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Entretien avec Olivier Dordeit
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Ramsà, "tapis rouge", 2006

 
Ramsà, pouvez-vous nous présenter votre projet pour les Résonances avec la Biennale de Lyon ?

Pour faire partie de Résonance il fallait que mon projet réponde au thème de la Biennale "l'histoire d'une décennie qui n'est pas encore nommée" et soit accepté par Thierry Raspail. Je vais vous lire les quelques lignes que j'ai écrite pour présenter mon projet :

"Qui déroulera le tapis rouge pour le XXI ème siècle … et pour qui ? …
Les pions de l'échiquier change de couleur … les jeux sont faits.
Echec et mat aux blancs … ils sont sous le tapis … tant pis …
Le futur retournera le présent pour que le passé ne soit pas devant …"

L'ensemble du travail présenté à L'Attrape-Couleurs a été conçu à Salvador de Bahia au Brésil ou j'ai séjourné un mois pour faire une étude sur la négritude de cette ville. Sont présentées dans cette exposition des photos, une installation et une vidéo.


Quel lien faut-il voir avec votre précédent travail montré à Vitry en 2006 ?

A la Galerie Municipale de Vitry j'ai montré des photos, des vidéos et des installations où le corps était présent essentiellement à travers la notion de simulacre : photos d'ex-voto en cire (pieds, mains, yeux, oreilles, etc.) provenant du Brésil, du Portugal ou d'Espagne, désacralisés par des mises en situations particulières ; en quelque sorte la notion de corps en tant qu'élément vivant était soit mise à distance, soit confrontée aux moulages dans un dialogue décalé. Dans l'exposition de Lyon, les corps figurés dans les photos sont bien réels et interviennent en tant que protagonistes.
Dans la série de photos intitulée tapis rouge qui a donné le titre à l'exposition, le cadrage sur les pieds et les jambes des personnages met l'accent sur le rapport au sol que la danse africaine entretient, ce qui m'a particulièrement frappé lors des cours donnés à la fondation Vergier à Salvador de Bahia ; c'est la raison pour laquelle l'une des photos est inversée, donnant l'impression que les pieds des danseurs soutiennent le sol ; sur une autre photo, au contraire, les membres semblent s'envoler dans une énergie de vie étonnante, abandonnant pour un temps ce tapis rouge et sa misère, peut-être est-ce là l'image d'un pays émergent ?
Une seule photo dans cette série ne représente pas de personnage, mais des tongs de différentes couleurs abandonnées devant le tapis rouge, comme si celui-ci, malgré son usure, délimitait un territoire sacré ; j'ai travaillé la lumière de cette photo pour créer une impression de suspension, un peu comme un tapis volant. Enfin sur une autre photo, l'un des pieds d'un danseur est retourné et de couleur claire, un clin d'œil amusant par rapport à mon propos.


Vous questionnez, à la lumière de la société brésilienne, l'évolution du monde contemporain vers une société pluri-ethnique où la hiérarchie sociale serait modifiée. Que montre votre vidéo ?

Je ne suis ni sociologue ni économiste, mais on ne peut que constater que les pays émergents, la Chine, l'Inde ou le Brésil sont tous peuplés essentiellement d'ethnies d'origine variées et en nombre ; serait-ce une menace ? En ce qui me concerne, je considère qu'il s'agit plutôt d'un juste renversement de l'histoire ; en tout cas c'est ce qui est suggéré dans la photo intitulée sans nous où l'on voit de dos un groupe de brésiliennes noires vêtues de robes que portaient les esclaves au temps de la colonisation portugaise pour se moquer de leurs maîtresses ; cette photo prise dans la rue lors d'une fête, le soir a un côté intrigant, s'agit-il d'un complot, dont nous, spectateurs, serions absents ? Fantasme d'artiste ? L'avenir nous le dira…
Quant à la vidéo, elle a été réalisée à La Pierre–Collinet en banlieue parisienne lors d'une implosion de deux immeubles construits à partir d'un plan d'urbanisme de Le Corbusier, sous prétexte de vétusté, ce qui posa de multiples problèmes de relogements à la population. Ce film, monté à l'envers change complètement le sens de cet événement. Les premières images montrent des arbres tous blancs nous donnant l'illusion d'être dans un paysage de neige alors qu'en réalité, ils sont recouverts de poussière liée à l'effondrement, puis nous sommes entraînés dans une errance dépaysante à travers des gravats, le rythme tantôt lent, tantôt accéléré nous interroge sur ce qui se passe réellement, attentat à la bombe ? catastrophe naturelle ? Une population métissée court, semble affolée puis reste immobile devant un énorme nuage de poussière, quand les deux immeubles, au lieu de s'effondrer, se relèvent comme par magie………


