Mues, les "tombés" du corps


Sculpture_mannequin           Sculpture-mannequin
Dépouille, musique Comme nombre de jeunes artistes, Blanca Casas Brullet trouve dans l'autobiographie, le lieu exploratoire de ses premiers travaux. Si pour l'écrivain, les premiers amours sont souvent prétexte à romans ou nouvelles, pour l'ancienne étudiante de l'Ecole des Beaux-Arts de Paris (diplômée en 1999), le corps et "ses peaux" ont été sujets d'élection pour son travail multi-média, aujourd'hui exposé à la Galerie Françoise Paviot à Paris. Heureux donc rendez-vous que nous donne cette Galerie de photographies avec ces jeunes Mues en voie de maturité.

Photographies, vidéos, livre d'artiste, sculptures-mannequins déclinent fort justement les étapes de ces métamorphoses que la peau ou le vêtement inclinent à découvrir. Dans la vidéo Robepeau (1998), l'artiste se dépouille lentement d'une enveloppe transparente qui finira en suspens sur un cintre significatif comme si la jeune femme voulait s'assurer de son identité corporelle avant que le regard masculin ne reconnaisse dans son dos constellé de grains de beauté, une partition de musique à venir et à interpréter. L'album Lecture de dos (1999) nous invitera en effet à feuilleter et plus tard à écouter les mélodies ou les suites sérielles que les portées musicales auront découvert à l'instar du Violon d'Ingres de Man Ray. Entre temps, l'artiste aura photographié des coques de Kapok trouvées et séchées. En noir et blanc, de petit format certaines photographies montreront ces plantes parasites maîtrisées enfin par la main qui les serre tout en les exposant. D'autres, en couleur, agrandies à l'échelle humaine éviteront de justesse la banalité de la métaphore sexuelle par la poésie que leur enveloppe filamenteuse garde à la nature encore en vie. Le toucher de la coque est celui du toucher du corps et l'écorce comme la peau ne sont qu'écrans éphémères et tableaux mouvants.
Photographie,


vidéo, danse

















Le toucher, le corps
Found

Fall

Found & Fall
Panoptique, instantané,











déplacement, mouvement
Puis, comme pour en finir avec l'exposition du corps, Blanca Casas Brullet coudra dans l'érotique cotonnade striée des légendaires "Marcels" masculins les patrons des Ménines de Vélasquez, ou la forme serpentine de l'animal en pleine mue. La forme de la maison pour l'armature des Ménines pointe alors, fort traditionnellement un des symboles féminins qui ne prendra sens qu'au côté de l'intimité du masculin. De "Un", l'artiste passera à "Deux", dans la maturité même de son travail.

Se détachant en effet de l'image de son propre corps, elle s'intéressera aux dépôts des autres. De l'autobiographie quelque peu adolescente, de la recherche et de la construction de son identité d'artiste, elle s'ouvrira avec sa dernière série de photographies Fall (2000-2001) et sa vidéo de danse Prendas (2001), à ce que son travail de fin de diplôme lui avait fait toucher de l'œil. Que le corps soit en mouvement ou non, ce qu'il permet de montrer n'est jamais ce que l'on croit connaître de lui. Ainsi, lors de sa série Mues + Found.Loft (1999-2000), des fragments du corps de l'artiste étaient élus par une prise simultanée de plusieurs sténopés inclus à l'intérieur d'une "roue" dans laquelle l'artiste se laissait glisser. Actionnée de haut en bas ce dispositif panoptique fixait dans un même temps les différents angles d'une même partie du corps. Pas de décomposition du mouvement comme le faisait Muybridge et sa batterie d'appareils mais l'instantanéité d'une synthèse virtuelle d'une vision impossible. Qui peut prétendre voir en une fois toutes les faces d'un volume? Le cubisme n'est pas né au hasard et l'image de synthèse non plus. Il n'y avait qu'un pas de danse à faire pour quitter le déplacement et s'intéresser au mouvement. C'est ce que la jeune artiste a su exécuter dans sa dernière vidéo articulée à une série photographique d'instantanés chargés d'évoquer l'absence du corps par ses "tombés", que ceux-ci soient figurés par un vêtement abandonné ou par la figure emblématique d'un grand pan de la danse contemporaine depuis Pina Bausch.

Rêve de démiurge ou pensée de la danse, l'un et l'autre jouent du temps et de l'espace pour dire l'instinct de vie qui prélude à toute mue, mais aussi l'énergie du corps en proie à son expression .
Cadre, encadrement















Surface, profondeur
Prendas, 1 y 2

Prendas, 1 y 2

Prendas
Trace, témoin, passage
Le désir d'abolir le corps de toute gangue est la thématique de la vidéo Prendas. Prendre ou toucher, mais aussi se déprendre ou se détacher. En tous les cas essayer en six saynétes, six petites histoires où la vidéaste et la danseuse luttent avec le cadre de la caméra et "l'encadrement" du vêtement. Blanca Casas Brullet élimine souvent du cadre la tête de la danseuse tandis que Arantxa Martinez s'étire et se meut dans des vêtements élastiques ou noués qui appellent le corps à lutter avant de devenir autre. Se battre, tomber, se relever pour changer enfin ? Se dégager de ses oripeaux pour apparaître enfin? L'acte de résistance et parfois de révolte que le corps manifeste ici, coupé par le cadrage ou enfermé dans le tissu, n'est pas sans nous rappeler celui qui caractérise le travail d'un autre danseur Boris Charmatz. Travaillant aussi avec la vidéo et le vêtement-sac, celui-ci nous rappelle que la danse comme le drapé en sculpture, ne sont pas des moyens d'expression pour montrer le corps mais pour le "dire" à travers l'espace qu'il habite. Le vêtement qui "tombe" bien n'est-il pas celui qui valorise et suggère le mieux ce corps soustrait à sa propre visibilité?

L'énergie déployée dessine alors la forme qui se projette à la surface, ce qui fera dire à Paul Valéry que la surface c'est la profondeur. Ainsi, quelle que soit la matière de l'enveloppe, peau ou tissu, il s'agit toujours du corps : cette fulgurance de la vie qui n'a que faire de l'aspect de ses dépouilles. Car si muer c'est lutter pour de se débarrasser de ses peaux mortes ce n'est pas toujours pour changer de peau. Ainsi en est-il aussi et souvent de ces traces de vie échues au bord de caniveaux ou à l'angle de trottoirs. Gants, chemises ou collants abandonnés, orphelins de leurs mentors anonymes, ils demeurent les seuls témoins d'une tranche de vie dont on suppose qu'elle n'est pas tout à fait finie, juste la preuve que tout n'est que passage quel que soit le désir de fixer l'éphémère ou de dire le provisoire. Le "tombé" en est le gage et le témoignage.
Michelle Debat,
avril 2002.
Coque, Kapok           Coques de Kapok

Le mercredi 15 mai 2002; à 19 heures, lecture du dos de l'artiste : Trois interprétations musicales
à la Galerie Françoise Paviot, 57, rue Sainte-Anne, 75002 Paris

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