Gilles Plazy : Projection privée, exporevue, magazine, art vivant et actualité
Gilles Plazy : Projection privée
 
 
Alors que la photographie bascule définitivement dans la neutralité proliférante du pixelocosme, oubliant le dualisme du négatif et du positif qui l'a nourrie pendant un siècle et demi, Gilles Plazy nous invite à jeter un regard jouissif sur la métaphysique de l'ombre et de la lumière. Une véritable orgie d'érotisme anti-platonicien.
caverne

de Platon

à contre-sens

Gilles Plazy
 
© Gilles Plazy, "manière claire"- Mains caressantes
courtesy Galerie Claude Samuel
 
 
Les Claires et les Sombres, ainsi pourrait-on appeler les deux familles de photos présentées à la galerie Claude Samuel. La manière claire tire sa brillance du marbre méditerrannéen des Vénus et Aphrodite antiques, la manière sombre fouille dans les ténèbres de l'imagerie pornographique anonyme la plus banale. Mais ces deux manières relèvent d'une démarche unique qui interroge le corps subjectif, le corps fantasmé, dans la violence du désir.

L'œil photographique de Gilles Plazy explore le corps de lumière des déesses de marbre avec une gourmandise d'amant. Il rend sensible la belle rondeur d'un mont-de-Vénus, l'ombre portée d'un sein sur un ventre. Ses gros plans sur des mains divines révèlent d'étranges jeux de narcissisme auto-érotique. Tout n'y est que volupté, luxe et lissité. Puis, traversé le mur de la splendeur diurne, le photographe interroge la pornographie contemporaine. Que veulent ces images ? Amener en gros plan sous le projecteur, avec une crudité plus qu'anatomique, physiologique, le contact intime des muqueuses au cours d'un coït, ce qui revient à réduire la rencontre de deux corps à un attouchement quasiment impersonnel, un échantillon statistique d'un événement platement observé. Alors, pour donner corps à cette rencontre, pour incarner la vacuité de cette image, il la travaille en chambre noire, il lui donne la profondeur du négatif photographique. Il la pare des prestiges de la nuit, il la noie dans les profondeurs glauques d'une chambre aux volets clos. Il l'habille d'encre noire sur la matité d'un papier sensible.
 
 
Gilles Plazy
 
© Gilles Plazy, "manière noire"
courtesy Galerie Claude Samuel
 
 
Gilles Plazy nous invite à visiter la caverne de Platon à contre-sens. Chacun connaît évidemment cette superbe parabole de la montée de l'âme de la sensation à la perception. (Le parler contemporain a quelque peu perdu le sens de ces vocables). Imaginons, raconte Socrate, des prisonniers enchaînés immobiles devant une paroi située au fond d'une caverne. Un grand feu est allumé très loin derrière eux et des personnes marchent à l'extérieur de la caverne entre ce feu et les prisonniers immobilisés, portant toute sorte d'ustensiles. Les prisonniers ne peuvent les voir, mais ils observent leurs ombres projetées dans leur antre souterrain. Pour eux, le monde se réduit à ce théâtre d'ombres de silhouettes noires portant des ombres d'objets.
— Voilà un étrange tableau et d'étranges prisonniers ! s'écrie Glaucon, l'interlocuteur de Socrate. En effet, répond le maître. Et de se demander ce qu'il arriverait aux prisonniers s'ils étaient libérés de leur contemplation forcée d'ombres au fond d'une caverne pour être brusquement confrontés au monde réel sous le soleil. Ils seraient assurément éblouis et aveuglés. Alors, comment monter du monde des ombres à celui des êtres vivant en pleine lumière ? Platon raconte les étapes visuelles de cette ascension : les ombres, les reflets dans les miroirs, puis les objets eux-mêmes dans la clarté croissante des étoiles, de la lune, du ciel nocturne puis enfin du jour solaire.
 
 
Gilles Plazy
 
© Gilles Plazy, "manière noire"
courtesy Galerie Claude Samuel
 
 
Curieusement, Platon décrit les étapes du processus photographique argentique. La lumière noircit toute matière photosensible, c'est une loi de la chimie. L'image photographique existe donc en tant qu'ombre invisible dans une émulsion avant d'être révélée au jour. Historiquement, il y a eu l'image-miroir du daguerréotype, puis enfin, issu du négatif, le positif qui seul peut rendre la plénitude du relief par le jeu de l'ombre et de la lumière.

Gilles Plazy propose un itinéraire à rebrousse-Platon qui part des déesses de marbre, ces formes idéales, dont ont été amoureux tant d'artistes depuis l'aube de la Renaissance. Puis, il nous présente des femmes de chair exhibant de manière de plus en plus précise leur nature au désir de l'homme, jusqu'à la précision abstraite d'une planche anatomique que le photographe renvoie à la caverne des origines. Cet antre obscur est le lieu de naissance du désir d'images.

La démarche de Gilles Plazy est parente de celle de Courbet, anti-idéaliste s'il en fut. Il l'a montré dans un tableau extraordinaire - non, pas celui auquel vous pensez - un paysage de grotte et de soleil, La source de la Loue, (Kunsthaus de Zurich). L'artiste célèbre la cavité profonde dont jaillit une eau sombre qui, à la lumière du soleil, se transforme en une écume irisée aux couleurs du monde.*
Michel Ellenberger
Paris, février 2006
Gilles Plazy
 
© Gilles Plazy, "manière claire" - Le mont-de-Vénus
courtesy Galerie Claude Samuel

Galerie Claude Samuel, 69, avenue Daumesnil, Paris-12, du 1er février au 3 mars 2007, www.claude-samuel.com

* Sur le tableau de Courbet, voir Bernard Marcadé, «Le devenir-femme de l'art» dans Fémininmasculin, le sexe de l'art, Centre Pompidou, 1995, p. 24.

accueil     Art Vivant     édito     Ecrits     Questions     2003     2002     2001     2000     1999    GuideAgenda     Imprimer     haut de page