Giuseppe Arcimboldo
rétrospective
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Giuseppe Arcimboldo, Le Bibliothécaire (Wolfgang Lazius),
1562, Huile sur toile, Skokloster, Château de Skokloster (Suède)
©Photo Göran Schmidt

 
Des amas de fleurs, d'animaux ou d'objets esquissant une figure humaine, voilà comment résumer l'art singulier d'Arcimboldo. Ce milanais, dont le nom est à jamais lié à ses "têtes composées", travailla surtout à la cour impériale des Habsbourg dès les années 1560. Le Kunsthistorisches Museum de Vienne possède d'ailleurs une des plus importantes collections de tableaux de l'artiste, et c'est tout naturellement qu'il organise cette manifestation, en partenariat avec Paris. Le Musée du Luxembourg, quant à lui, reste fidèle à sa ligne événementielle, puisqu'il s'agit de la toute première exposition monographique consacrée à Arcimboldo.
Le concours d'une institution telle que le musée viennois donne un certain crédit à cette exposition, malgré les défauts propres au Luxembourg. Souvent décrié pour son manque de rigueur scientifique et le prix élevé du billet d'entrée, le lieu parisien souffre aussi d'une mauvaise conception muséographique. Les éclairages donnent une atmosphère tamisée impromptue, mettant mal en valeur cet espace restreint. Le pire étant ces grandes cimaises, où l'alternance de gris et de bordeaux apparaît d'un effet peu heureux.

Le choix des œuvres est, en revanche, remarquable. Sont ici regroupées quelques-unes des rares feuilles connues d'Arcimboldo, notamment concepteur de costumes pour les fêtes impériales ou illustrateur du processus de fabrication de la soie. On trouvera surtout un grand nombre de ses tableaux autographes, provenant essentiellement du Kunsthistoriches Museum ou de Suède, ainsi que toute la série des Saisons du Louvre. Seule une Allégorie, L'Air, d'une collection particulière suisse, nous semble un peu faible pour être une œuvre de la main de l'artiste (Le cartel indique d'ailleurs : Giuseppe Arcimboldo ?). A contrario, certains bronzes comparatifs comme le Bassin aux serpents ou un Tourteau, sont laissés dans l'anonymat le plus total, alors qu'ils sont typiques des ateliers padouans du XVIème siècle, de l'entourage de Riccio. Ces quelques attributions sont mieux discutées dans le catalogue, où sont aussi regroupés de précieux essais de spécialistes (Thomas Da Costa Kaufmann, Philippe Morel, ou la commissaire Sylvia Ferino pour ne citer qu'eux) sur les diverses facettes de l'art d'Arcimboldo. Seul regret en parcourant les pages de cette riche publication : d'importantes œuvres faisant l'objet de notices sont absentes des salles parisiennes. (Il s'agit souvent de pièces du Kunsthistorisches Museum, dont on peut penser qu'elles seront présentées dans l'étape viennoise. Citons notamment un chef-d'œuvre de l'orfèvrerie maniériste, la fameuse écritoire de Wenzel Jamnitzer.)

Car l'exposition se veut non seulement la première grande rétrospective dédiée à Arcimboldo, mais aussi une évocation de son milieu culturel. Une mise en contexte bienvenue, plutôt rare au Luxembourg : le corpus de l'artiste étant limité, le propos s'étend à des œuvres toutes aussi marquées par les formes du monde vivant. Au XVIe siècle, la passion pour la nature se traduit par l'usage du moulage d'après nature dans certains ateliers germaniques comme italiens ; ainsi que par l'essor de dessins réalistes de la faune, dans des œuvres indépendantes ou au sein des premiers traités zoologiques. Fascinés par les naturalia, les orfèvres contemporains d'Arcimboldo fournirent le Kunstkammer des Habsbourg en pièces aussi étranges et virtuoses que les tableaux du peintre : les objets mêlant argent et corail relèvent du même engouement pour les curiosités naturelles que les créations arcimboldesques. Ici le talent de l'artiste se confond avec la variété féconde de la nature, pour le plus grand plaisir de Rodolphe II, empereur raffiné du XVIe siècle finissant.

