Eco : art contemporain mexicain
 
 
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Sans orientation conceptuelle forte si ce n'est celle qui consiste dans la mise en place d'un lieu de résonances ouvert aux quatre vents, "Eco : art contemporain mexicain" fait un choix souvent dangereux, celui de réunir des œuvres sous le seul signe de leur identité nationale commune, et parvient pourtant à proposer des échanges de regards très convaincants. L'objectif principal de construction, une architecture signifiante unie par un système d'écho, permet une visite désordonnée, en chassés-croisés, au rythme des pertinences entr'aperçues puis réfléchies. Le Mexique reste la terre de provenance de ces expressions, mais leur trajet s'en va hors de leurs contrées, ici à la rencontre de l'Espagne et de ses visiteurs.

Un avion en papier plane au-dessus des rues, vire de bord, est happé par le regard d'un passant, et nous amène dans une perception très poétique de la ville de Mexico. L'artiste Conzalo Lebrija intervient sur deux plans avec "Concurso de aviones" (2001), en obtenant le concours de financiers et d'architectes pour le lancer des avions, mettant en jeu leurs énergies et leur adresse à prendre le vent et à éviter le crash, puis en ne montrant que des images où l'avion est autonome et semble seul à décider des aperçus que son trajet nous offre, et de sa chute finale. A mi-hauteur, emporté dans une virée de papier, le spectateur est invité à profiter de cette prise d'air sans appui économique ni technologique, au devenir précaire, mais à l'instant intense.
 
 
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Eduardo Abaroa manipule des pailles en plastique de couleur, les coupe en petits bouts inégaux et créé une structure étrange, globulaire, une "Echographie d'une infection" (2004), à l'image de l'écume dont le philosophe Peter Sloterdijk se fait le chantre contemporain. Les sociétés sont métaphorisées ici sous forme de petits cônes ouverts et agglomérés et non sous forme de sphères, mais elles présentent bien les caractéristiques pointées par P. Sloterdijk : un co-isolement, des "associations agitées et asymétriques de pluralités d'espaces dont les cellules ne peuvent être ni véritablement unies, ni véritablement séparées". L'œuvre est pauvre de par ses matériaux, mais riche de son pourvoir suggestif sur les fonctionnements humains et sur leurs vices, dans lesquels nous nous empêtrons.

Dans un espace de projection, trois écrans de taille différente nous immergent avec fracas dans un jeu populaire mexicain. Une trentaine de toupies parcourent une surface limitée et procèdent à leur élimination mutuelle. Les joueurs restent invisibles, seule la puissance de leurs gestes emplit l'image au moment du jeter des toupies. Dans des mouvements implacables, les toupies mettent à terre et excluent leurs partenaires jusqu'à ce que la dernière épuise à son tour sa rotation. Les cadrages, une esthétique noir et blanc, le traitement sonore imposant et l'absence d'échelle humaine dans l'image font de ce jeu un lieu de cristallisation impressionnant et angoissant, que le titre de cette pièce réalisée par Miguel Angel Rios, "A morir" (jusqu'à la mort) (2003), accentue encore.
 
 
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Heureusement, l'humour est également présent dans d'autres recoins de l'exposition, moteur d'œuvres comme celle de Betsabée Romero qui imprime des motifs préhispaniques sur des pneus de voiture, mais le ton reste globalement d'un tragique poétique, comme dans la performance photographiée de Marco Kurtyez qui, pieds et torse nus, fait son chemin de croix harnaché d'une large structure de bois blanche. La vidéo de Silvia Gruner "Away from you" donne également le ton en juxtaposant six lignes de natation d'une piscine que l'artiste traverse en crawl. A chaque fin de ligne elle se retrouve au début de la suivante, répétant son effort dans une portion similaire, sans jamais progresser, bloquée dans une variation sur de l'identique ne permettant aucune avancée vers de l'inconnu. Les références culturelles s'entremêlent avec brio dans ces échos, suggérant les nombreuses couches et contradictions qui font la contemporanéité du Mexique, et de nos sociétés occidentales.
Mathilde Roman
Madrid, mai 2005
 
 
Eco

Eco : Arte contemporaneo mexicano au Musée National Centre d'Art Reine Sofia, Santa Isabel 52, 28012 Madrid
commissaires Osvaldo Sánchez et Kevin Power, Madrid, du 8 février au 22 mai 2005 -
www.museoreinasofia.es
Peter Sloterdijk, Ecumes, Sphères III, Maren Sell éditeurs, 2005

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