"Un, Deux, Trois, Couleur"… au centre d'Art de l'Yonne

Dominique Lacoudre

Dominique Lacoudre

Si le premier





clin d'œil a





quelque chose





de rassurant,





la peur du





démon "couleur"





entretient





notre attention


Une fois de plus, le magnifique lieu où est implanté le Centre d'Art de l'Yonne, le château de Tanlay et ses communs, nous permet de découvrir ou de re-visiter, nombre d'œuvres majeures ou référencées et ce à l'occasion d'une exposition toujours riche en propositions artistiques et croisements historiques.
L'année passée, nous avions voyagé avec bonheur grâce au portrait "envisagé" en peinture, sculpture, photographie…cette année, c'est au tour de la couleur de nous faire déambuler à travers l'accrochage toujours pensé d'œuvres déclinant le bleu, le rouge et le jaune et ce en parodiant intelligemment ce trio fondateur tout en rendant hommage à la célèbre série de Barnett Newman "Qui a peur du rouge, du jaune et du bleu"(1966) et qui est aussi le titre de l'exposition.
"Clin d'œil et exorcisme", précise le commissaire d'exposition et directeur du Centre d'Art, Jacques Py, aura été l'enjeu évident du choix des œuvres. En effet, clin d'œil à l'image de ces références incontournables qu'auront été les plus grands, Mondrian, Matisse, Klein, Rothko… pour nous permettre de revoir la couleur découpée des tableaux de Judith Wolfe, la lumière charnelle de la matière picturale d'Eugène Leroy ou le dialogue pictural que les toiles de François Jeune entretiennent avec "l'atelier" matissien.

Mais si ce premier clin d'œil a encore quelque chose de rassurant, la peur du démon "couleur" est là pour entretenir notre attention tout au long des salles du Centre d'Art et son exorcisme aura donné la liberté aux artistes de décliner la couleur jusqu'à sa "figure" conceptuelle aussi intrigante d'ailleurs (Il n'est qu'à se laisser pièger par l'effet optique des raies colorées des tableaux d'Antoine Perrot ) que ludique (comment ne pas reprendre en chœur Shame on you sur lequel danse la baudruche filmée d'Hans Hemmert).
Ainsi, de John Batho qui matérialise par la seule sensibilité du support photographique le tuché de la lumière sur les sels d'argent à Katsuhito Nishikawa qui offre au regard et au corps tout entier l'espace vibratoire d'une couleur sans origine, si ce n'est celle de sensations colorées déclinées en fonction de plusieurs plaques de plexiglas teintes et suspendues, augurant l'image d'un livre de lumière prêt à être feuilleter au gré du vent, c'est en effet à une liberté essentielle que la couleur convie notre perception la plus aiguisée.

Sublime salle de la grande Galerie où alors se répondent les teintes d'un arc-en-ciel pastel que François Morellet a su magistralement conjugué en carreaux pointillistes, les subtils écrans de voile de Tergal que Cécile Bart a délicatement brossés et imprégné de couleur qui oscille entre transparence et opacité. Y sont aussi présentes les sculptures de Madé et de Gottfried Honegger, pour nous confirmer que la couleur est cette sensation perceptive qui a besoin de la lumière pour faire vibrer ses variations intimes et créer un espace d'entre-deux où le spectateur fait à son tour l'expérience de sa propre sensibilité.
La couleur libérée de la forme, devise chère à Fernand Léger, se libère à son tour du support pour atteindre à cette immatérialité, que le terme de virtuel a su aujourd'hui actualiser et parfois trop généraliser, mais que la couleur des peintres avait déjà su mettre en valeur. Et cette liberté de la couleur par rapport à un contour qui l'emprisonne, avait aussi été le souci de peintres aussi célèbres que De Vinci ou Cozens, pour qui la couleur–tache devait devenir un des moteurs de leur imagination ou le centre même de leur pratique picturale. Pas étonnant alors, que ce soit elle, cette tache de couleur, qui fasse sens dans les panneaux photographiques de John Baldessarri ou les dessins faussement enfantins de Dominique Lacoudre.

Mais, si la couleur libérée peut aussi être celle que peintres ou sculpteurs découpent dans des cassettes de bois, - comme le fait Jean-Pierre Pincemin –dans des papiers de soie recolorés et punaisés –comme dans la joyeuse série Ludo de Christian Bonnefoi -, ou dans des négatifs couleur agrafés du photographe Tom Drahos, c'est qu'elle est partout présente et à la disposition de ceux qui en feront bon usage. Jacques Villeglé nous le rappelle ici dans une de ses grandes compositions d'affiches lacérées tout comme Arthur Aeschbacher nous le propose dans deux tableaux où le collage officie en maître. Ainsi, le choix de faire avec "le démon" réactive le jeu chromatique des matériaux aussi utiles qu'oubliés et participe au ré-enchantement du monde par l'attention qu'il porte à la dimension poétique de notre environnement quotidien.
A cette dernière question, répondent d'ailleurs fort judicieusement "les tranches" de chantier urbain que Stéphane Couturier photographie déjà depuis plusieurs années, découvrant toujours aussi justement dans les entrailles de la ville, les collages surréalistes que l'activité destructrice de l'homme révèle à qui sait le voir. Mais l'acuité de l'artiste, son activité de prédateur et de radar sont là, dans cette disponibilité non préméditée à ce qui l'habite et qui un jour lui fera saisir telle découpe du réel ou telle recomposition de celui-ci.

Felice Varini, tout comme Georges Rousse ont opté chacun à leur manière pour cette dernière en proposant des photographies où la seule réalité de l'espace proposé est l'image photographique elle-même, redistribuant par son processus de fabrication et d'hybridation, avec une intervention graphique ou picturale préalables, une illusion optique digne des premières lanternes magiques. Mais il ne s'agirait pas de croire que la couleur fut toujours un jeu, elle est et aura été l'occasion de célébrer des petits joyaux de l'histoire moderne de la peinture tels que la salle dénommée "le manège" nous en offre dans son écrin de cabinet de curiosité ; Là sont rassemblées et choyées dans les vitrines des petites mais ô combien tentatrices œuvres de Sonia Delaunay, Aurélie Nemours, Imi Knoebel, Yves Klein…

Après ce ressourcement, nous pouvons accepter l'utilisation plus radicale que Tania Mouraud et Jean-François Dubreuil en font dans leurs propositions plastiques articulées efficacement sur les codes décoratifs ou typographiques.
Laissons alors le choix au spectateur de la promenade dans ce paysage où la couleur recouvre, révèle, disperse, où elle se mélange et s'étire comme dans les pièces moulées de Sylvie Turpin ou les balayages sensuels de Mariam Breeddveld.
Si nous pouvions jouer à "Un, Deux, Trois Couleur", la terre et le ciel seraient cet été à Tanlay, lieu où s'entend et se regarde le dialogue subtil que le démon de la couleur entretient avec les œuvres.

Michelle Debat,
juillet 2003

Felice Varini

Felice Varini


Qui a peur du rouge, du jaune et du bleu ? Communs du Château de Tanlay, 89430, Tanlay, du 2 juin au 28 septembre 2003
Centre d'Art de l'Yonne, BP 335, 10 route de Saint-Georges – Perrigny, 89005 Auxerre, tél : 03 86 72 85 31, email :
centredart@cg89.fr
Exposition de Vincent Barré, Relever-Révéler, Sculptures, Abbaye de Quincy, 89430 Comissey, du 12 juillet au 13 octobre 2003
Lire aussi le  Portrait "envisagé" à Tanlay en 2002

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