William Blake 1757-1827
Le Génie visionnaire du romantisme anglais
William Blake
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William Blake

William Blake, Hecate or The Night or Enitharmon's Joy (Hécate ou La Nuit de joie d'Enitharmon),
vers 1795, estampe en couleur rehaussée à l'aquarelle, Tate © Tate, Great Britain

 
 
 
 
 
Tout le monde connaît les gloires culturelles de l'Angleterre que sont Shakespeare, Turner ou les Beatles. Et William Blake ? Le public parisien a généralement peu ou pas entendu parler de cet artiste, mais il est tout à fait excusé. Après avoir presque complètement ignoré Blake de son vivant, collectionneurs et musées britanniques conservent désormais jalousement l'essentiel de son œuvre. C'est donc la première fois qu'autant de créations de Blake traversent la Manche, pour une rétrospective à la hauteur de cet esprit singulier, presque en avance sur son époque.

Très tôt porté vers une carrière artistique, Blake partage ses débuts entre une formation autodidacte et la référence aux grands modèles. Peu de temps après avoir fréquenté la Royal Academy, il grave des scènes galantes d'après Watteau, une activité alimentaire qui ne présage en rien des développements ultérieurs. Les sources de son art doivent plutôt être trouvées chez Shakespeare (dont le culte connaît un vif regain dans l'Angleterre de la fin du XVIIIe siècle, auprès de Gainsborough comme de Füssli), mais aussi et surtout dans l'art médiéval ainsi que l'œuvre de Michel-Ange  d'emblée, Blake privilégie dans ses réalisations personnelles une ligne ferme et puissante, le conduisant à produire essentiellement gravures et aquarelles. Sa première œuvre connue, Joseph d'Arimathie parmi les roches d'Albion, fut ainsi exécutée au burin  le jeune anglais prend appui sur le génie tourmenté de la Renaissance pour modeler les volumes compacts d'un corps au mouvement déjà très expressif. Marqué durablement par l'élan terrible du Jugement dernier de la Chapelle Sixtine, Blake médite cet illustre exemple pour amplifier la fatalité tragique de Tériel répudiant ses fils et ses filles, ou souligner l'effroi des visages devenus masques dans Notre Fin est arrivée, ou Les Accusateurs de vol, de meurtre et d'adultère.

Dans la bataille des idées accélérant la marche de l'Histoire en 1789, Blake se rallie aux espérances de la Révolution française, auxquelles il oppose l'arbitraire tyrannique de la monarchie. Cette affirmation politique apparaît très nettement dans un de ses premiers livres, L'Amérique, prophétie, publié l'année même où la Terreur transforme le rêve démocratique en cauchemar totalitaire. Dans les visions de Blake, l'être humain est en lutte perpétuelle contre l'oppression, dans un cycle de l'Histoire qui devance d'un demi-siècle les théories marxistes. L'entreprise reste toutefois celle d'un artiste, à double titre  les illustrations prophétiques du Blake dessinateur accompagnent les vers ésotériques du Blake poète. Texte et image se confondent pour tendre à l'art total tel que l'entendra Wagner par la suite, au milieu des flammes dansantes, des géants rebelles et des nuées hallucinées. Dans ses songes, Blake apprend aussi à perfectionner les techniques de l'estampe. Selon ses dires, Robert, son frère décédé, serait apparu afin de lui livrer les secrets de l'eau-forte en relief. Le procédé sera en effet employé dans une série de recueils poétiques, aux vignettes méticuleusement calligraphiées. Blake se mue en enlumineur des temps nouveaux, prêt à révéler tout le lyrisme du monde. Les Chants d'Innocence (1789) et Les Chants d'Expérience (1793) consacrent à la nourrice et au ramoneur des lignes et des images quasiment féériques, en rupture totale avec la satire sociale chère à Hogarth.

Blake ne cesse de s'en prendre aux injustices politiques et morales, tels que les terribles châtiments appliqués aux esclaves en révolte du Surinam. L'imaginaire finit toutefois par prendre le dessus, et le destin du Vieux Contient se trouve au cœur de L'Europe, prophétie, édité en 1794. Avec une mise en page et un esprit proches du volume dédié à l'Amérique, Blake place les hommes et les femmes sous la menace du mal, dans un combat contre le serpent diabolique et la fatalité du sort. Les corps, ployés sous l'infortune, et les couleurs pâles dans une nuit inquiétante peuvent faire penser à Füssli  chez Blake, cependant, l'ombre d'un démiurge, lointain et démesuré, est omniprésente. D'une façon très traditionnelle, Dieu prend la forme d'un vieillard barbu, mais décrit dans un mouvement fascinant  l'eau-forte compte justement parmi les plus célèbres du recueil et de l'artiste, L'Europe, prophétie ou L'Ancêtre des jours. S'arrachant au chaos de pourpre et d'encre, le créateur façonne le monde à l'aide d'un compas. La figure du grand géomètre fait bien sûr écho à la franc-maçonnerie, alors très appréciée chez les intellectuels. Il est toutefois plus probable que l'artiste fasse référence au pouvoir excessif de George III, capable de changer l'ordre des choses selon son gré_ on pourrait aussi presque y voir Robespierre, encadrant les esprits avec les instruments trop rigides de la raison. Blake reprend en 1795 le geste du tracé au compas dans son fameux Newton, incarnation selon lui d'une science excessivement matérialiste, qui menace de désenchanter le monde. Curieux paradoxe : alors que l'artiste anglais dénigre une des personnalités dont son pays est le plus fier, le français Boullée imagine, une décennie auparavant, un immense cénotaphe à la gloire du savant !

