Promenade à Chambord
 
 
En pénétrant sur le Domaine national de Chambord, une fois passé le mur de clôture long de 32 km, on perd ses repères. La route est bordée de forêt et nulle alternative à ce chemin goudronné ne semble possible. Au détour d'une route, on aperçoit soudain un château somptueux ; une apparition de conte de fées. On arrive. D'où qu'on vienne, on est frappé par le majestueux et le merveilleux de l'ancienne demeure royale. Ce château, au plan difficilement lisible de l'extérieur, est hérissé de tourelles et de cheminées. L'eau des douves sert d'écrin à ce joyau architectural.
Le bois

sacré

"La forêt

interdite"

L'utopie

de la

nature

Gloria Friedmann
 
Gloria Friedmann
 
 
C'est dans ce haut lieu de la royauté et de l'Etat français que le ministère de la culture et de la communication a choisi de donner le coup d'envoi de la manifestation nationale "Les visiteurs". L'idée est de puiser dans les collections publiques des œuvres qui entrent en dialogue avec des monuments nationaux, ainsi des œuvres de l'exposition collective "Esprits du lieu" au château de Tarascon, de Light Sentence de Mona Hatoum au château de Cadillac, ou encore des objets conçus par Matali Crasset pour "Cristal Palace" au château de La Motte Tilly.

A Chambord, réserve de chasse de nos gouvernants depuis François Ier, l'exposition s'intitule "Chassez le naturel". Elle s'articule autour de trois thèmes "Le bois sacré", "La forêt interdite" et "L'utopie de la nature". Les organisateurs de la manifestation (note de bas de page : Le ministère de la culture et de la communication, le Musée de la chasse et de la nature, le Domaine national de Chambord, sous le commissariat de Bernard Blistène et Claude d'Anthenaise) ont voulu rendre hommage à la faune et la flore du domaine en les invitant dans le château des princes, alors même que la forêt est de plus en plus repoussée des abords du monument. Pourtant aucun château ne se conçoit sans son environnement paysager. Ils sont complémentaires. Forêt, faune, architecture et décors castraux entrent en résonance avec la création contemporaine.

Passée la cour intérieure du château, on ressent deux fortes impressions face au brame du cerf de Gloria Friedmann et à l'escalier renommé de Chambord. L'animal fait écho aux sonneurs vêtus de vert qui font vrombir les cors de chasse. Haut perché sur un cube compressé de pages de magazines et de journaux reflétant la profusion et la marche toujours plus rapide de nos sociétés, l'animal empaillé est profondément évocateur des sous-bois de Chambord. Envoyé spécial, 1995, se conjugue avec le magnifique escalier dans la monumentalité et l'impression de force qu'ils dégagent.

Subjugué par cette architecture rondoïde, on est rapidement intrigué par la lumière verte qui se dégage du noyau de l'escalier. En pénétrant à l'intérieur, on se retrouve dans un cylindre percé d'ouvertures rectangulaires, envahi par la couleur. Le château de la Renaissance se transforme, l'espace d'un instant, en univers de science-fiction. On découvre, au fur et à mesure de la déambulation, qu'on est immergé dans des ambiances créées par Erik Samakh. Dans d'autres pièces est diffusée une bande-son des bruits qu'il a enregistrés dans la forêt de Chambord (de l'hiver au printemps 2005). Le pari de happer la forêt et sa faune dans le château est gagné tant l'impression créée par la diffusion de ce matériau sonore est intense. Elle l'est d'autant plus dans une pièce sombre, vide d'objets, mais chargée d'images lumineuses de troncs d'arbres et de branchages projetées. L'immersion est féerique.

De retour à l'escalier, un dialogue très doux s'installe entre celui-ci et le travail poétique et rude à la fois de Giuseppe Penone. Dans Arbre de 7 mètres, 1986, le cœur de troncs d'arbres est détouré et laisse émerger le cœur de quelques branches. La sculpture s'anime ainsi avec le noyau de l'escalier enveloppé de sa peau de pierre. Giuseppe Penone est également présent au détour d'une coursive ouverte dans un cabinet. Il faut passer la tête par la fenêtre pour admirer le mur peint de motifs figuratifs de jardins italianisants. Sur ce décor d'époque, s'offre au regard du curieux qui ose s'approcher Muta, 1992, composé de trois sortes d'entonnoirs en verre posés à l'envers sur une plaque de verre. Ils sont munis chacun d'une longue tige du même matériau sur lesquelles sont enfilées les mues de peaux de serpents. Au sol, sous la plaque de verre, l'artiste a laissé la trace de son coude reproduisant le mouvement de reptation.
 
 
Toni Grand
 
Toni Grand
 
 
En suivant son chemin, une galerie couverte, de laquelle s'échappent des petits piaillements d'oiseaux, s'ouvre à nous. Ils ne provoquent pas la même impression que ceux enregistrés par Erik Samakh. Six cages blanches juchées sur de hauts pieds jalonnent la galerie. L'apparition est saisissante entre ce mobilier blanc minimaliste et la pierre de couleur jaune pâle chaude du mur. En s'étirant le cou, on aperçoit de tous petits oiseaux qui chantent sans se préoccuper du visiteur. Suspension I, 1998, de Jean-Marc Bustamante est le symbole de Chambord et de la nature même que l'homme a besoin d'enfermer pour son plaisir, pour observer, pour protéger, pour maîtriser, …

A l'issue de la galerie, Sans titre, 1984, de Mario Merz surprend le visiteur. D'une très belle plastique, l'installation ne délivre pas de signification au premier coup d'œil. N'est-ce pas la réunion de deux œuvres, plutôt qu'une seule ? Non, les deux éléments se répondent. Alors, un élément à l'état de nature et un élément artificiel, dressé par l'homme, sortes de huttes primitives ? Un cône de métal se dresse, couvert de branchages fixés pour certains par de la terre, encerclé au sol, comme mis en valeur par des plaques de pierre aux bords de dentelles. Un second cône se dresse en vis-à-vis, œuvre de bois tressé, comme la nature policée par l'homme. L'éclairage électrique ajoute à l'artificiel.

