Didier Fiuza Faustino, une architecture spéculaire et plus encore :
au-delà du miroir, notre présent

Didier Fiuza Faustino

Didier Fiuza Faustino

architecte avant de se faire le chantre de la transversalité




il n'oublie pas que le centre de toute vision et des organes qui la synthétisent à notre esprit reste notre corps

Un temps, il nous faudrait préférer le présent au futur, et un moment, il faudrait cesser de confondre le visionnaire avec une futurologie aussi débilitante que le sous tend formellement ce néologisme. Didier Fiuza Faustino est architecte avant de se faire le chantre de la transversalité. Sans nier l'intérêt d'un regard attentif à l'ensemble du champ des savoirs, il n'oublie pas que le centre de toute vision et des organes qui la synthétisent à notre esprit reste notre corps. Corps dans son interaction avec l'extérieur, formaté par l'architecture et pouvant à son tour lui réserver le même sort. C'est le cas de l'assise "love me tender" dont les pieds, aussi acérés que chromés, lacèrent le sol, s'enfoncent en lui, une fois que notre masse corporelle répond à l'attraction, terrestre.

Au Frac Centre, où est exposée une somme importante de son travail, les différentes étapes de son processus de recherche se satellisent à la périphérie d'une architecture en bois percée de part et d'autre. De l'intérieur, où sont montrés trois objets architectoniques, le regard s'échappe avec contrainte à l'instar du jardin clos médiéval, cet hortus conclusus, dont le peu d'ouverture sur le monde matériel devait nourrir, de toute évidence, la construction intime du monde des hommes. Ainsi de cette structure, rappelant une trame forte de son fondement théorique, extérieur-intérieur, les ouvertures renvoient au cheminement personnel du jeune architecte. Elle montre comment ses expérimentations ont nourri des finalités propres, architecturales. Et propre est impropre car dès le début on s'intéresse à nos excrétions.

C'est la vidéo "trans in ex" présentant un homme transpirant à volonté au dessus de la focale d'une caméra. Celle-ci se mouille de cette sécrétion humaine qui engendre la difformité du rendu. L'intimité s'en trouve transformée et ne devrait pas tarder à révulser nos sens. Pourtant, derrière cette peau dorénavant bien trop luisante il reste le même, celui avec qui on interagissait presque sans trouble au début. Une démarche similaire avec l'hygiaphone, presque confessionnal laïque et donc déchargé d'un trop plein de culpabilité. Moquant aussi une ville et des liens sociaux que l'on voudrait sans miasme. Autant d'essais dont les succès ou les ratés s'agrégent en une pensée forte et singulière. Contrairement à nombre de sa caste, son humilité sert son propos et réactive avec élégance l'étymologie de son métier arkhitektôn, l'artiste et le technicien. Cela sert le discours car de l'analyse du corps dans l'espace, il n'y a qu'un pas théorique qui nous sépare de l'étude de l'individu dans son environnement, l'espace social.

Didier Fiuza Faustino

Méfiance pour le mauvais badigeon quand le béton brut des fondations n'est pas si laid à regarder. Il n'est pas de notre volonté de nier la dimension politique des ces travaux, mais s'arrêter sur ce débat, pire, transformer l'architecte en guérilléros de l'urbain ne ferait que nous détourner des questions essentielles. Bien évidemment "politique" mais comment une architecture un tant soit peu sensée ne s'occuperait pas de la vie dans la cité ? Une architecture qui donne du sens donc, et un architecte qui réfléchit. Voilà qui fait lien avec notre titre. Le spéculaire est ce qui reflète, on le dit de ces pierres comme le mica qui se feuillette en autant de micros miroirs. Un regard porté sur notre temps comme Peter Sloterdijk le préconise devant les capacités démultipliées de la biologie appliquée à l'humain. Pour celui-ci, les procès d'intention n'ont pas manqué, la crainte réactivée d'un nouvel homme issu des pires expérimentations de la guerre, la seconde et globale. Pourtant il faut réfléchir avec les données contemporaines avant de sauter une étape vers des systèmes parfaits finissant toujours par nier l'être en soi. Envisager le pire sans mensonge, c'est commencer par voir ce qui se présente devant notre visage ou lire celui de l'autre. Didier Faustino pense, pour partie, à une évolution, entre "Body in transit", "One Meter House" et "Casa Nostra", nous préférons le regard acéré de différents constats sur l'individualité permettant une spéculation ancrée au physique. L'individu, le même du Nord au Sud ? D'un pseudo vide vers un pseudo plein, vers l'immersion dans les richesses qui poussent aux pires extrémités. Cette caisse à usage humain transporte aussi l'idée, à handle with care, que l'occident attire et que l'on quitte la chaleur d'un hémisphère pour finir rigidifié par le froid dans le train d'atterrissage d'un avion.

