Tony Oursler, Ces yeux qui nous regardent
 
lieux

du

regard
Tony Oursler
 
Tony Oursler Eyes, détail, 1996
Courtesy Tony Oursler et Metro Pictures, NY
 
 
"Quelque chose tourne autour du regard", analyse Jean-Luc Nancy dans son essai Le Regard du portrait (Editions Galilée, 2001, p.18). Il se concentre en effet dans le phénomène de la vision, dans l'iris fixé sur nous, une part énigmatique de l'individu qui nous fait face. L'œil exprime une intériorité dérobée et incarne l'attention portée sur le monde, lieu de jonction entre l'un et l'autre, entre représenté et spectateur. Tony Oursler fait dans l'exposition Dispositifs une large et impressionnante excursion dans les lieux du regard, symbolisée par la multiplicité d'yeux qui habitent les espaces du Jeu de Paume.

Le parcours dans l'exposition soumet le spectateur à une observation permanente, parfois dissimulée comme à l'entrée où un homme cagoulé le filme de son perchoir, ou au contraire frontale et affirmée, lorsque des yeux sont projetés sur des sphères et le regardent. L'œuvre est théâtrale et grandiloquente, les installations fonctionnent en suscitant une surprise un peu atterrée. Tels des cyclopes, des yeux énormes battent des cils avec un réalisme inquiétant. Dans l'expression de l'iris le portrait d'un individu se laisse deviner, pourtant destitué de son incarnation dans un corps et un visage. Même seul, l'œil porte dans ses mouvements des expressions de vie et est envahi par l'ombre de la mort lorsque des flots de couleur se répandent sur sa surface. Les face à face avec ces yeux hors pair(e), par la précision du rendu physique de l'œil, enclenchent une réflexion sur la nature biologique qui nous accompagne dans le moment même de notre participation à l'œuvre.
 
 
Tony Oursler
 
Tony Oursler System for Dramatic Feedback, 1994
Courtesy Tony Oursler et Metro Pictures, NY
 
 
Tony Oursler présente dans cette exposition une profusion d'images qui envahit les esprits et qui s'accompagne de mouvements sonores parfois discrets et diffus, mais parfois aussi imposants. Des maquettes architecturales au tableau multicolore, des scènes de rue aux mécanismes de l'industrie du cinéma, T. Oursler plonge ses spectateurs dans un plaisir teinté d'effroi où l'un transporte dans l'imaginaire de l'autre. Le dispositif fait le lien entre les pièces par la marque de l'ingéniosité de cet artiste qui ne fait des images qu'en créant des théâtres. Le spectateur circule parmi les décors, se laisse happer par les mécanismes et se retrouve pour finir projeté dans l'image de spectateurs de cinéma enfoncés dans leurs sièges et occupés à avaler des pop-corn, les regards obnubilés par ce qui est projeté à l'écran. Tony Oursler joue sur des registres doubles, fascination et recul, emprise et détachement, nous conviant à faire avec lui quelques tours autour d'un regard hypertrophié et un peu maladif, sujet privilégié de contamination de l'image.

Mathilde Roman
Paris, avril 2005

 
Tony Oursler
 
Tony Oursler Eyes, 1996
Courtesy Tony Oursler et Metro Pictures, NY

Dispositifs de Tony Oursler, commissariat de Christine Van Assche,
Jeu de Paume, 1 place de la Concorde, 75008 Paris, Jusqu'au 22 mai 2005,
www.jeudepaume.org
Au Domus Artium 2002, Salamanque, du 25 juin au 15 septembre 2005
Au Helsinki City Art Museum du 15 décembre 2005 au 19 février 2006

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