"Je suis à la recherche d'un espace, d'un objet ou d'une image sur laquelle je puisse m'arrêter quelques instants. Plus exactement, je suis à la recherche de quoi que ce soit susceptible de m'arrêter, de me retenir plus qu'un simple laps de temps… (Pour cela,) j'utilise ce qui est autour de moi, au plus proche de moi". Eric Baudart nous confronte à une réalité ordinaire, banale : une table, des bouts de gomme, les voitures du métro, une craquelure dans un mur ou encore une main aux ongles rongés, mais le regard qu'il pose sur ces objets n'est pas aride, stérilisé par la sclérose du quotidien.

Baudart se laisse séduire par ces images qui se révèlent comme des entités étranges, décalées, autant d'issues entrouvertes, qu'il n'hésite pas à franchir, vers une dimension autre.

Dans "Marble's gums", des morceaux de gomme atteignent une stature monumentale. Deviennent-ils des blocs de marbre, matières premières, formes en puissance ou s'agit-il plutôt d'un paysage rocailleux, désertique, lunaire ?
"Moving Spaces", un dvd de 5 minutes qui tourne en boucle, nous plonge dans un étrange couloir. Les voitures d'un métro complètement dépeuplé, étonnamment vide, glissent chancelantes dans une vertigineuse mise en abîme.
La peinture d'une des cloisons de la galerie gonfle et s'éclate, "Wall Boxter" est un orifice démesuré, une brèche, un passage vers lequel nous sommes attirés, un œil noir et vide, l'être obscur dans lequel meuvent des forces souterraines…

"Dans ces angles, dans ces coins, il semble que le rêveur connaisse le repos mitoyen de l'être et du non-être. Il est l'être d'une irréalité." (Bachelard, La poétique de l'espace). Mais où se trouve la limite entre réel et irréel, entre vrai et faux ? L'artiste nous met face à une question aussi vieille que l'histoire de la pensée, mais la nouveauté de sa réflexion réside dans l'actualité de sa proposition. Baudart se sert de l'informatique pour retravailler les images qu'il collectionne comme autant de "boîtes à secrets", il parodie le monde virtuel du III millénaire où ce qui nous apparaît n'est que fiction ou simulation.

Nous sommes tentés de nous exclamer avec Bachelard : "Oui, mais quand les critiques de la raison, quand les dédains de la philosophie, quand les traditions de la poésie s'unissent pour nous écarter des songes labyrinthiques du poète, il n'en reste pas moins que le poète a fait de son poème un piège à rêveurs."

Martina Russo
Paris, avril 2004