Frantisek Kupka, le précurseur de l'art abstrait

Fabrice Hybert

Fabrice Hybert, "Le mètre carré de rouge à lèvres", 1981

Le grand
art
c'est de
faire
de
l'invisible
et de
l'intangible

En partenariat pour la deuxième fois avec le Centre Pompidou et le Musée National d'Art Moderne de Paris, le Pavillon du Musée Fabre présente l'exposition itinérante du peintre et dessinateur tchèque Kupka. Elle fut d'abord accueillie au Kunstmuseum de Vaduz au Liechtenstein, à la Fondation de l'Hermitage à Lausanne en Suisse, au Musée d'Art Moderne et Contemporain de la ville de Strasbourg et maintenant dans la ville de Montpellier avec quelques changements. Après celle-ci, la dernière présentation "hors les murs" aura lieu au Kunstmuseum de Münster en Allemagne.

L'exposition est dotée de 50 peintures et de 38 dessins, du disque de Newton… De la figuration colorée de ses débuts aux abstractions circulaires, chromatiques de la maturité, en passant par les éléments mécaniques des années 20. Kupka est l'auteur du premier tableau abstrait jamais exposé en France (Amorpha ou Fugue en deux couleurs) et de la première toile abstraite achetée par le Musée National d'Art Moderne (plan Verticaux I).

Kupka est considéré avec Kandinsky, Mondrian, Delaunay, Picabia, Léger et Mondrian comme l'un des pionniers de l'art abstrait. Né le 22 septembre 1871 à Opocno, en Bohême orientale il meurt le 24 juin 1957 à Puteaux. En 1963, la veuve du peintre, Eugénie Kupka que l'on appelait familièrement Nini fait don de toutes les oeuvres restées dans l'atelier de Puteaux au Musée National d'Art Moderne.
A 13 ans, il commence l'initiation au spiritisme. Il est diplômé en 1891 de l'Académie de Prague et se rend à Vienne où se trouvent Gustav Mahler et Sigmund Freud. En 1896 il s'installe à Paris dans le quartier de Montmartre près d'Alfons Mucha.
Kupka poursuit inlassablement ses recherches sur la forme et la couleur, suit des cours à la Sorbonne surtout en sciences physiques et naturelles. Il passe par une brève période fauve, marquée par "la gamme jaune" 1907 et "le rouge à lèvres" 1908, d'où son intérêt pour la représentation du corps humain, afin de poursuivre son évolution vers une peinture pure et abstraite.
Autour de 1909, les leçons du cubisme et de la chronophotographie d'Etienne Marey contribuent à un tournant décisif dans son art. Avec "plans par couleurs" 1910/1911, Kupka introduit les premières divisions par plans verticaux qui nient la perspective et annoncent l'espace plan de la peinture moderne. A la même époque il transcrit le mouvement et la vitesse.



Kupka, "Le rouge à lèvres II", 1908

Il poursuit également ses études sur la couleur et réalise en 1911/1912 "Les disques de Newton". Newton avec son disque multicolore prouve que la superposition des nuances du spectre solaire reproduit la lumière blanche, ce qui bouleverse la vision des peintres. L'artiste tchèque adopte la forme circulaire, qui permet de contrôler le mouvement du regard dans le tableau. De simple "effet", la couleur devient "sujet".
Il écrit en 1910/1913 "la création dans les Arts Plastiques" publié à Prague en 1923 et seulement en 1989 en France, faute d'éditeur. Dans cet ouvrage, Kupka bannit l'art figuratif en s'appuyant sur les sciences naturelles et physiques pour définir un nouvel art fondé sur l'expression abstraite et profonde de la nature.
Les œuvres des années 1920/1930 sont difficiles à dater, il retouche souvent ses toiles. Il travaille par exemple plusieurs années à l'élaboration d'une toile monumentale "Autour d'un point" 1920/1925/1930.

En 1926, l'artiste publie un album de 26 planches "Quatre histoires de blanc et noir" où l'on retrouve les thèmes des bouillonnements organiques des plans diagonaux et verticaux, des tourbillons cosmiques et des formes zigzagantes. Dans la deuxième moitié des années 20, Kupka réoriente son art et développe un intérêt pour le machinisme, de même que pour le jazz.
En 1931 et jusqu'en 1934, Kupka adhère à Abstraction-Création, bastion de l'abstraction géométrique qui lutte contre la Nouvelle Objectivité et le Surréalisme.
Dans les années 1930, il évolue vers une peinture strictement géométrique surtout en noir et blanc. Désormais il dirige sa peinture vers une stricte orthogonalité "Trois bleus et trois rouges" 1957, aboutissement de ses recherches constantes sur l'abstraction.

On ne se lasse jamais de découvrir cet artiste qui demeura sous-estimé ; est-ce à cause de ses idées, de ses actions, qu'il a été pendant de très longues années "mis de côté" ?
D'autres faits peuvent expliquer cette désaffection.
A la fin des années 1890 il est engagé dans les milieux anarchistes du cercle montmartrois. Il met entre parenthèses pendant quelques années cruciales son évolution, ses ambitions de peintre pour se consacrer à des commandes de dessins pour la presse et l'édition afin de subsister matériellement. Ses premières œuvres sont marquées par la théosophie, l'occultisme, le spiritisme (Kupka avait été médium à Vienne) et les interrogations sur le mystère de la vie.
En quelques années, Kupka s'impose comme l'un des principaux dessinateur de la presse satirique du cercle de Montmartre. Il a des commandes importantes grâce à sa réputation et son talent pour "L'Assiette au beurre" l'un des principaux journaux satiriques de tendance anarchiste sous la IIIème république, "L'Argent", "Religions", "La paix". Il collabore aussi à Cocorico, La Vie en Rose, Les Temps Nouveaux, où il combat par l'allégorie et la dérision, l'injustice, les dérives de la société capitaliste, la corruption des pouvoirs, l'asservissement idéologique.

Enfin, depuis quelque temps, nous le redécouvrons, ce précurseur est remis "au goût du jour". Et à chaque fois, nous apprécions de nouvelles œuvres. Deux expositions notamment en 2002 ont contribué à cette consécration, dont une au Musée d'Orsay sur ses œuvres graphiques de 1894 à 1912, et une à la galerie Louis Carré & Cie. La plus récente fut sa participation au Musée d'Orsay "Aux origines de l'abstraction" fin 2003/début 2004.

Son tableau de 1908 "Le rouge à lèvres II" inspire également un de nos plus fameux artistes français, né en 1961, prix à la biennnale de Venise en 1997. D'ailleurs, c'est l'une de ces œuvres prémonitoires qui reconnaissent a posteriori leur origine dans un travail plus ancien.
L' œuvre contemporaine est "Le mètre carré de rouge à lèvres" de Fabrice Hybert , une de ses premières installations de 1981. Il s'agit d'un monochrome rouge parfumé, dont la confection a nécessité pas moins de 17 bâtons de rouge à lèvres patiemment appliqués sur un panneau de bois d'un mètre de côté.

C'est le goût de la cerise sur les lèvres de Kupka.

Elisabeth Petibon
Montpellier, avril 2004



Kupka, "Les disques de Newton", 1911/1912

Pavillon du Musée Fabre, Esplanade Charles de Gaulle, 34000 Montpellier, du 6 mars au 30 mai 2004
Ouvert tous les jours de 13h à 19h, sauf le lundi. Gratuité le 1er dimanche de chaque mois
Tél : 00 33 (0)4 67 66 13 46

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