Le Bâti et le Vivant, Semaines Européennes de l'Image au Luxembourg

Georges Dupin

Georges Dupin, paysage Palestinien

territoires habités


archéologie urbaine


moderne/modernisme


frontalité/grille plastique


construit, panoramique


lieu, espace


paysage mental


intérieurs fictifs


réel/irréel


projet/réflexion


urbain/domestique


social/individu,


numérique, inconscient


fiction, artifice


virtuel, désir


jeu, possession


cellules/bunkers


souvenir/imaginaire

Après avoir traité de manière fort intéressante en 2000 des Trahisons du modèle, les semaines Européennes de l'image ont choisi cette année d'interroger la représentation des territoires habités sous le générique ouvert du bâti et du vivant. Partageant les lieux d'exposition entre le Havre et le Luxembourg -pôles fondateurs de la manifestation ouverte à la photographie contemporaine mais aussi à d'autres arts visuels tels que la vidéo, la performance notamment celle de danse - cette seconde édition s'est associée avec la ville italienne de Rubiera afin de prolonger cette ouverture européenne et de convier certains artistes reconnus ou à découvrir.
Le premier volet de cette programmation a commencé au Havre cet été - (voir l'article de S.Richard dans exporevue, "Le bâti et le vivant" Semaines Européennes de l'Image, - le second s'ouvre cet automne au Luxembourg.

Deux thématiques se partagent les quatre expositions proposées au Luxembourg. La première -qui se décline en trois lieux différents de la ville-: Lieux: présences - absences nous permet de retrouver une des figures phares de la photographie du construit mais aussi de la mise à nu de l'archéologie urbaine. Les photographies couleur et grand format de Stéphane Couturier sont en effet dans cette dialectique du moderne et du modernisme qui trouvait jusqu'à présent son identité visuelle dans une frontalité implacable et une grille plastique parfaite. L'accrochage présenté à la Banque Générale du Luxembourg, nous permet de convenir aussi d'une sensibilité extrême à la matière colorée de la nature et d'un intérêt critique aux ruines architecturales ou sculpturales. Alors que ses photographies de Séoul, Pékin ou Rome voisinent ici avec les panoramiques numériques de la vie urbaine de Marin Kasimir et l'espace absenté de Robert Wagner (parfois trop "à la manière" des plus médiatiques tels Gursky ou Struth ), celles où la verticalité des barres d'HLM provoque le vertige de la répétition ouvrent fort à propos l'exposition de La Chapelle du Rham sous le commissariat de Paul di Felice et Pierre Stiwer.
Si l'architecture intérieure de la salle d'exposition contraint le spectateur à éprouver un regard fragmenté par les cimaises, il n'en demeure pas moins qu'une ballade visuelle fort bien amenée nous permet de passer des superbes lieux cliniques de Walter Niedermayer aux sublimes paysages mentaux des intérieurs monochromes d'Aki Lumi. Le lieu se métamorphose en espace et l'humain de passage ou déjà disparu résiste seulement dans une silhouette de couleur chez Niedermayer jusqu'à ne plus être présent chez Lumi. Mais la densité blafarde du premier amène l'œil et l'esprit dans les profondeurs chairs du second. Et comme les Lieux ne sont que des Intérieurs fictifs récepteurs d'images et de gestes, pourquoi ne pas alors se laisser surprendre par les plongées citadines de Denis Darzac ou les espaces "cinématographiques" de Rut Blees Luxemburg. De l'excès d'extériorité de Couturier, l'on passe alors en douceur et beauté à l'excès d'intériorité où l'homme n'est plus là mais où tout le convoque dans ses plus intimes pensées. Du réel à l'effet d'irréel il n'y a qu'une étroite lisière que cette exposition nous aide à vivre le mieux possible.

