Van Gogh Monticelli
 
Van Gogh Monticelli
Van Gogh Monticelli
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Van Gogh Monticelli
Van Gogh Monticelli
 

Van Gogh Monticelli

Autoportrait, Vincent van Gogh,
Paris, musée d’Orsay, Photo Rmn, © Hervé Lewandowski

 
 
 
 
D'un côté, un peintre qu'on ne présente plus, dont on a affublé la production de moult légendes et superlatifs, et qui reste peut-être l'artiste occidental dont la cote a connu la progression la plus démentielle en moins d'un siècle. De l'autre, un quasi-contemporain, plus âgé d'une génération, qui a provoqué un bien moindre enthousiasme chez le grand public, malgré l'intérêt de sa peinture, surtout connue des spécialistes et des amateurs de sa Marseille natale. Et pourtant le rapprochement s'imposait entre Van Gogh et Monticelli, le premier vouant un véritable culte au second, au point que Vincent aurait probablement peint autrement ses Tournesols s'il n'avait été subjugué par les tableaux de fleurs de son aîné.

Ces deux artistes n'auront pourtant jamais l'occasion de se rencontrer car Monticelli meurt quelques mois après le second séjour de Van Gogh à Paris, en 1886, marquant l'installation définitive du hollandais en France. Vincent rejoint son frère Théo travaillant alors dans le marché de l'art : c'est par ce biais que se fait la découverte des œuvres de Monticelli, achetées et vendues par un Théo tout aussi enthousiaste. L'intérêt commun des frères Van Gogh pour le peintre phocéen aboutit à l'acquisition et à la diffusion par l'estampe de ses tableaux. Le rapport qu'entretenait Vincent avec Monticelli était toutefois moins de l'ordre du mercantile que de l'intime : dans son abondante correspondance apparaissent régulièrement des élans d'admiration, voire de ferveur, et si Van Gogh quitte paris pour la Provence en février 1888, c'est entre autres pour accomplir une sorte de pèlerinage artistique qui l'amènerait à poursuivre, en quelque sorte, la création de Monticelli.

Ces éclairages rétrospectifs servent de prélude admirable à l'exposition marseillaise, dont la suite se révèle malheureusement plus contrastée. Non que présenter une telle confrontation à Marseille soit injustifiée, bien au contraire, ou que les connections entre les deux maîtres soient surestimées, Vincent ayant longtemps montré son empathie pour son aîné dans ses écrits comme dans sa peinture. En fait, les carences de cette manifestation se constatent plutôt dans la forme : scénographie un peu plate, sections déséquilibrées au détriment de Van Gogh pour cause de prêt non obtenu (seulement 18 tableaux de sa main sur les 59 exposés), et surtout un parcours trop court où les analogies très justement décrites par les textes ne font pas oublier l'absence cruciale des tableaux cités… Au bout du compte, certains visiteurs risquent de voir dans tout cela un faire-valoir pour un artiste largement oublié ou, pire, de considérer avec intérêt Monticelli uniquement parce qu'il a influencé Van Gogh. Il serait pourtant injuste de mépriser une telle manifestation qui, avec autant d'audace que de pédagogie, relativise subtilement les influences passées et la notoriété actuelle de chaque artiste, au profit de l'un comme de l'autre.

