Circulez, y a rien à voir, Philippe Starck au Centre Georges Pompidou à Paris

Max le Chinois,
égouttoir,
© Alessi

L'exposition




d'un des plus




importants




designers actuels




ne présente




donc aucun




objet véritable…


Entendons-nous bien, les créations de Philippe Starck sont superbes. Belles et fonctionnelles, elles sont omniprésentes dans nos cuisines et nos salles de bains. Alliant l'utile à l'agréable, la bouilloire Hot Bertaa (1990) ou le tabouret Bubu (1993) ne cessent de nous surprendre.
De même, les aménagements intérieurs de Starck, font de tout hôtel ou de tout restaurant un lieu agréable, où il fait bon d'être vu. A Paris, le Café Costes est encore et toujours "le" café ; à New York, c'est bien au Royalton ou au Paramount que l'on ira loger ; à Hong Kong, il s'agit de ne pas manquer un dîner au restaurant Félix et à Londres, c'est bien à la nouvelle galerie Jean-Paul Gaultier que l'on ira se vêtir.
On l'aura compris, tout ce que le designer français (né en 1949) touche, à défaut de se transformer en or, se transforme en objet et en lieu irrésistiblement "in".

Mais là où le designer nous déçoit fortement, c'est quand il s'aventure à organiser sa propre exposition, la première qu'il consacre à son travail. En effet, après une période de curiosité et de gaieté à l'idée de voir toutes les réalisations de Starck rassemblées en un seul lieu, se substitue non seulement un sentiment de déception, mais surtout une impression de moquerie.
Il ne s'agit pas ici de débattre de l'originalité ou non du montage de cette exposition, mais bien de son contenu même. En effet, l'exposition proposée par le Centre Pompidou n'est pas, comme on pourrait s'y attendre, une exposition de design, mais une exposition "de" Starck, "sur" Starck et "pour" Starck. Explications.

Un clown virtuel, présent sur une télévision à écran plat, accueille le visiteur à l'entrée de l'exposition. Et que nous dit-il ? "Venez, venez, il n'y a rien à voir, il y a tout à recevoir ! Venez écouter le gros prétentieux qui dit qu'il a tout fait" ! Ah ? Le créateur se moquerait donc de lui-même, mais à quelles fins ? Starck veut-t-il nous révéler d'inavouables secrets qui se cachent derrière ses créations ?
Une fois passé le petit couloir et le rideau qui nous séparent du "Saint des Saints", quelle stupeur ! Nous voilà bien dans un nouveau sanctuaire, où Starck (où plutôt ses multiples) prêche la bonne parole.

Tout autour de l'immense salle ovale, délimitée par des rideaux sombres en velours, sont disposés une dizaine de socles, sortes de stations de pèlerinage, sur lesquelles trône un buste. Sur ces sculptures sont projeté le visage de Starck qui, s'adressant au public, tente de "s'expliquer" sur son travail. Au-dessus de ces têtes couronnées de lierre et de fleurs (Jules César ?), sont suspendus des écrans plats sur lesquels apparaissent les réalisations du créateur.
Face à chacun de ces prêcheurs sont disposées des chaises où les visiteurs sont invités à s'installer et à écouter la bonne parole du design. Un effet de cacophonie certain est atteint, de par les multiples voix du maître qui se mélangent. Il faut tendre l'oreille et faire preuve de détermination, afin d'entendre ce que Starck juge utile de nous dire.

L'exposition d'un des plus importants designers actuels ne présente donc aucun objet véritable, tout est dans le virtuel. On est tellement déçu par rapport à ce dépouillement extrême, qu'en tant que visiteur on se sent un peu obligé de s'asseoir et d'écouter le maestro, histoire de ne pas jeter l'argent du ticket d'entrée par la fenêtre. Une ultime ruse de Starck pour se faire entendre ? On a beau nous dire que le but de cette exposition est pour Starck de nous éclairer sur le pourquoi et le comment de son travail, ses déclarations ne suffisent pas à rendre cette exposition intéressante.
De même, "l'Ombre", la vaste sculpture en forme de nuage qui trône au centre de la salle, serait l'inconscient de Starck, et l'exposition la matérialisation de son univers mental. Mais de quoi nous parle-t-on ? Starck est un designer, pas un demi-Dieu qui va enfin expliquer au commun des mortels le sens de l'existence. Les créations de Starck embellissent bien notre quotidien. Pour ce qui est de ses réflexions métaphysiques, elles sont finalement un peu ennuyeuses.
Sous des airs de fausse modestie, Philippe Starck ne réussit pas à convaincre qu'il se moque de lui-même (volontairement ou involontairement d'ailleurs ?). On ne peut vraiment pas le croire tant tous les éléments mis en œuvres dans cette exposition le contredisent. Le proverbe anglais "fishing for compliments" trouve ici une application particulièrement appropriée. A éviter donc, sauf si vous voulez halluciner.

Sophie Richard
Paris, Avril 2003

Dessin de Philippe Starck
à propos de l'exposition
© Centre Pompidou

Philippe Starck, Centre Georges Pompidou, Piazza Beaubourg (4e), M° Rambuteau
jusqu'au 12 mai, tous les jours (sauf mardi) de 11 h à 21 h, tél. : 0033 1 44 78 12 33,  
www.centrepompidou.fr
Catalogue : Starck, explications, 300 p., 14 ill. couleur, 25 euros.

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