Interview de La Monte Young, exporevue, magazine, art vivant et actualité
Interview de La Monte Young

Cet Américain nous avait présenté une version élargie de sa Dream House à Lyon en 1999, installation composée d’ondes sonores périodiques générées par un synthétiseur et un environnement de Marian Zazeela avec ses projections colorées, ses sculptures, ses mobiles. Né en Idaho en 1935, il a commencé à composer des œuvres dodécaphoniques en 1956-1958. Après avoir pris connaissance des travaux de John Cage en 1959 durant un séminaire de Stockhausen à Darmstadt, il s’installe à New York. Ses travaux sont alors marqués par les méthodes de Cage (parfois, les morceaux sont de simples indications de comportement à suivre par l’interprète). De cette époque date également les premières pièces où une note doit être tenu pendant une durée indéterminée. En 1962, il fonde le Theater of Eternal Music. 1964 marque une nouvelle rupture dans ses compositions. Désormais, toutes ses pièces constituent autant de parties d’une seule grande composition, The Tortoise, his Dreams and Journey. Il rencontre alors l’ensemble de l’avant-garde new-yorkaise (Yoko Ono, les membres du groupe Fluxus, John Cale, Warhol). A partir de cette date, il est considéré comme l’un des plus grands compositeurs, notamment grâce à des compositions extrêmement longues comme Well-Tuned Piano (1963), The Four Dream of China (1962). Son étude de dérivé d’ondes sinusoïdales lui permet de créer des pièces ou l’effet psycho-acoustique du son continu vise à créer une vibration harmonieuse du système nerveux. Depuis les années 70, il étudie avec sa compagne Marian Zazeela, la musique indienne sous la direction de Pandit Pran Nath. Il a également joué avec Kronos Quartet, Terry Riley, John Hassel, John Cage.

Aujourd’hui, êtes-vous musicien ou artiste plasticien ?

Je suis d’abord un musicien. Si l’on revient à mon enfance la musique et l’art me furent enseignés très tôt. En fait, je suis né en Idaho. Alors que j’étais tout petit, la dépression nous a jeté sur les routes. Nous avons rejoint Los-Angeles. J’avais 4 ou 5 ans. A l’époque, il n’y avait pas de travail, personne n’avait d’argent. Nous avions continuellement faim. C’était vraiment très dur. C’est à Los-Angeles que j’ai reçu mes premières leçons de saxophone avec mon oncle. Plus tard, mon oncle Thornton a acheté une ferme dans l’Utah. Il a alors demandé à mon père de venir s’en occuper. Je suis resté 4 ou 5 ans dans cette ferme. Mon oncle Thornton, qui était le professeur de saxophone de mon père me donnait aussi quelques leçons en plus ce celles de mon père. J’allais souvent de la ferme à la ville où il habitait pour prendre des cours. A l’époque, j’étais fasciné par un transformateur électrique situé sur la route qui émettait en continue un son de fréquence pure. Mais cette expérience n’a eu un impact sur mes compositions que bien plus tard. Il était pour moi très difficile de me livrer à la pratique du dessin ou de la peinture et cela pour plusieurs raisons. Premièrement, il y avait tant de travail à faire du matin au soir qu’il était pratiquement impossible d’avoir une véritable pratique. Ensuite, mon père me regardait avec l’air de dire : pourquoi ne travailles-tu pas ? à chaque fois qu’il me surprenait dessinant. J’ai donc privilégié le saxophone. Mon oncle était par ailleurs un sacré bon musicien. C’est lui qui m’a enseigné la composition. Et puis, il faut aussi dire que nous allions à l’église mormone. Or, les Mormons encouragent chacun à participer au service. Je jouais donc du saxophone certaines fois. C’est dans cette église que j’ai donné mon premier concert, j’avais 5 ans. Je jouais des choses simples comme Ave Maria. C’est mon oncle qui avait arrangé cela pour moi. Ma mère m’a aussi raconté que je jouais de l’harmonica à cette époque. Je ne m’en souvient pas ! A l’âge de 7 ans j’ai joué dans l’orchestre de l’école. Rapidement, j’ai découvert d’autres musiques, aidé en cela par mon oncle. Avant, ma famille m’avait surtout fait découvrir les chansons de cow-boys. En effet, ma seule distraction était d’écouter la radio, j’ai assez vite découvert le Blues tout en continuant à pratiquer la peinture. J’étais donc très intéressé par ces deux façons de s’exprimer. Vers l’âge de 14 ans, j’ai véritablement fait un choix entre la musique et la pratique de la peinture. Je n’étais pas sûr de mon choix. C’est sans doute mon oncle qui m’a aidé à prendre ma décision. En me répétant que j’étais un bon musicien, il m’a conduit à privilégier un domaine ou je savais que j’étais naturellement doué. A ce moment, je venais de découvrir le jazz et je voulais m’inscrire à la John Marshall School de Los-Angeles. Mais pour répondre à votre question, je suis bien évidemment un musicien, mais un musicien extrêmement intéressé par les arts plastiques. Ainsi dès 1959-1960, alors que je composais Building the fire et Butterfly piece, je pensais à rendre mes compositions plus visuelles. A l’époque, l’université de Beckerley (Californie) avait un programme de concert du midi. Je devais jouer l’une de mes compostions : Vision. Or, j’ai demandé à ce qu’on éteigne la lumière dans la salle durant 13 minutes. 13 minutes de totale obscurité. L’effet était visible sur l’audience. Ils se demandaient ce qui se passait. C’est alors que je me suis interrogé sur ce que le public voulait exactement voir lorsqu’il écoute de la musique. C’est alors que j’ai rencontré Marian Zazeela. J’ai immédiatement compris que nous pouvions collaborer. Elle réalisait des peintures, pratiquait la calligraphie et surtout achevait son premier environnement lumineux. Elle avait également réglé les lumières pour un concert de Roy Jones. Dès les débuts de notre collaboration, elle a réalisé d’extraordinaires installations lumineuses pour mes concerts.

