"Me lire entre les lignes", sur les photos de Francis Jolly

Francis Jolly

Des phrases




incompréhensibles




se déposent




sur moi comme




un tatouage

Moi et mon reflet dans la vitre qui recouvre l'image. Mon ombre se noie dans les lignes qui se délitent comme autant de replis de sable.
J'essaie d'y lire mon destin, je m'approche, mon buste se fond, se brouille dans une écriture improbable.
Je distingue un visage, mais est-ce le mien ? Je le regarde et son regard m'évite et me désigne les mots.
Est-ce moi dans une identité passée, comme l'encre qui est passée ?

Quel est le nom qui émerge ? Annibal ? Antoni ? Albert ?, anciennes traces qui font signe, vieux fonds d'où je détache ma forme ?
Tout se répond à présent et se découpe à la fois sur ces formes-là, celles internes se mêlent aux projections de papiers peints, de façades, de replis vagues, de vagues qui se replient l'une l'autre.

Je ne suis plus qu'un élément qui se délaie avec d'autres éléments et, ce qui m'effare, au même titre, pas davantage. Tout s'équivaut, ce qui m'entoure, ce que j'apparais, ce que je recèle au plus intime, et ces textes qui s'impriment, qui m'impriment plus qu'ils n'expriment, ces textes enfouis, à peine déchiffrables dont je sais qu'ils pourraient me fonder, peut-être, qu'ils pourraient me résumer, peut-être, qu'ils m'indiquent en tout cas.
Ils sont comme des doigts tendus mais vers où ? Fragments d'oracles, cryptogrammes dont le code est perdu, juste parsemés de ronds, de carrés, de chevrons.

Car leur contenu comme mon corps disparaissent maintenant, aspirés par une bonde, tels une sourate diluée par l'eau rituelle des marabouts. Forme assemblée à d'autres, je me décomposais ? Je me compose à présent dans un ensemble que je soupçonne ordonné.
Le blanc de mon front est le vide qui centre et organise l'envers qui s'impose dans l'infinité des noirs des blancs des gris comme mon univers même, comme un de mes univers possible. J'accède au réel plus réel que la réalité. Des phrases incompréhensibles se déposent sur moi comme un tatouage, ou plutôt comme un suaire, ou plutôt comme la révélation (photographique) d'une structure profonde.
Je deviens écriture moi-même. C'est moi que le drap de la page recouvre, le livre se replie sur moi et le papier du mur m'entoure, m'enveloppe et pourtant je n'étouffe pas.

Car une scansion surgit, un rythme, ce n'est pas suffocation, non, c'est la vie qui s'écoule, mélodie qui n'en finit pas - pour l'instant -, qui égrène ses messages énigmatiques comme pour multiplier mes identités et m'interdire de ne m'en tenir qu'à une.
La transparence est présence simultanée, le tremblé est mouvement, il se complète de la précision de la calligraphie, et la partition de mon existence bat la mesure sur mon visage qui devient vibration sonore d'une musique aléatoire.

Jean-Pierre Klein,
janvier 2003

Francis Jolly

Texte paru dans le numéro 76/77 de Art et thérapie, Noir/Blanc,tome 2, Appel à projections, décembre 2001

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