Paris. Deux expositions, l'une au musée Zadkine, l'autre dans le nouvel espace Baudoin Lebon bis, rue de Sévigné, qui interrogent les fonctions ontologiques de la photographie et du pictural. Deux artistes, Jan Dibbets et Bernard Moninot, qui questionnent le sens et les modes de fonctionnement du regard.
Moninot et Dibbets décentrent notre vision, pour décentrer notre pensée |
À anamorphoses, anamorphoses et demi.
Rue d'Assas, il montre, outre un triptyque inédit en France de 1978 (Saenredam-Hamburg), une série d'œuvres réalisées au cours de l'été 2003 à partir des espaces de la maison, du jardin et de l'atelier d'Ossip Zadkine, donnant à voir une multiplicité de points de vue. Ici, une nouvelle fois, l'image photographique s'ouvre à des procédures de représentation, au sens le plus pictural du terme, tout en réinterrogeant les différents paramètres du médium photographique.
Ce faisant, c'est par un jeu de va-et-vient entre lieux d'exposition et lieux exposés, entre contenu et contenant que se décline cette nouvelle proposition parisienne de Jan Dibbets, qui entre pleinement en correspondance avec le souhait du musée Zadkine de réactiver collections et espaces par une dynamique d'aujourd'hui.
Bernard Moninot, qui est né en 1949, vit et travaille au Pré-Saint-Gervais ; il est lui aussi enseignant (professeur à l'École des Beaux-Arts de Nantes depuis 1994). Il débute très jeune sa carrière artistique par sa participation à la Biennale de Paris en 1971, puis en 1973, où il présente ses premières Vitrines : un travail qui fut pendant ces années associé à celui des réalistes européens (exposition au CNAC en 1974, "Hyperréalistes Américains, réalistes Européens"). L'artiste poursuit toujours sa quête obsessionnelle de la transparence, du temps : "Lorsque je me suis intéressé à l'ombre, j'ai découvert la possibilité d'introduire le phénomène, c'est-à-dire une trace qui n'est pas laissée par une durée, par un geste", assure-t-il à propos des objets qu'il a construits lui-même, tels que ceux exposés ici dans Studiolo et Table & Instruments Improbables. "Les dispositifs que je mets en place, les outils, ainsi que les instruments capteurs me permettent, plutôt que de le concevoir, de faire advenir le dessin."
Le verre est le matériau de prédilection sous lequel s'inscrit le travail du praticien, qui ne manie ni crayon ni fusain, mais souffle cette espèce de poussière (silice, cuivre, indigo…) qui vient se déposer sur le carton préparé. Le résultat est à mi- chemin entre le dessin sous verre et la gravure.
Tous les deux, Dibbets comme Moninot, ont en commun, à force d'interférences formelles, de chevauchements, de structures réticulées, de grandes charpentes, etc, de jouer avec la perspective, l'illusion. La vie est un songe ; la vie est un jeu. Gaudeamus ! Cadrage rigoureux, goût pour l'architecture… La machine à vision est le sujet de l'œil, du regard. Un prodigieux kaléidoscope pour la rétine. Par les vitres, les aléas, les reflets, les courbes, les spirales, d'hallucinants déjantements, Bernard Moninot et Jan Dibbets (ils ont sensiblement le même âge) décentrent notre vision, pour décentrer notre pensée, mais tout en jouant la continuité historique, non la rupture. Qu'est-ce que le regard ? Qu'est-ce que la vue ?
Je songe aux Quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse (7/26 février 1964), de Jacques Lacan, lorsqu'il évoque la fonction scopique. Texte dans lequel d'ailleurs le psychanalyste parle de "réserve". "(…) réserve au sens où l'on parle de réserve dans une toile exposée à la teinture". Il y revient également sur ce qu'il avait précédemment appelé "schize de la vision et du regard". "Le "Je me voyais me voir" de la Jeune Parque." Ce "voir le voir" qui préoccupe Dibbets et Moninot, qui possèdent une manière bien à eux de saisir le monde, dans une perception qui trouverait son fondement "dans quelque chose qui concerne la structure retournée du regard".
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Bernard Moninot, Baudoin Lebon bis, 13, rue de Sévigné, 75004 Paris,
du 2 décembre au 22 janvier 2005, tél. : + 33 1 42 74 32 61 www.13sevigne.com
Jan Dibbets, Musée Zadkine, 100 bis, rue d'Assas, 75006 Paris,
jusqu'au 13 février 2005, tél. : + 33 1 55 42 77 20 musee.zadkine@paris.fr
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