Faisiez-vous une différence entre musique populaire et musique savante ?

Mais il y a une différence légitime. Il y a de la musique sacrée et de la musique profane. C’est également vrai dans la musique traditionnelle indienne. Le temple, l’église existe dans chaque culture avec sa propre musique, sa propre tradition, et puis vous avez une musique plus populaire, une musique pour d’autres occasions que les cérémonies religieuses. Mais ce qui est particulièrement passionnant, c’est de constater combien en occident cette distinction est désormais caduque. Je pense que nombres de mes compositions jouent sur cette ambiguïté entre deux sortes de traditions. Je ne cherche pas à créer une musique d’église mais bien une musique pour la méditation, où vous êtes juste cool. Mon expérience avec le Blues Band participe aussi de ce débat.

Comment ?

Lorsque vous pensez au Blues, il vient du Gospel qui est un chant religieux. Le blues a donc toujours gardé un peu de cette expérience religieuse qui constituait son point de départ. En même temps, c’est une musique populaire.

Dans l’une de vos interviews, vous déclarez que toutes vos pièces sont du Blues.

Cela me surprend ! C’est une interprétation réductrice de mon travail. Mais il est vrai que beaucoup de mes compositions possèdent cet esprit spirituel que l’on retrouve dans le blues. Ce que j’adorais dans le Jazz c’était justement son côté Blues.

Comment avez-vous découvert le Jazz ?

J’avais environ 15 ans lorsque j’ai décidé de m’inscrire à la John Marshall School, qui était une très bonne école de jazz. A cette époque, je préférais improviser qu’écrire. Ecrire demande tant de temps. Je jouais également dans des grandes formations. C’est alors que j’ai vraiment découvert les enregistrements de Charlie Parker, de Lee Konitz, de Stan Getz et Lenny Tristano. J’ai alors compris que je vivais dans le passé avec mes chansons de cow-boy et tout ce que m’avait enseigné mon oncle. J’étais très intéressé par l’idée d’improvisation. Une fois obtenu mon diplôme, j’ai étudié la composition avec Eric Dolphy (que personne ne connaissait à cette époque) tout en jouant avec des gens comme Billy Higgins et Don Cherry. Plus tard au L.A. City College, j’ai rencontré Don Friedman, un excellent musicien de jazz. Avec Steve Rosen on a formé un trio qui se produisait dans un club nommé Snake Pit dans le South LA. C’est là que j’ai découvert Billy Higins et Don cherry. Avec Eric, on jouait aussi de la clarinette dans un orchestre classique.

