Joëlle Delhovren
Portraits de chair et d'âme. Sans gravité ?
Joëlle Delhovren
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Joëlle Delhovren
Joëlle Delhovren
 

Joëlle Delhovren, "Un monde sans gravité", 2007

 
Joëlle Delhovren est d'abord une portraitiste, dans la pure lignée des artistes anglais.
Une portraitiste puissante et sensible.
 
On peut sans doute, dans une première approche, identifier une filiation avec Lucian Freud. Mais au-delà de cette première évidence caractérisée par le même traité presque aquarellé de ses toiles, les touches puissantes de son geste et les coloris sans concessions de ces visages ciselés, on observe très vite qu'elle développe un univers très personnel. Elle crée de "vraies gueules", sans repentir, comme celles du cinéma de Gabin et saisit des morceaux de vie intenses, des sentiments exacerbés. On devine ses propres références de vie, ses doutes et son empathie avec un monde sur lequel elle projette un regard acéré, sans illusion d'où pourtant, la fraîcheur et une forme de douceur ne sont pas totalement exclus.

Elle offre un message complexe et une lecture à plusieurs entrées. On peut lire, notamment dans son traité étonnant du sujet des enfants, une proximité de fond et de forme avec les frères Chapman et Grayson Perry, artistes du Turner Prize 2003. On pense à Dinos et Jake Chapman pour leur représentation lucide, cynique de la mort et de l'horreur masquée et détournée par l'inclusion de symboles Disney ou issus des cartoons. Et à Grayson Perry, dont les céramiques parlent des perversions sous l'apparente élégance cossue de l'objet. Une gravité masquée. Sans gravité ? comme l'évoque l'un de ses titres.

Elle réfléchit sur les apparences et remet en question l'esthétique d'un monde lisse, maîtrisé, tout en faux-semblants. Elle traque l'illusion, le mensonge, les aveuglements d'une société consumériste et destructrice. Elle traque l'inutile et projette ses personnages dans des abysses, profonds, méditatifs, intenses. En arrière plan de ses visages d'enfants, elle laisse des traces subtiles et fortement symboliques, des traces discrètes de pattes de cochons, ou parfois la présence directe de ses animaux "à croquer". Le symbole est violent. Elle évoque, détourne, accuse.
Son travail en devient plus acéré, douloureux, empathique. Elle joue avec l'impensable. Dit sans dire. À charge au spectateur de comprendre.
Le canard jaune de la petite fille du tableau intitulé "Toys" a quelque chose d'ambigu, de surdimensionné il est celui des bains des petits, mais il est aussi le sex-toy inavoué.

Si elle développe une extrême virtuosité technique, une fluidité de la touche picturale sèche, vive, qui rappelle les frottis, elle approche les chairs avec une sensorialité puissante, sans complaisance. "Je veux que la peinture fonctionne comme la chair", disait Lucian Freud. Et ça fonctionne.

Dans ses portraits récents, on la voit développer des mises en scène nouvelles avec l'introduction d'objet signifiants rattachés à l'univers présupposé du sujet ou choisis par celui-ci. Ainsi, laisse–t-elle le sujet s'exprimer, comme dans les portraits de la Renaissance où les commanditaires choisissaient leur univers d'objets référents, leurs symboles de pouvoir, elle autorise ainsi ses modèles à apporter une définition induite de leur vision d'eux-mêmes. À participer au tableau.
Les modèles sont d'abord photographiés, elle saisit des instants de vérité méditative, et ils en deviennent infiniment vivants. Joëlle Delhovren dialogue avec l'espace de la toile et développe une représentation plastique de visages rendus avec toutes leurs aspérités, comme taillées dans la chair. La forte présence des rouges, les touches vertes – base des portraits de Rembrandt magistralement repris par Van Gogh – et les nombreux gris rendent tout le poids des chairs et l'incarnation.

C'est tout particulièrement dans ses carnets, pièces uniques que les collages divers, textes, morceaux choisis, jets spontanés sont conçus comme des coups de griffes et des cris. Peintures, et images de tous horizons se succèdent, elle y dépose ses phantasmes, ses émotions, ses doutes, ses peurs, ses colères et ses mémoires. Frida Kahlo, Lucian Freud, Frédéric Boyer, elle les invite tous dans ces mêmes carnets et ils contribuent à nourrir son rêve et à nous le révéler.
À chaque fois un sujet différent, mais une même révolte sensible, une même force rentrée, du jeu mais dans un engagement intense.
 
Edith Herlemont-Lassiat, Bruxelles, janvier 2008
 
 
 
Joëlle Delhovren, du 10 janvier au 9 février 2008, www.joelledelhovren.be
Galerie Libre Cours, 100 rue de Stassart, 1050 Bruxelles, www.galerielibrecours.eu

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