Les Albums "contés" d'Hugues de Wurstemberger
au Musée de la Photographie de Charleroi
Hugues Wurstemberger
Hugues Wurstemberger
Hugues Wurstemberger
Hugues Wurstemberger
Hugues Wurstemberger
Hugues Wurstemberger
Hugues Wurstemberger
Hugues Wurstemberger
 

Hugues Wurstemberger

Hugues de Wurstemberger. Fête de la St Michel, Djimma, 1998
© Hugues de Wurstemberger

 
 
 
 
"Ce qui m'intéresse avant tout c'est le vrai. Une photo n'est de toute façon qu'une mise à plat de la réalité, alors autant faire dans la simplicité. Et si elle est plus que cela, c'est parce qu'il y a un truc, et qui ne marche pas toujours, une espèce de grâce".

Le cœur du monde et le monde entier

Boulimique du voir, Hugues de Wurstemberger traque avec un appétit d'ogre, de préférence en noir et blanc, couleur - pigment de la mémoire, et en format carré ses sujets d'étonnement, devenus prétextes photographiques sous forme d'évènements de lumière. Il immortalise avec la stupeur innocente d'un enfant, non pas ses modèles, mais "le cadeau dangereux de son émotion".

C'est ce travail d'envergure inclassable, aux horizons vastes, "cette évidence tendue " que pointait chez lui Christian Caujolle, que le Musée de la Photographie de Charleroi nous invite à explorer. En présentant un diptyque rétrospectif de ce suisse installé en Belgique, enseignant la photographie à l'école du "75" et qui se fit connaître, au début des années 80, par la chronique insolite de son service au sein de la Garde suisse du Vatican.

Hugues de Wurstemberger résume la scission de son exposition en deux parties : "C'est d'une part le cœur du monde, d'autre part le monde entier". D'une part en effet, trois séries représentatives de son travail en Afrique, autour de populations en perte de territoire, en voie de disparition, en écho aux paysans suisses, lui tenant irrévocablement aux tripes. Lui, homme de la terre, fier arpenteur des alpages bernois, et gamin qui dût fuir l'Algérie en 62. Du Sahara occidental, de la Zambie jusqu'en Ethiopie, l'artiste propose des images touchantes qui démontrent qu'il n'est pas besoin de moments forts et violents pour dire les choses avec rigueur. "J'ai pris l'habitude de traiter les sujets plutôt invendables dans la presse, de miser sur un travail de fond plutôt que sur des a priori". Ainsi, loin des caricatures et des stéréotypes dont la photographie humaniste fait souvent les frais, cet helvète, à la manière d'un Eugène Alget, redonne un coup de fouet au style documentaire, revenant quand il le peut sur ses "marronniers", comme il les appelle.

"Le conte que je raconte"

D'autre part, le cœur de l'exposition est un ensemble qui constituerait à lui seul une rétrospective, et qui, malgré un attachement aux "petits riens" de son quotidien familial, échappe à l'anecdotique et laisse coi : "Pauline et Pierre", d'abord un livre, ensuite une exposition des photographies de ses enfants prises pendant dix-huit ans ou presque… Car un temps indéfini semble flotter au sein de ses triptyques étourdissants, entre légèreté et gravité, entre une réalité ne laissant aucune prise au trivial - comme ses chiens blancs morts ou vivants- et la magie orchestrée par la narration d'un récit fabuleux. "Ces images sont les dix doigts de mes deux mains, de la fille, du garçon, de Pauline et de Juju, frère et soeur, de la mère et du passeur. Elles sont fragiles et têtues, en vitrail, entrailles. Je les connais depuis si longtemps, patine intime, qu'elles me sont devenues légendaires, des bottes de sept lieues, le conte que je raconte".

Et le conte raconté par Hugues de Wurstemberger n'est jamais très éloigné des ombres inquiétantes d'Hansel et Gretel. Les tirages de l'auteur sont aussi appétissants -comme une maison de pain d'épices - qu'effrayants, tant chaque image se détachant du motif figuré porte secrètement des énigmes et émotions ambivalentes.

Les images subliminales et angoissantes des contes des frères Grimm ressurgissent comme par coups de baguette, le stupéfiant capteur d'images bouleverse l'échiquier des références : on reprend des allures de mômes effrayés face à une Pauline, de dos, égarée au fin fond d'une forêt hantée ; ou un Juju dans une rivière, isolé, tâtant ses cailloux blancs comme pour mieux retrouver son chemin ; et surtout, une grand-mère aux allures de marâtre tenant dans les bras un enfant, dont on ne saurait dire si le geste est protecteur ou touche son petit doigt pour savoir si l'enfant est assez engraissé pour être dévoré. Et puis cette femme tenant les enfants par la main : est-ce la mère ou une diseuse de bonne aventure ? Et l'homme dont on voit quelquefois l'ombre : le père ou un ogre affamé de chair fraîche ? Ou encore ces cygnes blancs, motifs récurrents chez l'artiste, sont–ils ces fameux enfants auxquels la méchante reine a jeté un sort chez Andersen ? À contre-pied de l'imagerie familiale habituelle, naïve et apaisante, il a transformé l'enfance de Pauline et Pierre en un territoire privilégié de l'imaginaire.

Une "inquiétante étrangeté"?

L'action se déroule au rythme des associations d'images qui tissent des liens fictionnels, tantôt aux limites du rêve, tantôt à celles du cauchemar. Une ambiguïté travaillée audacieusement en réunissant des images douces, sereines, et ombreuses, inquiétantes, parfois morbides.

Peu d'objets symboliques autour de ces mouvements interrompus et pourtant de ces êtres évanescents, de ces situations elliptiques qui pourraient être anodines, sourd une "inquiétante étrangeté", qui n'est pas sans rappeler les images sombres de Ralph Eugene Meatyard.

L'histoire que le photographe nous laisse inventer enracine les enfants à la terre, des formes délicates entrent en résonance comme la ligne qui sillonne l'omoplate de Pauline et le petit chemin d'une montagne enneigée, ou celle qui creuse la peau tannée de la grand-mère et l'écorce d'un arbre. Les visages des enfants et les empreintes éphémères émergent de l'obscurité sous l'effet improbable d'un éclat, d'un scintillement ou d'un reflet. Inlassablement, Wurstemberger immortalise avec un noir et blanc voluptueux, un dégradé d'émotions, la percée lumineuse, celle d'une végétation foisonnante, celle qui traverse l'eau du bain ou encore une marmite de géant. À la fois père de famille observateur et soucieux, témoin amusé, attendri, et l'enfant qu'il ressent, gamin curieux, effrayé ou meurtri, le photographe insuffle la vie et consigne avec habileté, dans une écriture astucieuse et poétique, ses «fragments» de souvenirs. Il était une fois un photographe ensorceleur, pratiquant tour à tour magie noire et magie blanche… "Beau cygne blanc, qui vogue sur l'eau, il n'y a ni bateau, ni passerelle, viens prendre sur ton dos Hänsel et Gretel"
 
Gretel du Réau
Bruxelles, juin 2008
 
 
Albums, jusqu'au 14 septembre 2008. Musée de la Photographie, 11, avenue Paul Pastur, 6032 Charleroi www.museephoto.be
Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h.

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