Tu crois à ma posture, à mon regard, que je me centre sur mon vide, que je m'y résigne ou que je m'en apitoie? C'est que tu ne saisis pas la pudeur, oui, la pudeur, qui retient mes gestes, qui contient mes réactions de prière, qui réfrène mon mouvement vers toi. Ma tête, mon cou, mes bras, mes paumes parfois se tendent, ma bouche s'entrouvre, mais souvent il te faut deviner, discerner cet appel que je lance et que je rentre à la fois.

Ne vois-tu pas que ta présence à toi, regardeur, visiteur, spectateur, est incluse en creux dans mon corps appelant ? Tu ne peux rester observateur, tu me dois de témoigner que tu as perçu ma demande depuis ce qui est moins ma solitude que mon isolement.

Je persévère, en deçà, au-delà de ma mort, peu importe. Il m'arrive même de me dédoubler en isolements multiples. Mais jamais je n'implore, jamais je ne sollicite, je porte juste ma présence au-devant de moi pour qu'elle rencontre l'absence en toi.

Même ta honte à toi qui m'évites est inscrite dans l'espace qui m'entoure, et toi qui t'immobilises, capté par mon corps étique, ne sens-tu pas que ton dénuement, à ton insu, se met à répondre au mien ?

Et voilà qu'à mon image, tu te creuses, que tes bras veulent se tendre à leur tour, mais cette fois vers l'au-dessus de toi. Attention, ton appel risque de devenir plainte, ce que moi-même j'ai toujours refusé, et ta plainte se transforme en reproche, ce que tu dois t'obliger à taire.

Honte à Lui qui nous a faits misérables, as-tu envie de crier. Mais ne comprends-tu pas que ce n'est pas l'appel mais sa retenue qui fait de nous des êtres de dignité ?

Jean-Pierre Klein,
octobre 2002