D'ailleurs, que connaît-on d'Arcimboldo avant ses géniales représentations des Éléments et autres Saisons ? Comme le suggèrent les premières salles, les débuts de l'artiste restent mal connus. La tapisserie de La Dormition de la Vierge, pour laquelle il réalise le carton en 1561-1562, compte parmi les quelques témoignages de cette période italienne. Destinée à la cathédrale de Côme, l'œuvre est celle d'un artiste peu assuré, maîtrisant mal des poncifs raphaëlesques alors démodés. Ce rare essai dans le genre historique fait ensuite place essentiellement à des portraits peints, correspondant à un départ quasi définitif pour Vienne, pour des raisons encore à éclaircir. Au sein des premiers tableaux commandés par les Habsbourg, une série de portraits des filles de Ferdinand Ier est rattachée au nom d'Arcimboldo, hypothèse reposant surtout sur des sources littéraires. On y observe en tout cas la manière rigoureuse, un peu sèche, d'un artiste lombard, probablement le même que l'auteur du portrait en pied de Maximilien II et sa famille, pareillement donné à Arcimboldo.

Le "basculement" vers la manière typique d'Arcimboldo revient aussi, en partie, aux origines milanaises de l'artiste : on devine le rôle majeur de la caricature, genre cher à Léonard et perpétué par ses élèves. La testa de cazzi, avec ses multiples phallus formant un visage humain, constitue un précédent cru et comique aux œuvres d'Arcimboldo. Chez le peintre des Habsbourg, ce même système figuratif est néanmoins employé à des fins bien différentes : l'abondance d'objets ou de créatures dans les têtes de profil constituent un hommage à la puissance cosmique de Maximilien II et ses successeurs. Outre une confrontation stylistique confirmant leur paternité, le regroupement des Saisons et des Éléments donne à voir un véritable procédé rhétorique ; par l'accumulation de signes évocateurs, Arcimboldo façonne une personnification à l'identité incontestable.

Fort de ce procédé, il poursuit cette veine avec des portraits de l'entourage impérial. Parfois ludiques, comme Le Bibliothécaire essentiellement constitué de livres ; parfois plus acerbes avec Le Juriste, dont le visage meurtri est matérialisé par des volailles rôties. Évoquée, la question d'un Arcimboldo précurseur de la nature morte reste ouverte : faut-il considérer certains portraits réversibles comme des œuvres à sujet double ? Sans apporter de réponse définitive, on reconnaîtra que celui-ci bouscule certaines conventions esthétiques, avec un sens critique d'une indéniable modernité.
En guise d'apothéose, la fin de sa carrière laisse un portrait de Rodolphe II sous les traits de Vertumne, image originale du prince éclairé et généreux, ainsi que Les Quatre Saisons en une seule tête. Rarement montrée, cette œuvre paraît une étonnante synthèse des séries antérieures ; le tableau se veut avant tout un hommage à l'intellectuel Comanini, ainsi remercié pour ses commentaires élogieux sur Arcimboldo. Mais le portrait le plus émouvant ne serait-il pas celui de l'artiste lui-même ? Son Autoportrait de papier (L'Homme de lettres) révèle toute la sagesse teintée de mélancolie d'Arcimboldo. Peut être était-ce une certaine conscience que son génie ambigu pouvait métamorphoser jusqu'à sa propre effigie.
 
Benjamin Couilleaux, Paris décembre 2007
publié dans
latribunedelart.com
 
 
 
Giuseppe Arcimboldo
- Musée du Luxembourg, du 15 septembre 2007 au 13 janvier 2008
  19, rue de Vaugirard, 75006 Paris, tél : + 33 1 42 34 25 95
  www.museeduluxembourg.fr
- Kunsthistorisches Museum, du 12 février au 1er juin 2008
  A-1010 Vienna, Maria Theresien-Platz, tel. + 43 1 525 24 - 0
  www.khm.at

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