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France Culture

Critique et presse artistique

Masque

Masque, Musée Rath à Genève


À quelle époque apparaissent les premières revues artistiques ?

C’est difficile à dire. La presse artistique trouve ses origines dans les bouleversements du XVIIIe siècle. Il ne faut pas oublier que c’est précisément à cette époque qu’apparaît un nouveau public : le public bourgeois, très friand d’œuvres d’art. Pour cette nouvelle classe, l’art symbolise et légitime toute ascension sociale. C’est pour cette raison que les Salons du XVIIIe et plus encore ceux du XIXe siècle acquièrent rapidement une importance extraordinaire.
Les artistes produisent désormais des œuvres qui sont ensuite présentées lors de manifestations publiques que sont les Salons. Afin de dresser une hiérarchie au sein de cette vaste production, le commentaire, en tant que genre à part entière, apparaît. Ce commentaire critique, réalisé par des spécialistes du bon goût, nous en trouvons la plus parfaite expression dans les Salons de Diderot ou plus tard dans ceux de Baudelaire. Aujourd’hui encore la plupart des magazines d’art sont les lointains héritiers de cette époque. Leur but est bien de donner une information, de produire un commentaire et de dresser implicitement une hiérarchie entre les différentes productions artistiques.

Aujourd’hui, quelles sont les spécificités de cette presse ?

Cela dépend si l’on discute de son contenu, de la façon dont ces divers espaces d’informations tentent une médiation entre l’art et un public, ou si au contraire, nous nous intéressons à leur situation économique, à leurs parts de marché.
Dans un premier temps, il faut faire une distinction entre toutes ces publications. On pourrait hâtivement les répartir en plusieurs catégories.

La première peut être qualifiée de presse artistique généraliste. Ces magazines représentent le gros du marché. Leur tirage est systématiquement supérieur à 10 000 pour atteindre dans certains cas près de 70 000 exemplaires. C’est dans cette catégorie que l’on doit classer Beaux-Arts magazine, Connaissance des arts et L’œil. Ce sont des magazines où tout article est lié à un événement : une exposition, la sortie d’un livre, etc. Généralement, texte et image trouvent un juste équilibre, l’un enrichissant l’autre.

Parallèlement à cette presse, nous avons également toute une série de magazines ou bulletins plus ou moins spécialisés dans les ventes et la côte des objets d’art (L’Estampille et La Gazette de l’Hôtel Drouot appartiennent à cette catégorie). Ce sont des supports très suivis par un public d’amateurs et de chineurs. L’art contemporain ne les passionne pas.

Enfin, nous avons des revues plus spécialisées, des revues plus attachées aux différents phénomènes de la création contemporaine. Souvent plus théoriques, moins liées à des événements, ces revues se caractérisent par des tirages plus restreints, systématiquement inférieurs à 10 000, voire 5 000 exemplaires. Elles visent des micro marchés. Dans cette catégorie, on trouve bien évidemment Art Press, mais aussi Purple, Bloc-notes, Documents, ainsi que des revues consacrées à un domaine spécifique de la création comme la danse ou le graphisme, le design, l’architecture. Dans ces exemples, le plus souvent le texte et l’analyse priment sur l’iconographie. Ce sont des outils du savoir pour un public spécialisé (Mouvement, Zingmagazine, Etapes Graphiques). C’est aussi dans ce secteur que l’on rencontre les revues les plus innovatrices.

Ensuite, il convient de mentionner un phénomène relativement nouveau : l’apparition de magazines où la mode entre en interaction avec le monde de l’art. Ces magazines essentiellement anglo-saxons constituent aujourd’hui, pour le meilleur et souvent pour le pire, de véritables modèles en ce qui concerne le graphisme et la présentation générale. Leur philosophie : montrer des images, présenter les visuels de la création contemporaine. Dans ces revues, arts plastiques, danse, musique, mode, people forment un tout indissociable. Ce serait en quelque sorte des journaux féminins qui se seraient lancés dans une étude des diverses formes de la culture contemporaine. Le meilleur exemple est celui de Dazed and Confused.