"Body in transit" fut présentée lors de la 7ème biennale d'architecture de Venise qui s'intitulait "La ville : moins d'esthétique, plus d'éthique", elle est aussi à Orléans. D'un coût de fabrication faramineux, elle requiert les mêmes techniques que les caissons de transport des armes de pointe. Multipliez là et vous verrez s'installer une chambre funéraire. Etait-ce la fatigue et l'émotion facilitée qu'elle provoque, mais ce soir de vernissage, il s'engageait une lutte lacrymale devant ce totem contemporain indiquant le refus de la communauté des hommes et les mauvaises explications. Mais c'est encore exsudation et la forme sociale la condamne, de même que certaines questions. La "One Square Meter House" nous parle encore de l'individu dans sa contemporanéité. Un seul mètre carré au sol - enjeu du foncier revisité - et 17 mètres de haut, pour toi tout seul mon grand. Cette dernière bénéficie d'une extension ironique. Elle se trouve alors vantée, avec pour cible marketing les jet setters, réduisant les coûts d'une implantation dans chaque ville qui compte : "Get One Square Meter House™ now !". Beauté plastique de l'objet, étrangement dérangeant lorsqu'il est répété à plusieurs exemplaires en projection cavalière. Où se rencontre-t-on alors ? Peut-être dans Casa Nostra, un projet de médiathèque donnant de la légèreté à l'algeco de chantier, de la classe aussi, puisque dans le projet final ils doivent être dorés à la feuille. Il faut pénétrer dans le noyau central avant de se laisser happer dans une des différentes pièces, mu par la curiosité, la peur ou la recherche d'altérité. "The day we realised we were living sculptures, that was it. We gave ourselves to the viewer" indiquait le texte d'introduction de Gilbert and George lors de "An Exhibition" à la Kunsthaus de Bregenz en 2001. Dans un flash back comparatif n'oublions pas que leurs travaux photographiques des débuts s'intéressaient aux crachats, au sang et à la pisse.

Didier Fiuza Faustino

Ce projet parle aussi des néo-communautarismes et de ses réseaux, quelle pièce choisit-on ? Pourquoi y reste-on ? Pourquoi la quittons nous ? Il est question du choix et de sa sombre gémellité : le non choix. Plutôt que l'écoute stérile d'un concert de hauts cris, c'est encore un constat à réfléchir.

L'architecte et urbaniste amstellodamois Neville Mars pose, dans sa réflexion sur Hong Kong comme potentielle ville du futur, des questions qui se trament avec les travaux du Bureau des Mésarchitectures (Bureau rassemblant Didier Faustino, Pascal Mazoyer et Xaver Marshalek). Nés il n'y a pas si longtemps, ils participeront à nos constructions. Peut-être faudra-t-il parier sur le temps "de toute façon, il n'y a qu'à attendre un peu plus de dix ans qu'on ait la majorité : cinquante ans, l'âges des décideurs". Point trop d'attente, car ils ont beaucoup à faire.

Hugues Jacquet
Paris, février 2004

Didier Fiuza Faustino

Didier Fiuza Faustino, Bureau des Mésarchitectures, www.mesarchitectures.com

1 :1 1 :10 1 :100, Frac Centre, 12, rue de la Tour Neuve, 45000 Orléans
tél : 00 33 (0)2 38 62 52 00, du 30 janvier au 30 avril 2004, www.frac-centre.asso.fr

Ailleurs, ICI, L'ARC - Musée d’Art moderne de la Ville de Paris
au Couvent des Cordeliers, 15, rue de l'Ecole de Médecine, 750006 Paris, M° Odéon
tél : 00 33 (0)1 53 67 40 00, du 17 janvier au 29 février 2004, www.musees.paris.fr

Fight The Power, Galerie Gabrielle Maubrie, 24, rue Sainte Croix de la Bretonnerie, 75004 Paris
M° Rambuteauté, l : 00 33 (0)1 42 78 03 97, jusqu'au 6 mars 2004

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