Sculpture au Carré d'Art de Nimes
Thomas Schutte

Thomas Schutte, Sans titre, 1996, fonte d'aluminium, ©Adagp
André Derain

André Derain, Nu debout, 1907, pierre, ©Adagp
Une idée











superbe,











présentant











une véritable











histoire de











la sculpture











moderne et











contemporaine











pour les dix ans











d'ouverture du











Carré d'art











de Nimes



Sculpture

Réalisée à partir des collections du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, complétée par deux prêts consentis par le Musée Picasso et trois acquisitions du Carré d'Art, la sélection de l'exposition regroupe 74 œuvres de 48 sculpteurs. Elle couvre le XX ème siècle de 1910 jusqu'à la période actuelle et privilégie la sculpture à l'exclusion de l'installation.
La muséographie suit une repartition thématique et souligne la continuité, voire la confrontation des réalisations des grands maîtres du XXème, Brancusi, Giacometti, Arp, Calder…, dont les fonds structurent la collection nationale avec des œuvres contemporaines acquises récemment (Thomas Schutte, Gabriel Orozzo, Michel Blazy, Marc Quinn…)

Traditionnellememt liée aux techniques du modelage, de la taille confiée aux praticiens et de la fonte, la sculpture s'ouvre avec le XXème siècle à de nouveaux paramètres qui en modifient l'appréhension. Ainsi, bien que fondée sur un travail d'atelier autour du portrait et du nu, la pratique de Rodin peut être étudiée sous les auspices de notions telles que le fragments et le socle. Dans la deuxième moitié du siècle, plus que la peinture, la sculpture porte les questionnements des artistes sur l'intrusion d'objets quotidiens dans l'œuvre d'art, le partage d'un espace sensible avec le spectateur, le travail in situ, l'œuvre comme processus plus que comme objet terminé. L'incidence de certaines de ces interrogations à partir des années 60, accompagnée de l'entrée de la video dans le domaine artistique, ont promu l'installation sur le devant de la scène au détriment du volume sculptural, semblait il dépassé. Pourtant, la sculpture comme forme, centre au sein d'un espace, n'a pas disparu. C'est autour de cette persistence qu'est construite l'exposition.

Un étage est consacré sur la forme :

On commence par le plein/creux sur un ensemble d'œuvres de 1907 à 1935 sur un simplification de la forme, proche de l'abstraction et du cubisme. La notion de volume est repensée avec Brancusi et Derain. A l'instar des cubistes, de nombreux artistes revisitent des thématiques simples : le portrait, le nu, la nature morte avec Duchamp-Villon, Csaky et Laurens. L'équilibre dans l'asymétrie comme des moyens essentiels au rendu du volume.
Pendant tout l'entre deux guerres, le nu féminin est un thème courant avec Lipchitz et Brancusi. Durant les années 30, comme Laurens, Freundlich travaille sur les possibilités expressives de l'imbrication des masses. Picasso exploite librement les déformations issues du cubisme qui tiennent l'expression du fantasme autant que de l'analyse des plans, ce qui fit de lui l'un des artistes les plus revendiqués par les Surréalistes.

L'antiforme est une alternative aux formes géométriques simples. A coté des formes géométriques, les artistes étudient les courbes libres, leurs potentialités expressives et relient celles-ci à la croissance végétale. Les cours du Bauhaus, ceux de Klee par exemple, cherchent à cerner l'origine de le forme. Aux cotés de sa femme Sophie Taeuber-Arp, Jean Arp révèle dans l'appellation art concret la relation intime de l'art et de la vie qu'il souhaite promouvoir.
Ce rapprochement de la forme molle et des mots est perceptible plus de trente ans plus tard dans l'œuvre de Erik Dietman. L'extrême liberté de ses volumes évoque la façon dont on passe d'un mot à l'autre par contamination progressive dans le calembour ou la contrepèterie.
Chez Olodenburg, le mou révèle une véritable distance critique, il choisit des objets symboles de la vie américaine. Il s'attaque à l'idée de monument en agrandissant l'objet à des dimensions colossales ou en commentant une sculpture existante.
Par opposition au caractère monumental et définitif des œuvres de Moore et d'Antony Caro, Flanagan se tourne en 1966 vers des formes aléatoires dont la permanence ne semble plus assurée. Richard Deacon réalise à partir de matériaux de récupération des formes qui évoquent librement les organes sensoriels. Le mode de fabrication très évident (colle, nombreux rivets) renforce le mystère d'œuvres qui interrogent la limite entre intérieur et extérieur, envers et endroit. Michel Blazy souligne encore la fragilité de l'œuvre en utilisant des matériaux périssables, fruits, légumes ou papier toilette, symbole même du jetable. Celle-ci apparaît comme l'emblème d'un monde de plus en plus marqué par l'entropie.
Robert Morris étudie la possibilité pour une œuvre plastique d'exister sans forme.
Déjà, vers le milieu des années 60, Richard Serra, Robert Morris, Barry Flanagan s'intéressent à des matériaux tels que le plomb, le feutre, le tissu bourré de sable, la corde. Tous déplacent l'attention portée normalement à la sculpture comme objet terminé au procédé qui l'a fait naître.
C'est en noyant, à partir de 1977, du bois, des os, des pierres dans de la résine polyester stratifiée, que Tony Grand fait passer un objet ou un matériau, au tracé et à la nature déterminés dans une forme aléatoire qui se démarque de la géométrie des premières œuvres de l'artiste.