Avant le va-et-vient entre les productions respectives, retour aux sources picturales communes, pour expliquer une partie des convergences esthétiques : ils apprécient tous deux la fougue coloriste et la liberté de touche de Delacroix, mais puisent finalement moins du côté de l'impressionnisme que des habitués de Fontainebleau ; Monticelli a pour voisin parisien Diaz de la Peña, alors que Van Gogh trouve chez Millet l'inspiration de certaines de ses scènes paysannes (comme l'avait d'ailleurs démontrée, il y a une quelque année, une exposition comparative de la même teneur que celle présente). Hormis ces sources, les terrains d'entente passent par tous les genres, en commençant par la peinture de bouquet : de ce genre, tantôt pompeusement décoratif, tantôt d'une sècheresse moraliste, chacun fait une fête visuelle. Monticelli force sur les empâtements, en plaquant d'épaisses touches vives et grasses sur un fond noir qui, par contraste, renforce le bouillonnement des pétales embrasés par le pinceau. Cette manière gestuelle et expressive impressionne Vincent, avant qu'il ne s'engage sur une voie encore plus tumultueuse : adepte de teintes sombres durant l'été 1886, il s'éloigne largement de Monticelli dans Fritillaires, couronne impériale dans un vase de cuivre, dont les fleurs aux courbes vivaces sur fond pointilliste semblent un prélude aux firmaments déchaînés des nuits étoilées. La même intuition pour sublimer les choses inertes les réunit autour de la nature morte : en peignant des poissons luisant dans l'obscurité, tant Van Gogh que Monticelli en appellent aux maîtres nordiques du Siècle d'or. Mais là encore, le hollandais s'oriente irrésistiblement vers un style solaire, virevoltant, intense, qui culmine avec Les Harengs. Dans cette toile où le jaune irradie même la chair morte, le traitement de l'espace, qui rabat arbitrairement les objets sur le plan du tableau en se jouant de la perspective, évoque les compositions d'un autre méridional, Cézanne.

La démonstration s'avère beaucoup moins convaincante lorsqu'on aborde le portrait. Le vieillard barbu dépeint par Van Gogh se rapproche certes des effigies aux tons bruns de Monticelli, et le hollandais a beau avoir portraituré une gamine d'Arles en ayant à l'esprit quelque tableau du marseillais, le parallèle est décevant. Reste l'occasion de découvrir Monticelli portraitiste, avec l'un de ses chefs-d'œuvre où la mise en page ingresque flatteuse, adoptée pour une dame bourgeoise, flirte avec une touche déliquescente censée rendre le tissu de sa robe… La toile est tout simplement admirable, mais on est bien loin de l'univers des petites gens de Saint-Rémy-de-Provence ou d'Arles. Quant aux marines, la comparaison est passablement ratée puisque seules sont présentes les toiles de Monticelli, aux effets atmosphériques fort hardis, mêlant dans un déluge pulvérulent l'homme et la mer, l'air et le ciel, la peinture et le sentiment. Les tableaux peints par Van Gogh à Saintes-Marie de la Mer sont bel et bien évoqués ; toujours est-il que ceux qui s'attendent à contempler ces vues, barrées de mâts et de coques, reliant l'éther vibrant aux courbes du rivage, en seront pour leurs frais.

Que l'on se rassure, la confrontation s'achève en apothéose sur l'activité paysagiste, qui occupa une place prépondérante chez l'un comme chez l'autre. Près des bois et des ruisseaux, Monticelli capte les instants changeants sur la toile en dispersant les tons fauves d'un éternel automne. Van Gogh ne connaît que l'été en ses illuminations radieuses, au milieu des bosquets clairs et des champs de blé, qui flamboient sans cesse. Et, petit miracle, les grands esprits se rencontrent dans leurs dernières toiles, presque abstraites, chacun à leur manière. Les Buveurs sous la treille de Monticelli ne sont que des silhouettes pâteuses, chahutées dans la chaleur lourde. Van Gogh va encore plus loin, et laisse un feu d'artifice bigarré tracer son Effet de lumière sous des branches d'acacias, un des derniers moments de vie effrénée avant le fatal événement… Hélas, tout s'achève déjà, mais dehors la lumière est toujours là, frappant les murs limpides de la Vieille Charité : le vertige de la clarté est intact, le même qui a jadis fasciné deux titans.
 
Benjamin Couilleaux
Paris, décembre 2008
 
 
Van Gogh Monticelli, du 16 septembre 2008 au 11 janvier 2009
Centre de la Vieille Charité, 2, rue de la charité, 13002 Marseille
www.rmn.fr/Van-Gogh-et-Monticelli

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