrumentistes de la Symphonie des Adieux de Haydn quittant l'orchestre l'un après l'autre. Tout serait-il définitivement achevé ? Non, car une métamorphose imminente convertira cette matière échouée en archipel de concrétion



Hélène Mugot

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Rejoindre un temps primordial, créer un espace sacré dans un espace lui-même polarisé au moyen d'éléments repris au cosmos, nous guider vers la méditation lente d'un « faux ciel » font de Butin du Ciel une liturgie sans geste ni parole. Faire couler la cire au lieu du sang, libérer les senteurs florales, exhiber l'affaissement des cierges dressés (tout comme Carl André pouvait s'insurger contre la tradition sculpturale qu'il jugeait « priapique »), relève davantage de l'action pacificatrice, que de la pure intercession auprès des dieux.
Le vernissage offrait en outre aux visiteurs la possibilité de goûter différents miels fabriqués localement. Ce don d'une nourriture réputée divine et propitiatoire parachève l'un des sens de Butin du Ciel. En effet, Hélène Mugot ne se contente pas de célébrer dans son oeuvre les enchantements astronomiques, cosmiques ou mythologiques ; elle s'adresse aux hommes, aux femmes d'ici et d'ailleurs. Pourquoi en effet, ne pas adoucir le monde d'une coulée de miel, voire améliorer d'un soupçon de galaxie le tohu-bohu de café dans lequel nous vivons ?

Ah, les très riches heures d'Hélène Mugot !

Danièle Gutman,
novembre 2001

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