La référence à des pratiques ancestrales, inspirées par la nature, est également présente dans l'œuvre superbe de Richard Long. L'approche du Cornwall Slate Circle, 1981, est forte et très intérieure. La mise en cercle de granits ramassés par l'artiste, acteur essentiel du Land Art, dans sa région natale provoque une sensation presque mystique de la puissance de la nature.

Le motif circulaire, symboliquement chargé, sert de motif principal à l'installation très réussie de Michel Blazy. Il apparaît à la fois sous la forme d'une spirale en papier aluminium tapissant le sol et de boules de coton, de pousses de blé, en lévitation, chevelues, sortes de météorites. Avec Le voyage des météorites, 1999/2000, l'artiste nous entraîne dans un univers mystique, originel et spatial. Michel Blazy a l'habitude de travailler avec des matériaux organiques. Dans ses créations, le temps et l'évolution sont partie intégrante. Dans quelques semaines, le blé aura certainement poussé et recouvrira peut-être les amas de coton blanc d'une chevelure verte.

La confrontation de l'architecture du château et de la photographie d'Eric Poitevin donne de l'épaisseur aux troncs d'arbres figurés. Face à ces images Sans titre, 1996, on ressent une force vigoureuse et une énergie silencieuse propres à la nature, notamment à celle de Chambord.
 
 
Giuseppe Penone
 
Giuseppe Penone
 
 
Avec les œuvres Butt to butt (large), 1989, de Bruce Nauman et Sans titre, 1992, d'Annette Messager, très différentes chacune, c'est la part animale du domaine qui réagit. Chacune est présentée dans une salle obscure de laquelle elle émerge. Dans l'angle d'une petite pièce, Annette Messager a créé une scène d'animaux empaillés, éléments qu'elle emploie fréquemment, dont la tête est encapuchonnée et qui disposent chacun d'une pancarte arborant une photographie de ces têtes cachées. Nous reviennent immédiatement à l'esprit de nombreuses images de médias, cachées dans le réservoir de nos cerveaux, depuis le ku-klux-klan jusqu'aux Mères de la place de Mai. Annette Messager adopte très souvent la forme animale pour suggérer les rapports humains, sorte de La Fontaine contemporaine.

Le côté inquiétant, étrange et violent de l'œuvre de l'artiste française se retrouve dans celle de Bruce Nauman. La nature n'est pas douce, paisible et bucolique. Que peut-il se passer dans les sous-bois sombres ? La sculpture en lévitation de l'artiste américain percute le regard, accrochée par la lumière des projecteurs qui ne voient qu'elle. Plus on s'en approche, plus elle peut choquer par ses membres disloqués, ses morceaux de membres (en mousse polyuréthane) collés entre eux sans pouvoir redonner aux deux animaux qui constituent l'œuvre, comme siamois, leur aspect normal. Serait-ce la reproduction d'un animal préhistorique ou d'un animal qui aurait subi les expérimentations médicales les plus folles ou encore, un bâtard impossible ? Cette œuvre, outre les questions qu'elle suscite, peut toucher le visiteur assez intimement et profondément sans qu'on ne décèle vraiment pourquoi.

Le pari de "Chassez le naturel" est réussi, même si certaines pièces manquent à mon avis d'épaisseur et sont trop anecdotiques, du coup trop faibles pour réellement dialoguer avec le joyau de Chambord. D'autre part, un fil protecteur des œuvres met à grande distance le visiteur. Elément frustrant, il ajoute à l'inverse, un certain charisme aux œuvres et impose le respect à l'égal du monument.

En France, les commissaires d'exposition ont une certaine habitude du riche dialogue qu'on peut instaurer entre le patrimoine et la création contemporaine (Château d'Oiron, Domaine de Kerguéhennec, Château de Rochechouart). La création contemporaine implique, outre les arts plastiques, une programmation de spectacles comme le préconisait le ministre de la culture lors du vernissage de "Chassez le naturel" (projet artistique mis en œuvre au Domaine départemental de Chamarande, faisant dialoguer une programmation d'expositions d'art contemporain et de spectacles vivants avec le patrimoine bâti et paysager).

Le château de Chambord accueille 700 000 visiteurs par an, la proportion de touristes étrangers étant évidemment importante. Cette exposition, ainsi que celles regroupées sous le vocable "Les visiteurs", présentées dans différents monuments nationaux, permettra aussi d'ouvrir le public étranger plus seulement à notre beau patrimoine, mais également à la dynamique création française (d'artistes français ou vivant en France), peu montrée hors de nos frontières.
Julie Sicault Maillé
Chambord, juillet 2005
 
Erik Samakh
 
Erik Samakh

"Chassez le naturel", Domaine national de Chambord, maison des réfractaires, 41250 Chambord, du 24 juin au 3 novembre
http://www.chambord.org/

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