Enfin, il convient de mentionner une dernière tendance propre à la presse française : celle de cette presse généraliste qui s’oriente vers un traitement complet de la culture sous toutes ses formes. C’était notamment l’objectif de la nouvelle formule de L’Evénement du Jeudi ou même des Inrockuptibles et dans une moindre mesure de Télérama. Même si ces supports ne fonctionnent pas tous très bien en terme de vente, il semblerait qu’il y ait réellement la place aujourd’hui pour un grand hebdomadaire de ce type.

Nous serions donc aujourd’hui à la veille de nouvelles mutations dans ce secteur ?

Cela dépend. Il faut savoir si l’on aborde ce sujet sous un angle économique, avec ses parts de marché, ses investissements, ses campagnes publicitaires ou si, au contraire, on envisage ces revues sous l’angle de la médiation artistique. A ce moment-là, il convient de voir quels sont leurs contenus, quelles sont les différentes approches, les styles et l’iconographie que chaque revue privilégie. Il est bien évident que dans ce domaine une revue comme La gazette de l’Hôtel Drouot n’a pas les mêmes objectifs qu’Art Press.

La presse artistique est-elle rentable aujourd’hui ?

La réponse dépend des revues. En ce qui concerne les petites revues qui s’adressent à un micro marché, c’est tout à fait possible. Les ventes et les recettes publicitaires permettent d’équilibrer avec difficulté le budget. En ce qui concerne les grandes revues, la réponse est non. Elles furent rentables durant les années 80 jusqu’au moment où la crise a totalement bouleversé les données économiques dans ce domaine. Aujourd’hui, à part un ou deux titres phares tels Beaux-Arts, cette presse n’est pas susceptible de dégager de forts bénéfices. Elle n’a pas les moyens d’être très rentable.

Premièrement, ses tirages relativement faibles en comparaison des magazines féminins ou même de décoration. De ce fait, une page de publicité est bien moins chère qu’ailleurs. Lorsque l’on sait que les recettes de ces magazines proviennent à 60 ou 70 % de la publicité, on détient une partie de l’explication.

De plus, les recettes publicitaires ont chuté de façon vertigineuse durant les années 90. Il y a quelques années, une revue comme Connaissance des Arts avait au moins 500 pages de publicité par an. Aujourd’hui, elle en dispose tout au plus de 300. Il faut savoir que les publicités proviennent majoritairement des marchands, des grands antiquaires, des galeries et des institutions. Comme ceux-ci ont vu leur marge fondre ces dernières années, le premier poste qui en fut victime a été la publicité. D’où l’importance pour ces revues d’être à l’OJD (Offices de Justification de la Diffusion). Cet organisme vérifie les comptes de chaque société et publie ainsi un chiffre relativement exact des ventes. Ce chiffre constitue une sorte de garantie pour les régies de publicité dans un secteur où l’opacité des chiffres est de mise. Nul ne connaît exactement les ventes d’Art Press ou de L’œil. Ce n’est donc pas un hasard si seuls les plus attractifs sur le marché, je pense à Beaux-Arts, ont su attirer les secteurs du luxe et les énormes recettes publicitaires que draine ce marché.

Ce recul des recettes publicitaires a donc contraint les rédactions à réagir. Le plus simple et le plus rentable en terme de vente a consisté à publier des numéros hors séries liés à de grandes expositions et de grandes manifestations. Moins onéreux que les catalogues, ils sont vendus à des dizaines de milliers d’exemplaires et sont ainsi très rentables. Même Télérama s’y est mis.