En revanche, il n'est pas certain que le travail d'Ultralab soit aussi pertinent et heureux. Il n'est en effet pas permis à tout le monde d'exposer un projet, lorsqu'il prend l'aspect de la technique copier-coller tant le jeu des protagonistes semble avoir supplanté le travail de réflexion qui lui, rencontre toujours d'une manière ou d'une autre la pensée du spectateur. Difficile en effet de relier texte à la mode de trentenaire dépressif, avec bande sonore articulée aux nouvelles technologies et "chutes" de photographies d'appartement délabré hiérarchisées par un traitement numérique où l'esthétisme se substitue à un véritable langage plastique. Attendons donc le temps de la maturité pour cette "géométrie variable"… si tendance aujourd'hui…

Mais plus sérieusement, autre exposition à l'égal de celle de la Chapelle de Rham qui mérite la déambulation et plus; celle conçue par Christian Gattinoni à la Galerie Nei Liicht de Dudelange. Intitulée fort poétiquement La petite maison dans l'inconscient, et complémentaire de la présence/absence des Lieux urbains, elle prend position à partir de travaux déjà anciens mais à la portée critique toujours reconnue, ceux de Dan Graham (série des Model House, Staten Island, 1966-76) et d'Allan Sekula (School is a Factory, 1978-80) pour convoquer en douceur la dialectique de l'habité et de l'habitant, celle où se conjuguent l'urbain et le domestique, la forme et le corps, ou plus exactement le social et l'individu. Si nous pouvons regretter l'unique présence d'une œuvre d'Alain Bublex dans ses fictions numériques de Plug-in City 2000, ou de Gregory Crewsdon dans l'artifice sublimé de phobies enfantines, nous ne pouvons que nous laisser éclairer et même aveugler - au sens propre et au sens figuré- par les superbes "petites maisons lumineuses" de Yuki Onodera. Comme des lucioles irradiant de la nuit la plus profonde, elles éblouissent le regard de celui qui s'y laisse prendre et accepte de participer à l'intimité suggérée d'une vie protégée. Autre incursion dans l'espace privé des chambres de "l'Hôtel de l'image" qu'a construit Jean Nouvel à Lausanne et dont les plafonds sont les écrans du désir filmé par les plus grands cinéastes.
Philippe Ruault a saisi ce corps à corps de l'image et du corps dans un choix de prise de vue où le photogramme décripté anime inconsciemment le corps auratique d'un personnage mis en scène. Ce va et vient entre désir et inconscient, jeu et possession est aussi la thématique du travail hybride et maîtrisé de Morgane Le Gall. Œuvrant dans le milieu de la mode, elle s'autorise à croiser image argentique, dessin et image numérique pour transposer une architecture de monstration telle que celle du Palais de Tokyo en espace virtuel, véritable décor post-moderne pour vanité du corps exposé. Couleurs acides et gris colorés confirment un travail plastique juste à l'image de ce que les nouvelles technologies peuvent aussi permettre d'inventer et de sublimer. Gris aussi tout en finesse pour l'intelligente série duelle des photographies de Soazic Saindon. D'une part la fascination pour ces "cellules" du mobilier urbain que sont cabine téléphonique, bloc de toilette, automobile légère…d'autre part plan en surplomb des bunkers construits eux aussi pour nous protéger de l'Autre: subtilité d'un travail photographique à la limite perceptive soit de la mine de plomb soit de l'encre de chine et sensibilité nourrie où le signe et le symbole deviennent ce couple universel pour penser ce qui nous protège tout en nous enfermant. Lucidité des meilleures intentions de l'homme envers lui-même ou indexation de ce qui trame nos mémoires et identifie notre époque? En tous les cas un travail à suivre.

Mais cette temporalité mouvante où s'inscrivent nos souvenirs et où s'arrime notre imaginaire est aussi mise en images par le travail de photographies mais aussi de dessin de Florence Lebert et participe d'une série que l'on pourrait classer dans le reportage mais qui trouve sa finesse plastique dans un sens de la couleur particulier, celui de Patrizia Di Fiore. Dès lors, si la maison est toujours l'écrin d'un inconscient, fut-il individuel ou collectif, elle est aussi ce qui ouvre aux désirs d'images, ce que sait si bien faire la photographie à Luxembourg.

Michelle Debat,
octobre 2002

Semaines européennes de l'image au Luxembourg: du 26 septembre au 27 octobre 2002
Catalogue bilingue: Le bâti et le vivant, éd Café-Crème asbl, Luxembourg.oct 2002
Renseignements : (00352) 45 46 19 ou
cafecreme@compuserve.com
L'Art Workshop Luxembourg 2002 au Luxembourg
Le plan du Art Workshop Luxembourg 2002
Les oeuvres de Win Delvoye
Lire aussi "La ville, l'homme et sa demeure", au Havre

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