L'aversion de Blake pour la domination de la matière peut aussi expliquer son dédain pour la peinture à l'huile, jugée trop dense. Ce qui ne l'empêche pas de se rapprocher des caractéristiques du tableau de chevalet lorsqu'il colorie une grande eau-forte, qu'il nomme alors "fresque portative"  le terme s'applique, entre autres, à Newton et à Hécate ou La Nuit de joie d'Enitharmon (vers 1795), dont les chimères lugubres surgissent de la masse des ténèbres pour se diriger vers une robuste prophétesse. L'adoption d'un format plus important, où l'image supplante tout écrit, se poursuit dans les premières années du XIXe siècle avec une série d'aquarelles destinées à une Bible. Blake y fait pratiquement œuvre d'exégèse, car les épisodes se plient à une lecture extatique_ de sorte que le Christ se pare d'une clarté triomphante, Moïse contemple avec résignation le Buisson ardent, et Dieu plie toujours sa créature à son élan implacable. L'essence du livre sacré est magistralement résumée dans La Chute de l'Homme (1807), entraînant les mortels dans un mouvement continu de la création à la fin des temps. Le Michel-Ange de la Chapelle Sixtine prend alors une nouvelle dimension, non seulement par le flot lancinant des corps soumis au jugement divin, mais aussi et surtout par cette interprétation fataliste de l'homme marqué par la tache infamante du Péché originel.

Point d'orgue de cette réappropriation du dogme chrétien, deux séries d'aquarelles pour des poèmes prennent valeur de testament esthétique et philosophique. Selon un schéma strictement manichéen, les illustrations de l'Ode au Matin de la Nativité de John Milton (vers 1809) opposent la sérénité de la crèche, placée sous une arcature gothique, au désordre de Satan et ses sbires. Peu avant sa mort, l'artiste se confronte à Dante, magnifiant La Divine Comédie du poète toscan (1824-1827)  si Blake n'illustre plus ses propres vers, il donne une force nouvelle au chef-d'œuvre littéraire, certainement parmi ses ouvrages de prédilection. Inachevée, la série mène Dante et Virgile au milieu des âmes damnées, jusqu'à la foule démente du Cercle des Luxurieux, figeant de stupeur les deux poètes, tel un aveu du dessinateur dépassé par ce qu'il a imaginé…

Lorsque Blake meurt en 1828, toute une génération d'artistes du continent ignore qu'elle va bientôt parcourir certains sentiers que l'artiste anglais venait tout juste de défricher. On peut en effet considérer Blake, dans sa démarche créatrice ainsi que son répertoire formel ou ses thèmes favoris, comme l'un des tous premiers romantiques. À l'avant-garde, il fut même à contre-courant de la peinture confiante et lisse de David et son atelier  héraut du romantisme noir, il annonce les courants culturels les plus inquiets du XIXe siècle, du roman gothique au symbolisme. Si l'œuvre de Blake peut trouver quelque analogie avec la littérature britannique de son temps_ les liaisons entre beaux-arts et lettres étant d'ailleurs inhérentes à l'artiste romantique_, peu de peintres contemporains peuvent lui être comparés. Hormis Füssli dans ses inventions fantastiques les plus inspirées, seul Goya partage une telle intensité dans le génie terrible de la noirceur. L'espagnol comme le britannique introduisent ainsi à l‘art moderne, par une esthétique dégagée des préoccupations des puissants ou du souci du beau, nourrie par les cauchemars inavoués et les désirs enfouis, façonnée par la liberté totale de l‘esprit créateur. Baudelaire aurait-il connu Blake qu'il en aurait assurément fait l'un de ses Phares aux éclats sombres, et de son œuvre un "divin opium".
 
Benjamin Couilleaux
Paris, juin 2009
 
 
William Blake 1757-1827, le Génie visionnaire du romantisme anglais, du 2 avril au 28 juin 2009
www.paris.fr/portail/Culture/Petit Palais/William Blake
Petit Palais - Musée des Beaux-Arts de la ville de Paris, avenue Winston Churchill, 75008 Paris.
www.paris.fr/portail/Culture/

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