Enfin, il faut aussi avouer que la crise qui frappe ces grands magazines ne les a pas conduits à se remettre en question. Pour prendre l’exemple de la mise en page, les rares graphistes que j’ai interrogés m’ont tous déclaré que les revues actuelles paraissaient étrangement datées, comme si elles étaient incapables de refléter les tendances les plus novatrices du graphisme contemporain. Ces interlocuteurs étaient d’autant plus amers qu’ils pensaient que si un secteur de la presse pouvait effectivement innover intelligemment dans ce domaine, ce devait être la presse artistique. En fait, même si la plupart des rédacteurs en chef ont sous le coude une nouvelle formule qui attesterait de la mutation des goûts du public, aucun ne semble avoir les moyens financiers pour établir une vraie communication autour de cet événement. Il faudrait que ces magazines se lancent également dans des études de marché. Ils n’en ont pas les moyens. D'autre part, ces magazines ont-ils désormais les moyens de vivre uniquement sur un marché français ? L’avènement d’Internet en tant que réseau mondial d’information contraint tous ces supports papiers à s’interroger sur le futur de leur diffusion. Certaines personnes pensent même que les revues d’art telles que nous les connaissons aujourd’hui seront mortes dans 5 ans. Une publicité sur Internet est 6 à 7 fois moins coûteuse que sur un support papier. Pour un annonceur, le choix risque d’être vite fait. Reste cependant à savoir quelles seront les envies du public. Je ne suis pas certain que tout le monde se mette à lire et surfer sur le Net avec un tel entrain.

Quel est l’avenir de ces publications ?

En ce qui concerne les grandes revues, le temps où elles étaient contrôlées par une grande maison d’édition semble révolu (Beaux arts magazine détenu par Flammarion, L’œil du temps de Gallimard). Internet est actuellement en train de bouleverser toutes les données. Ainsi, on assiste aujourd’hui à une véritable bataille internationale pour le contrôle du marché de l’art. La surenchère à laquelle se livre Bernard Arnault et François -Henri Pinault en est l’exemple le plus flagrant. Il faut en effet rappeler que >Bernard Arnault avec son groupe LVMH est déjà propriétaire de grandes maisons de vente telles Phillips ou l’Etude Tajan. Il est aussi en possession de plusieurs sites Internet dont notamment eBay.com. Enfin, il semblerait qu’il soit sur le point de s’offrir Sotheby’s. François-Henri Pinault, de son côté, possède déjà Christie’s et bientôt, via son holding, Artémis, du Groupe Piasa. Lui aussi investit massivement dans le commerce électronique sur Internet. En fait, cette bataille s’inscrit dans une stratégie plus vaste qui consiste à contrôler l’intégralité du marché de l’art. Dans ce cadre, les revues apparaissent comme un élément important dans cette chaîne. Une revue est à la fois un fournisseur de données et une formidable base de données qui ajoute un surcroît de valeur à tout site Internet. C’est bien pour cette raison que ces groupes sont très intéressés par le rachat d’une revue relativement reconnue sur le marché. C’est ainsi que plusieurs rumeurs laissent à penser que LVMH serait intéressé par Beaux Arts Magazine. De même plusieurs Start Up se spécialisant dans le domaine de la vente d’art rechercheraient aujourd’hui un support papier susceptible de servir à leur développement.

Il semble donc que dans un avenir plus ou moins proche, nous trouverons quatre types de revues artistiques :
- Une presse à gros tirage soutenue par de puissants groupes financiers. Cette presse fonctionnera obligatoirement en synergie avec un site Internet.
- Des revues spécialisées dans un domaine précis et s’adressant à des micro marchés. Leur compétence reposera sur la qualité des informations et des analyses qu’elles fourniront.
- Une presse ou un site Internet géré(e) par des collectifs d’artistes.
- Des revues généralistes qui communiqueront sur toutes les formes de la culture contemporaine, de la télévision à la mode en passant par les arts plastiques et le cinéma.
Il faudra aussi étudier avec attention l’évolution des magazines féminins qui risquent rapidement d’empiéter sur ce domaine.
L’information d’une manière générale, et la culture en particulier, constituent les grands enjeux économiques de ce nouveau siècle.

L’art sous toutes ses formes ainsi que les loisirs sont donc au centre de ces stratégies qui ne vont pas tarder à bouleverser nos habitudes.


Damien Sausset

Extrait de l'émission Trans/Formes sur France Culture de Christophe Domino du 12 Avril 2000 :
Comment va la presse artistique ?
Autour de la table de France Culture: Catherine Millet (Art Presse), Alexandre Fort (Dada), Guy Boyer (L'Oeil), Fabrice Bousteau (Beaux-Arts Magazine), Olivier Zahm (Purple), Philippe Chevillet (Les Echos), Philippe Agea (ExpoRevue)


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