Joan Soulimant
 
Une robe. Une simple robe d'enfant. Photographié selon des angles et des mises en scènes variés, ce vêtement est l'unique sujet des images de Joan Soulimant.
mouvement
qui pousse
chacun et chacune
à devoir
affronter l'autre,
l'altérité,
l'inconnu

Joan Soulimant
 

Durant cinq années, de 1996 à 2001, elle a utilisé cet objet de son enfance comme support pour une mise à distance de son histoire intime mais aussi et surtout comme base pour une analyse critique de l'image photographique en général. La robe constitue donc un prétexte, prétexte évident bien que sublime grâce à la charge émotive qu'elle contient. Elle n'est qu'un point d'ancrage qui renvoie à une histoire privée, secrète, cachée dans les plis de la mémoire. Cette histoire, le spectateur n'y a pas accès. Simplement, il lui suffit de savoir que cette quête a pris fin avec la disparition de sa mère. Les images de Joan Soulimant n'étaient pas faites pour être cachées. Simplement, leur puissance émotive, leur enchaînement, les séquences qu'elles forment le temps d'une exposition avaient sans doute besoin de cette rupture douloureuse.

Tour à tour gris, rose, bleu, jaune, immaculé ou, au contraire, souillé d'une lumière trop forte, ce linge blanc de petite fille n'en finit pas de montrer les affres et les bonheurs de la vie d'une femme. Dans le creux des plis et déplis, chacun distingue des formes étranges, mouvantes, allusives, souvent captives, des formes qui semblent imprégner le tissu même, formes qui parlent d'amour, de sexe, de joie et de haine, de souvenirs, d'espoirs et bien évidemment de mort. Aussi, percevoir ce travail comme une stricte interrogation sur l'identité serait une erreur. Ici, aucune variation sur les égarements propre à l'enfance ou même sur les composants épars de l'identité féminine. Certes, ces aspects sont bien présents et apparaissent en filigrane dans plusieurs photographies. Pour s'en convaincre, il suffit par exemple de voir l'effet de ce travail sur certaines femmes ; comme si la fragmentation des cadrages évoquait pour elles les brisures de souvenirs amers. Ces images sont donc chargées, chargées d'une sensibilité si forte qu'elles dépassent la simple introspection pour aboutir à des paysages mentaux d'une rare beauté bien que la cruauté et la violence transparaissent souvent dans ces vues. Il faut aussi comprendre combien ces photographies sont extrêmement dépouillées, sans aucun autre artifice qu'une robe baignée de lumière face à un objectif. Difficile d'imaginer protocole plus simple. Les images sont là, dépourvues de ce hors champ qui souvent situe l'action. L'arrière plan suggéré renvoie le regard dans les plis colorés du tissu. Regard qui flaire, qui palpe la matière, la mémoire, s'y égare pour mieux trouver un chemin. Les plis duu souvenirs sont à porté de l'œil. Et par cette mise à vif même rejoigne l'universel.

L'art de Joan Soulimant répond donc à un mouvement et une exigence circulaire. Cette exigence, c'est bien celle de l'être qui dans un mouvement tournant se déploie du plus intérieur au plus extérieur, de l'intériorité caché à l'extériorisation qui aliène pour être ensuite, enfin réintériorisée. Ce mouvement sans fin et pourtant déjà accompli, mouvement qui pousse chacun et chacune à devoir affronter l'autre, l'altérité, l'inconnu. Hors, ce que démontre ces images tient dans le mouvement même de leurs construction. Se penser, c'est toujours se saisir par la vue, entrer dans le voir. "Dire dans la pensée grecque, nous rappelle Maurice Blanchot, signifie amener à paraître, faire apparaître une chose dans la figure qui lui est propre, la montrer dans la manière dont elle nous regarde et c'est pourquoi, la disant, nous voyons clair en elle ". Sans doute fallait-il les photographies d'une robe de petite fille pour nous dire cela.

Damien Sausset
Paris, janvier 2005

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