Figure

Toute sculpture, même abstraite, en raison de sa relation à la pesanteur, renvoie à l'humain. La présentation ouvre sur deux œuvres antithétiques de Penone et Chamberlain. Toutes deux traitent de l'idée de présence plus que de représentation. L'un souligne l'identité de l'homme et de la nature tandis que l'autre, américain, relie, non sans poésie, celui-ci à un objet-culte : la voiture.
En 1935, Giacometti retourne à la figuration et au travail d'après modèle. Il a longuement évoqué sa difficulté à réunir dans un portrait les multiples facettes du visage qui se présentait à lui et a relaté comment cette maîtrise n'a pu venir que d'une miniaturisation du modèle, les longues silhouettes minces sculptées à partir de 1947 expriment la vision aboutie de l'artiste. La matière grumeleuse aura une descendance parmi les artistes qui, de Germaine Richier à César, mais à de Kooning aussi, tendent à résumer tous les mythes et les aléas de la condition humaine dans la densité de la matière.
La confrontation des œuvres de Richier, de Kooning, Schutte souligne les sens différents que peut prendre une simple silhouette isolée en pied.
A l'opposé des têtes de plastiline qui illustrent l'attention satirique que Schutte porte aux hommes de pouvoir, ses robots surdimensionnés, agrandis à partir de figurines faites en terre, portent en eux la rhétorique vide des faux dieux.
Dans les œuvres de Séchas, Barbier ou Marc Quinn, la figure apparaît comme mannequin ou empreinte. Dans ces autoportraits, l'homme générique est malmené.

Le deuxième étage est consacré à l'espace

Le visiteur est accueilli par "5 Part Piece (open cubes) in form of a cross" 1966-1969 de Sol LeWitt. Travaillant sur la combinaison sérielle de formes simples, LeWitt génère à partir de modules identiques des œuvres différentes, dont les permutations sont en nombre infini. Evidé, le cube entre dans une relation forte avec l'architecture du Carré d'Art qui utilise les mêmes matériaux. Avec Takis, la forme entre dans une véritable cybernétique. Celui-ci introduit dès les années cinquante l'électricité, le magnétisme dans ses sculptures.

Constantin Brancusi

Constantin Brancusi, Mlle Pogany III, 1933, bronze, ©Adagp

Construction

La présentation ouvre sur le monument de la troisième internationale de Tatline, il poursuit dans cette œuvre l'expérimentation commencée en 1915 avec les Contre-reliefs de coin où le volume apparait comme une structure ouverte définie par les lignes de tension de matériau.
A mi-chemin entre architecture et sculpture, les frères Stenberg, ingénieurs, proposent des constructions qui abolissent la frontière entre art et réel.
Malevitch en travaillant sur ses Architectones sorte de maquettes pour des architectures spatiales, l'espace étant pour lui le lieu de rencontre de toutes les énergies physiques et spirituelles.
Brancusi introduit pour la première fois en sculpture l'idée de modules avec la colonne sans fin construite à partir de la superposition d'une forme toujours identique. En opposition à l'idée classique de composition, ce concept induit la possibilité d'une croissance infinie.
Carl André poursuit cette recherché dès les années 50 avec ses premières sculptures en bois. Empiler, poser, coucher, tresser sont les gestes de base à partir desquels les artistes ont analysé la sculpture. Tony Cragg suggère le mouvement et la croissance en classant les objets par ordre de taille, un procédé absolument simple qui conserve à chacun des objets son identité propre.
Bertrand Lavier se contente de superposer deux objets quotidiens pour créer du volume.
Vermeiren poursuit une analyse des composants de la sculpture dans ses premières œuvres à partir du socle. Plus tard cette approche analytique est rendue sensible par les contradictions physiques de l'œuvre. Toutes ces œuvres attestent de la fécondité posthume des recherches de Brancusi sur le socle.
Absalon passe au crible les fonctions vitales promues par l'école d'architecture moderne notamment le Bauhaus. Il les traite dans l'isolement et la neutralité que confère le blanc uniformément répandu sur ses formes. Daniel Buren a beaucoup exploré l'in-situ, car pour lui la fonction de l'œuvre est de donner à penser. Au cœur des relations qui se dessinent entre la pièce environnante et la cabane, il décèle la transformation de la forme centrale en sculpture par la seule présence du cadre offert par la pièce environnante.