Comment êtes-vous venu à la musique classique ?

J’ai découvert la musique classique, et plus particulièrement la musique dodécaphonique quelque temps plus tard, lorsque je me suis inscrit au L.A. City College. Mon professeur était Léonard Stein, ancien disciple de Schoenberg. Sur ses conseils, j’ai découvert Debussy, Bartók et Webern que j’adorais. Vous devez vous rappeler que j’ai grandi dans une ferme ou l’on n’écoutait jamais de musique classique. C’est au college que j’ai entendu pour la première fois de la musique classique. Léonard m’a vraiment encouragé à composer. Il disait qu’en classique on avait plus de place pour l’expression qu’en jazz. Mes premières compositions sérielles importantes datent de cette époque (Five small pieces for string quartet). Après, grâce à une bourse, je suis parti assister en 1959 au séminaire de Stockhausen à Darmstadt. Il nous parlait beaucoup de la philosophie de John Cage et de sa méthode de composition aléatoire. A mon retour, je me suis installé à New York.

New York était alors une ville fantastique. L'art était partout. Il était possible de rencontrer des gens passionnants comme Richard Maxfield (I'un des pioniers de la musique électronique). Trio pour cordes, qui marquait mon engagement pour des compositions avec des tons soutenus et des silences, date de cette époque. Dans le milieu de l'avant-garde, j'étais très connu. On me considérait alors comme l'un des plus talentueux musiciens. C'est également à ce moment que Yoko Ono m'a demandé d'être le programmateur de la série de concerts qui se déroulaient dans son loft. C'était vraiment quelqu'un d'incroyablement dynamique. La première chose qu'elle m'a dite était qu'elle voulait devenir aussi célèbre que moi. Elle a toujours eu une idée très précise sur la manière de construire sa carrière. Je n'ai cependant jamais eu aucun doute sur le fait que sa relation avec John Lennon a toujours été sincère et profonde.

C'est à cette époque que vous êtes devenu l'un des membres de Fluxus ?

Fluxus fut pour moi une période très courte. J'ai très rapidement trouvé que ce qu'ils produisaient n'était pas très bon. Il y avait trop de gens. Certains artistes étaient vraiment passionnants comme Georges Recht et Ben. Georges Maccunas était un grand ami. A un moment où j'avais toujours faim, il m'invitait à déjeuner. C'était un homme exceptionnel. Il faisait tout ce qu'il pouvait pour les autres. Il ressemblait à Robin des Bois car il adorait prendre de l'argent aux riches pour le redistribuer aux artistes pauvres. Cependant, pour lui, Fluxus était comme un grand show de variété où il invitait celui-ci et celui-là. Les événements Fluxus étaient de ce fait assez déroutant, sans logique. La plupart du temps, c'était très drôle. Cela ressemblait aux Marx Brothers, mais en plus cynique, plus critique. Dans l'ensemble, il y avait quelques pièces très bonnes et beaucoup de mauvaises choses. C'est en 1965, que je lui ait dit "non, je ne veux plus participer à cela". Il tenait vraiment à ce que je compose une pièce et, comme je m'y refusais, il m'a proposé 50 dollars. J'ai finalement cédé et réalisé Composition 1965, Dollars 50. Georges et mois, nous nous tenions de chaque coté de la scène. Nous avons avancé l'un vers l'autre jusqu'au centre. Là, il m'a remis une enveloppe contenant un chèque. Nous nous sommes serré la main et ce fut ma dernière performance Fluxus. Il m'a payé plus tard avec un réfrigérateur et des tapis (rires). Plus sérieusement, je venais de terminer The Four Dreams of China (1962), pièce basée simultanément sur une grande liberté d'improvisation et des permutations symétriques entre les interprètes. Cette pièce m'a permi de comprendre que je désirais construire des œuvres musicales qui pouvait être joué très longtemps, voir indéfiniment. De là, vient mon idée de Dream House, un espace structuré par les lumières de Marian dans lequel une composition faite de notes ténues se poursuit à l'infini.

Quand avez-vous créé votre première Dream House ?

