Turner Prize 2006, Tate Modern, Londres, exporevue, magazine, art vivant et actualité
Le Turner Prize est utile, mais reste-t-il fertile ?
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La ligne qui a présidé au choix d'artistes en 2005 se confirme : encore une année sans démesure, sans excentricité. La mise en distance finit par créer une distance sur nous-mêmes, est-ce là le but recherché ?

Comment imaginer qu'un événement d'art contemporain ne puisse se comprendre en aucune manière sans textes d'accompagnement circonstanciés, sans explications de texte mettant en perspective le chemin entamé par l'artiste et celui que le visiteur devra entreprendre, faute de quoi il restera seul face à ses interrogations, abandonné à des sensations abstraites et frustrées ? Encore un prix qui ne pourra se faire sans le soutien des guides, passerelle indispensable pour accéder au travail de leurs auteurs… Les œuvres ne se suffisent plus à elles-mêmes.
nostalgique

de ces

années

vivantes,

vivifiantes,

dérangeantes

Rebecca Warren
 
© Rebecca Warren, Loulou 2006, Reinforced clay, acrylic paint
Courtesy Matthew Marks Gallery, New York and Maureen Paley, London
 
 
Le jeu est un peu triste et manque de saveur. Je pourrais redire comme l'an dernier que "ce prix ne pèche pas par absence de qualité, mais nos esprits habitués à être challengés sortent de cette aventure avec le manque insidieux de la sensation vivifiante et perturbante à laquelle le TP nous avait habitués."

Une fois encore, le Turner Prize nous laisse orphelins de nos sensations intimes, et nous impose son chemin, cérébral avant tout, laissant loin l'humour caustique des frères Chapman, la provocation salutaire de Tracey Emin, ou la poésie brutale de Grayson Perry… Je suis nostalgique de ces années vivantes, vivifiantes, dérangeantes d'artistes qui mettaient en scène leur vision d'une manière sensorielle, parfois abrupte mais dont on sortait corps et cœurs malmenés, mais comblés.
 
 
Phil Collins
 
Phil Collins, they shoot horses 2004, courtesy Kerlin Gallery
 
 
Phil Collins
 
Phil Collins, baghdad screentests 2002, courtesy Kerlin Gallery
 
 
Ce prix 2006, dans la lignée intellectuelle de celui de l'année dernière ne m'a pas fait réfléchir, il a guidé une pensée stérile, peu approfondie, juste un effleurement de regard sur notre monde, et ne m'a laissé aucune marque profonde, l'oubli est au bout de cette visite. Quelques-uns d'entre eux – Mark Titchner – et Phil Collins - sont relayés à grand bruit par Frieze, marquant ainsi la convergence profonde de cette nouvelle foire devenue rapidement une institution incontournable et la Tate dont le travail pédagogique constant s'avère pourtant unique, exigeant, en un mot remarquable… relayé par la Tate Modern avec les travaux savoureux, ludiques, multiples de Fischli et Weiss.

Mais cette démarche essentiellement cérébrale laisse-t-elle une place à notre autonomie de pensée ? ne nous impose-t-elle pas à notre insu un regard formaté ? Seule la pensée doit-elle nous guider dans ces visites attendues ? Les silences, le ressenti intime, le frôlement de l'œuvre sont un chemin plus fertile que ces démarches intellectuelles, souvent sèches, désincarnées.
 
 
Mark Titchner
 
Mark Titchner, Turner Prize installation, Ergo Ergot 2006
Wood, steel, motors, electrical and mechanical components, DVD loop, monitors and speakers
Photo from Turner Prize 2006 exhibition at Tate Britain. Photo: Sam Drake and Mark Heathcote
© Tate 2006
 
 
Mark Titchner
 
Mark Titchner, How To Change Behaviour (Tiny Masters Of The World Come Out) 2006
Digital print, Wood, paint, metal, magnets, electrical components, quartz crystals
Photo from Turner Prize 2006 exhibition at Tate Britain. Photo: Sam Drake and Mark Heathcote
© Tate 2006
 
 
Turner Prize sans beaucoup d'âme et sans passion : la société et ses systèmes de pensées "mis en tension" dans les installations de Mark Titchner, les sculptures informes de Rebecca Warren "créant un dialogue avec ses maîtres", ou les peintures apparemment répétitives évoquant l'univers de Mansouroff de Tomma Abts, choisie pour la constance de son travail, et les reality-shows vus par Phil Collins, regard de voyeur contre le voyeurisme, paradoxe intime empreint d'une certaine sensibilité.

On peut s'arrêter particulièrement sur le travail de Tomma Abts, dont la persévérance, la méticulosité de la démarche répétitive, silencieuse, méritent en effet un regard attentif. Ses œuvres dont une des particularités est de toujours avoir le même petit format, permettent un regard intime et une entrée en silence dans son univers cinétique, peinture pure, recherche de formes géométriques, simples en apparence, et aux ombres portées subtiles développant de fausses perspectives, - on pense à Escher et ses constructions déroutantes, à la constance de Morandi dont les bouteilles répétées à l'infini dans un travail austère ont fait une œuvre solide.

Comme l'an dernier, la peinture est à l'honneur, sobre, presque ascétique, elle semble défier son éternelle promesse de disparition, elle nous interroge et marque sa réalité de sérieux et de présence discrète et sensible.

A noter la présence physique de Phil Collins à la Tate, dont le film de 24 heures, en turc, sous-titré en anglais, relate sur 2 vidéos gigognes les témoignages tendus de victimes de reality shows. Ils nous adressent les douleurs à fleur de peau parfois extrêmes de ces gens déjà marqués par des aventures où ils ont été trahis par des "vautours" de la télévision du réel, et sont interviewés à nouveau en détail sur leur vie et leur perception de cette même aventure télévisuelle. Étrangement, l'artiste a choisi de réaliser ce travail en Turquie, avec un spécialiste des émissions sur la chirurgie esthétique, dont l'empathie crève parfois l'écran.

Enfin comment contourner Mark Titchner, dont la démarche m'évoque celle de Simon Starling qui occupait le même espace l'an dernier, sans la poésie délicate de celui-ci, Il est aussi invité remarqué à Frieze, occupe un espace majeur dans les deux institutions, son immense panneau sur les "petits-maîtres" nous interroge certes, mais reste dans un domaine ludique et formel.
Edith Herlemont-Lassiat
Londres, octobre 2006
 
Tomma Abts
 
Tomma Abts, Ert, 2003, acrylic & oil on canvas, Boros Collection, Berlin
 
 
Tomma Abts
 
Tomma Abts, Epko, 2002, acrylic & oil on canvas, courtesy Greengrassi, London

Turner Prize 2006, du 3 Octobre 2006 au 14 Janvier 2007, Tate Britain, Millbank London, SW1P 4RG, www.tate.org.uk

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