Signe

Vers 1920-30, la forme-signe apparait comme une des premières contestations de la sculpture en tant que volume. Cette réduction de la masse est particulièrement perceptible dans l'usage du bronze ou du métal soudé chez Picasso et son ami Julio Gonzalez. Travaillant le métal directement à chaud, Gonzalez dessine la forme dans l'espace. Le matériau brut-plaqué, cylindre, baguette de métal est utilisé presque comme un objet trouvé, d'où l'étonnante modernité de ces œuvres.
Entre 1928 et 1934, moment de la pleine adhésion de l'artiste au surréalisme, les sculptures-objets de Giacometti traduisent une mécanique de désir basée sur l'attirance et la répulsion.
Avec Calder, le signe n'est plus allégorique mais bien réel. C'est après une visite à l'atelier de Mondrian en 1930 que Calder développe l'idée de mettre en mouvement des plans de couleur. Les premiers mobiles apparaissent en 1932, les stabiles en 1937.
Jean Tinguely introduit le mouvement dans des machines qu'il constitue avec des mécanismes et des objets récupérés. Certaine d'entre elles critiquent le rôle de l'artiste et de l'objet dans la société. Il rejoint le groupe des Nouveaux Réalistes par son usage d'objets, jouets, déchets de ferraille dans une sculpture dont la composition semble sans cesse près d'être mise à mal par le mouvement.

Espace de projection

Ce thème s'organise autour de l'intérêt montré dans certaines œuvres pour un espace prospectif, hors de l'espace réel.
Les socles, les vitrines ou les dimensions de maquette de certaines œuvres sont des barrières qui mettent à distance le spectateur pour mieux souligner l'existence d'un espace autre où s'exposent l'inconscient, le symbolique, l'expérimentation. Le Petit Théâtre, 1959 de Arp avec son ouverture centrale comme une scène et ses efflorescences végétales semble en être la pièce éponyme.
Lucio Fontana avec Concetto Spaziale (Scultura Nera  en 1947) exprime le souci "spatialiste" de passer au travers du miroir de la matière, affirmé également à la même époque dans ses peintures incises.
Giacometti, les reliefs correspondent à autant de règles et de conduits symboliques entrées dans l'insconcient. Ses sculptures apparaissent comme la représentation du vide dangereux au sein duquel l'individu se déplace.
Les œuvres de Calder très picturales, à cause de leur panneau de fonds, rappellent que ses premières œuvres sont liées au monde du cirque et semblent offrir un bref contrepoint abstrait à cet espace de représentation.
Cy Twombly est nourri de culture ancienne classique. Le blanc qui recouvre les objets les fait passer du statut d'humble memoranda à celui de monument sur le théâtre de l'histoire.
L'œuvre de Calzolari se fonde sur une symbolique du matériau : la lumière, le froid, le plomb, à partir de laquelle l'artiste cherche à atteindre le sublime.
Spoerri transfère dans le monde de l'art les objets quotidiens, rassemblés sur un étal de puces ou laissés à l'issue d'un repas. La verticalité qu'il leur impose crée pour eux un espace du regard complètement neuf.
Christo réalise en 1958 ses premiers empaquetages. L'empaquetage fait déborder l'objet de sa simple existence, le fait entrer dans un temps autre, celui des possibles : un déplacement, une manipulation qui dépassent sa simple présence. Cette salle rassemble des démarches où ce saut vers un espace autre abandonne toute allégorie et procède du travail sur un élèment de réalité.
Gabriel Orozco et Fischli/Weiss en poursuivent la logique. L'image et l'objet peuvent être perçus comme autant d'amorces de narrations ou de situations que l'artiste propose parallèlement au grand chaos du monde. Co-commissaires de l'exposition : Françoise Cohen, directrice de Carré d'Art, Musée d'art contemporain et Marielle Tabart, conservateur au Centre Pompidou, Musée national d'Art Moderne.

Une idée superbe, présentant une véritable histoire de la sculpture moderne et contemporaine pour les dix ans d'ouverture du Carré d'art de Nimes : elle rend hommage à la plus grande collection d'art française. Une exposition sur la sculpture comme on en voit très peu malheureusement. Il serait très agréable que ce genre de démarche soit suivie.

Elisabeth Petibon
Nimes, août 2003

Alain Séchas

Alain Séchas, Le mannequin, 1985,
mannequin en caoutchouc mousse, vêtements, cuvette en plastique et plâtre, ©Adagp

Carré d'Art – Musée d'Art Contemporain de Nimes conçue et
organisée conjointement avec le Centre Pompidou, Musée National d'Art Moderne
Place de la Maison Carré, 30000 Nimes, tél. 00 33 4 66 76 35 70
du 6 mai au 31 août 2003, ouvert du mardi au dimanche inclus de 10 h à 18 h
Voir aussi d'autres expositions au Carré de Nîmes :  
Fiona Rae, un retour aux sources  -  La peinture puissance deux, Carbonnet / Cuzin

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