Bethan Huws : ni à côté ni n'importe où, exporevue, magazine, art vivant et actualité
Bethan Huws : ni à côté ni n'importe où
 


All artists

make artworks











As selfish

as a painter











How did you

get here?




Bonnefantenmuseum B.A.C.A. Depuis 15 ans, Bethan Huws (1961, Pays-de-Galles) vit et travaille à Malakoff, en proche banlieue parisienne, presque dans l'ombre de la scène artistique française. Peu bavarde, l'œil à l'écoute, elle monte sur une autre scène, plus internationale. Suivie par des galeries et musées en Angleterre, Allemagne, Suisse et, depuis récemment, aux Pays-Bas, son œuvre multiforme aussi bien que peu nombreuse a mérité le prestigieux prix BACA 2006, en clair : un montant de 50 000 € et une exposition avec catalogue au Musée Bonnefanten. Par ce choix, le jury international présidé par María de Corral a fait preuve d'autonomie et d'originalité. Sciemment évitant les valeurs sûres aussi bien que le flux de talents toujours en émergence, contemporanéité oblige, celui-ci a choisi une force silencieuse et persistante, dont chaque œuvre semble évoquer le commencement de l'art même.

Citons le début du rapport du jury : "Sa première langue est le gallois, sa seconde l'anglais. Elle vit en France. Ces clefs qu'offre sa biographie indiquent l'aspect central de son travail : les traductions entre diverses cultures, les traductions d'expériences en concepts et vice versa".
Lieu de l'action : sous le soleil gris de l'Europe, à Maastricht exactement. Rappelons que dans cette ville "franque", on vit l'Europe au jour le jour, et ceci depuis toujours. Depuis l'européanisation récente de l'Europe, rien n'empêche à la Ville de traduire cette réalité quotidienne en un concept de marketing culturel. Et le Musée Bonnefanten de se profiler selon la même logique.

Le musée a fait preuve d'ambition en invitant, à l'occasion de la remise du prix à l'hôtel-de-ville le 23 septembre dernier, le philosophe Peter Sloterdijk pour parler de l'Europe, justement. Son discours fort académique, en allemand, traita, entre autres, du mythe de l'Occident autour du principe de la victoire par la perte originelle : la défaite suivi de la fuite à la recherche d'une nouvelle chance ailleurs. Dressant un portrait de ce mythe -qui remonte à la chute de Troie et qui s'est déplacé progressivement vers l'ouest, à travers puis en dehors du Vieux Continent- l'orateur finit par se demander où en est l'Europe à l'heure de la mondialisation d'aujourd'hui.
La réponse en resta immergée dans les longues phrases savantes, dont maints fins détails échappèrent à l'audience majoritairement néerlandophone. Ce ne fut qu'après cette séance que l'audience eut droit aux œuvres du lauréat et aux plaisirs de la bouche, au sens large du mot. Le discours du philosophe comporta plusieurs éléments que l'on retrouve dans l'exposition, qui présente un vaste aperçu de l'œuvre de Bethan Huws depuis 1988.

L'image mise en exergue dans la communication de l'exposition, présente un chœur de femmes bulgares rendant hommage à la mer sur la plage de Northumberland. La somptueuse image tirée de l'œuvre Singing for the Sea (1993) excite les émotions et sentiments, qui sous-tendent toute réflexion sur la migration permanente des identités culturelles.
Comme Bethan Huws rejette tout mystère autour de l'art, elle évoque dans ses œuvres des sensations directes, par une stricte économie des moyens.
Ainsi, l'œuvre devient-elle le domaine intime dans la relation passagère entre l'artiste et le spectateur. Comme Huws le dit elle-même, de façon succincte : "Une œuvre d'art n'est faite que d'une chose – une personne." Par conséquent, chaque œuvre qu'elle crée, est limitée par sa propre forme unique et se termine avec sa compréhension par le spectateur.
Si la définition exacte de la nature de l'œuvre et de ses effets semble répondre au goût moderne pour la sacrée transparence, cette transparence est elle-même productrice de secrets. L'art conceptuel, auquel bon nombre d'œuvres de Bethan Huws font allusion, en a donné l'exemple par excellence. Le problème se cache dans nos habitudes qui rentrent sans frapper et qui nous empêchent de "voir", c'est-à-dire : avec corps et âme.

Stratégiquement distribués dans les salles de l'exposition, des vitrines d'information industrielles aux lettres blanches sur fond noir et encadrées sous verre en aluminium, présentent des textes qui relient différentes réalités, dont celle du spectateur et des sources artistiques. Dans ces Word Vitrines, les jeux de mots y font office de portes donnant sur d'autres vues. Là, l'économie des moyens se transpose dans l'emploi de la langue proprement dit. Ainsi, un panneau au texte commençant par ON / ON KAWARA / 31.03.2006 constitue-t-il un hommage à l'œuvre de ce célèbre artiste japonais, conçu à l'occasion d'une exposition à coté des œuvres de celui-ci à Berne au printemps dernier.
Un autre panneau disant LLWYNCELYN, ni plus ni moins, est posé à côté de l'ouverture d'une salle de projection. Pertinemment gallois, le mot veut dire en français : "bois de houx", en anglais : "hollywood". Par ce panneau d'information, l'artiste s'approprie, à sa façon à elle, la légende du cinéma américain aussi bien que notre regard interrogé.

Derrière la cloison, on peut visionner les films : The Chocolate Bar et Ion On. Le second, d'une heure, présente un dialogue, en anglais, entre un commissaire d'art et un artiste, les deux joués par le même comédien, dans un délicieux paysage méridional aux ruines romantiques. On est captivé par le jeu et les plans superbes, même sans suivre les paroles que l'on peut consulter dans la même salle. Le "message" est dans la sensation, tout comme le sujet du premier film, le chocolat, évoquant, entre autres, la notion de la concupiscence dans la vie et l'art. Mais, sa maîtrise de l'image (que ce soit dans les dessins sur papier ou dans la langue cinématographique), ne cache pas que l'artiste insiste sur l'incompatibilité entre les différentes connotations visuelles, au contraire. En voici une référence à Marcel Duchamp, qui est presque une sorte de parrain de l'artiste depuis son arrivée en France.

Mais l'art en soi ne lui inspire pas de passion. Lors de sa formation en Angleterre, par exemple, le travail des artistes anglais modernes et contemporains ne la séduisaient guère (a l'exception de Richard Long !) ; en revanche, les souvenirs de son enfance à la campagne galloise constituent, jusqu'au jour d'aujourd'hui, une source d'inspiration prééminente. En témoignent les deux vitrines avec quelques milliers de tout petits bateaux bricolés de brins d'herbe, dont l'art lui a été appris par sa grand-mère et par d'autres personnes de son entourage.
La salle au fond de l'exposition, qui est presque vide, démontre pleinement la force de ce propos. Sur presque la moitié de la surface, le parquet a été soulevé à la hauteur d'une marche d'escalier. La construction même nous invite de marcher dessus, d'entendre le son se changer au-dessous des chaussures, ou de sauter entre les deux niveaux, comme on l'avait fait tous en tant qu'enfants. C'est moins l'architecture qui est au cœur de la sensation – comme dans un environnement des années 60-70 –, l'expérience est en nous exactement, ni à côté ni n'importe où.
Adriaan Himmelreich
Maastricht, octobre 2006
www.bonnefanten.nl

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