En août 1963. Nous voulions réaliser une œuvre où la musique pouvait être jouée en continu. Ainsi, elle devenait un véritable organisme vivant pourvu d'une vie et d'une tradition qui lui était propre. C'est en septembre 1966 que Maria a découvert le pouvoir des ombres colorées produites par la projection de lumières sur des formes sculpturales. C'est depuis devenu son médium privilégié. Assez rapidement j'ai utilisé des oscillateurs d'ondes sinusoïdales, des oscilloscopes, des amplificateurs et des haut-parleurs pour produire des environnements de fréquences continues. Nous avons réalisé plusieurs Dream House dont celle de la Documenta V, celle du DIA Art Center qui s'est poursuivie sans interruption durant six années. Les enfants adorent cette pièce. Sur les adultes, elle entraîne des effets très surprenants. En général, le sentiment ressenti est très profond, décrit en terme de bien être, de sérénité. Pour Maria et moi, les Dream Houses sont avant tout des lieux d'expérience spirituelle. Ce sont des œuvres qui interrogent simultanément le temps et l'espace.

Comment avez vous découvert la musique traditionnelle indienne ?

Pour moi, la musique classique indienne est essentielle. Je l'ai découvert à la radio dans les années 50. Puis en 1967, nous avons rencontré Pandit Pran Nath en écoutant une de ses chansons. Maria et moi avons été ensuite ses disciples de 1970 à 1996, année de sa mort. Il vivait la moitié de l'année chez nous. Etudier avec lui fut sans doute la chose la plus importante qui me soit arrivée. Nous sommes devenus, au fil des années des spécialistes du raga et du style Kirana. C'est avec lui que j'ai véritablement compris ce que signifiait la transformation progressive d'une note continue. Les ondes sinusoïdales que j'employais renvoyaient soudainement à des états psychologiques bloqués ensemble, sorte de temps de repos dans la tension du temps présent.

Qu'est ce que vous pensez de la musique techno ?

Des critiques m'ont dit que j'étais avec Brian Eno et John Hassel l'un des pères de la musique techno. C'est sans doute vrai. Bien que je ne soit jamais allé dans un club, je trouve leurs sons parfois très intéressants bien que peu d'entres-eux paraissent être de vrais compositeurs. Leurs idées d'improvisation autour d'un motif répétitif reste souvent assez pauvre.

Pouvez-vous nous parler du travail que vous effectuez à la Mela Fondation ?

La Mela Fondation a débuté en 1985. Toutes nos archives sont conservées là, mais aussi des dizaines d'enregistrements divers, ceux de John Hassel, John Cale et Tony Conrad, et toutes les sessions que nous avons réalisées avec Pandit Pran Nath et Terry Riley. Nous conservons également les partitions et archives de nombreux compositeurs (Angus MacLise, Terry Jennings...). Nous essayons aussi de réaliser quelques projets. C'est si difficile. Personne, aucune compagnie, ne veut éditer ce genre de musique. Certains s'imaginent que nous sommes millionnaires. C'est totalement faux. Le peu d'argent que nous avons passe dans nos installations.

Collectionnez-vous des œuvres d'art ?

Avec quel argent ! Nous n'allons presque jamais visiter les galeries. En fait, nous avons une petite collection. Quelques dessins d'amis, un livre d'artiste signé par Ben. Nous avons aussi de nombreuses publications et objets datant de la période Fluxus. Nous avions aussi quelques Warhol : une boite Brillo, un portrait de Jackie Kennedy et une peinture de la série des Cambell's Soup. Nous les avons vendu à la fin des années 60 alors que nous étions vraiment dans le besoin. Nous avions obtenu 1000 $ en 1968 pour le portrait de Jackie. Evidemment aujourd'hui, une telle peinture coûterait bien plus !

Quelles sont vos projets ?

En l'an 2000, nous aurons une pièce au Lincoln Center de New York. Ensuite, nous sommes peut-être invités à réaliser, en Avignon, une nouvelle version de la Dream House. Ce sera la plus grande et sans doute la plus réussie de toutes les Dream Houses réalisées jusqu'alors. Un immeuble entier est mis à notre disposition !

Damien Sausset

Il est possible d'obtenir de nombreuses informations sur La Monte Young (bibliographie, discographie...) sur le site de la Mela Fondation: http: //virtulink. com/mela

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