Votre installation s'intitule c'est une question de peau

Cette installation est le fruit d'une rencontre que j'ai faite à Salvador de Bahia au Brésil ; tout autour de la cathédrale de Bonfim se sont ouvertes de nombreuses boutiques d'articles religieux, d'ex-voto en cire, de statuettes en plâtre peint représentant Jésus, les Saints, la Vierge Marie, etc. J'ai découvert, au milieu de toutes ces icônes, Anastasia, figure féminine à la peau noire et aux yeux bleus dont la bouche est recouverte d'un baîllon en plomb ; ce personnage, pratiquement inconnu en Europe m'intrigua ; après renseignement, j'ai su qu'il s'agissait d'une princesse angolaise noire aux yeux bleus qui fut vendu comme esclave à un maître blanc à la fin du XVIIIème siècle ; celui-ci essaya de la violer, Anastasia fit de la résistance et riposta en complotant une révolte d'esclaves ; pour la faire taire, son maître lui mit un baîllon qui lui donna le saturnisme dont elle mourut ; depuis, Anastasia est devenue un personnage mythique, symbole de la lutte contre l'esclavage et vénérée au même titre qu'un saint ; j'ai acheté plusieurs statuettes d'Anastasia, pensant réaliser plus tard une installation.
Par ailleurs, pendant ce voyage, je suis allée à Cachoera, petit village célèbre pour avoir été le premier endroit libéré de l'esclavage dans ce pays. Sur une place se trouve "la fontaine aux esclaves" comprenant sept visages africains en bronze très caricaturés ; de leurs bouches sortaient de l'eau que les esclaves buvaient avant d'aller travailler dans les champs ; j'ai photographié cette fontaine que j'ai fait tirer sur bâche. De retour en France, j'ai eu l'idée de faire de ces statuettes les pions d'un jeu de dames un peu particulier, c'est alors que le titre sarcastique de cette installation s'imposa : c'est une question de peau.


L'artiste du XXIème siècle peut-il encore espérer un statut de visionnaire ?

D'une certaine façon, oui ; mais il n'est pas le seul à être capable de se projeter dans l'avenir : les sociologues, les scientifiques, par exemple en font tout autant. D'ailleurs, beaucoup d'artistes flirtent avec ces domaines cognitifs dont ils nourrissent leur travail.
Cependant dans les propositions que font les artistes, on s'aperçoit que leurs perceptions du monde passent souvent par les filtres de l'introspection, de l'imaginaire, de l'absurde ou de la dérision, ce qui les rend singulières et intéressantes.
Je pense à Cyprien Gaillard, cet artiste qui vient d'acheter un terrain vague dans la banlieue de Moscou, coincé entre deux blocs de béton où s'alignent des volumes parallélépipédiques gris, qui deviendra le lieu où l'artiste pourra réaliser ses rêves qu'il définit si bien par cette phrase : "à partir de nos ruines, parler du temps plus que de la géographie".
Sa vision décalée du présent invite le spectateur à relativiser la notion de temps dans une perspective imprévue.
 
 
Olivier Dordeit
Paris, novembre 2007
 
 
Ramsà, Tapis rouge. Installation, photographies, vidéo, du 8 septembre au 20 octobre 2007
RESONANCE, Biennale de Lyon, L'Attrape-couleurs, place Henri Barbusse, 69009 Lyon, tel: 04 72 19 73 86

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