Boris Taslitzky (1911-2005)
L'art en prise avec son temps
Boris Taslitzky
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Boris Taslitzky

Boris Taslitzky (1911-2005), Le petit camp à Buchenwald, 1945, Huile sur toile,
Collection Centre Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne - Centre de création industrielle
photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI

L'effroyable guerre que mène la Russie contre l'Ukraine aurait sans doute touché au plus profond de lui-même Boris Taslitzky (1911-2005). Ses parents étaient venus respectivement d'Ukraine (Ekaterinoslaw) et de Crimée (Talnoë), en 1904 et 1905, et se sont rencontrés à Paris.

Peintre d'histoire reconnu comme tel, l'artiste a traversé plusieurs conflits historiques : la dernière guerre mondiale, les camps où il fut un témoin dans sa chair même, il fut un rescapé de Buchenwald, d'où il rapporta 111 dessins, et par la suite des tableaux qu'il fit de son expérience et de l'horreur qu'il a vécu. (1)
Nous reviendrons sur ses grands tableaux plus avant.
Le musée de Roubaix, La Piscine, lui consacre une très grande exposition sur sa peinture, ses nombreux dessins, ses portraits et autoportraits, ces derniers révèlent une certaine profondeur biographique.

Peintre très actif avant et après la première guerre mondiale, Boris Taslitzky fut un rescapé des camps. Jean Clair a exposé cette fameuse toile, Le petit camp de Buchenwald, dans son exposition Inferno, sur la célébration du 7ième centenaire de la mort de Dante, à Rome (2), il rapporte à ce propos cette phrase de l'artiste : "Si je vais en enfer, j'y ferai des croquis. D'ailleurs, j'ai l'expérience, j'y suis allé et j'ai dessiné".

Boris Taslitzky a été un témoin et un acteur de son temps : guerre d'Espagne, Front Populaire, Résistance, déportation, combats anticolonialistes – une vie marquée par les guerres et les engagements divers. Il suffit de voir dans cette exposition étonnante et historique, le tableau extraordinaire et puissant qui montre sa vision hallucinée d'un camp : Le petit camp à Buchenwald (tableau peint en 1945). Une pièce maîtresse comme d'autres qui exhibent ce moment des plus horribles de l'histoire européenne – de nombreuses œuvres l'attestent dans cette exposition rétrospective.

Intellectuel engagé, il a notamment fréquenté de nombreux écrivains de son époque tel qu'Aragon. Taslitzky s'inscrit dans la grande tradition des peintres d'histoire, de David à Courbet en passant par Delacroix et Géricault, Goya et Daumier, et prône un "réalisme à contenu social". Ses prises de positions sont claires : raconter l'Histoire de son temps, ses moments de crises ! On l'a qualifié de "romantique révolutionnaire" – pourquoi pas ! – car il défendait une certaine utopie de jours meilleurs pour la classe ouvrière… Loin de tout réalisme soviétique. Il entre à l'Académie de Notre-Dame des Champs puis aux Beaux-Arts de Paris (1929-1930), il rencontre Jacques Grüber et Jacques Lipchitz. Il adhère à l'A.E.A.R (Association des écrivains et des artistes Révolutionnaires), en 1934. Il fait la connaissance de Paul-Vaillant Couturier, Picasso, Fougeron, Derain, Frans Masereel, Fernand Léger, Lurçat, etc… Il peindra des natures mortes, et de nombreux portraits. Il écrit à ce propos : "Un portrait ne ressemble qu'à l'instant de l'échange, il n'est qu'in moment défini de la compréhension que j'ai de mon travail lorsque je me reconnais, c'est-à-dire au point où je rencontre la pensée claire que mon modèle peu à peu me suggère." Boris Taslitzky oriente son geste d'artiste en défendant ses idéaux, militant antifasciste, il prend en écharpe la guerre civile espagnole, 1936 et le Front Populaire. Il sera fait prisonnier en 1940, il rejoint le camp de Melun (il dessine La Débâcle), envoyé dans la Somme, il s'évade et rejoint les peintres Marcel Gromaire et Jean Lurçat dans la Résistance, à Aubusson. En 1941, il est arrêté pour avoir réalisé des dessins pour la propagande communiste, et envoyé à Riom dans le Puy de Dôme, puis transféré en juillet 1943 à la prison de Mauzac en Dordogne. Le 31 juillet 1944, les SS envahissent le camp, les prisonniers sont envoyés à Buchenwald : 5 août 1944, Taslitzky arrive au "petit camp". Il voit l'horreur et il en gardera tous les détails dans sa mémoire et sa chair pour la peindre et la dessiner. Il réalisera 200 dessins et aquarelles, qui seront publiés en 1946, par Aragon et les éditeurs amis.
Après la libération, Taslitzky fera des tableaux qui évoquent cette période des plus terribles. Il exorcisera tous ses thèmes à travers de fameux tableaux : La Pesée à Riom, Le Wagon des déportés, Le Petit camp…, où une centaine de cadavres gisent comme dans une représentation de l'enfer décrite dans Dante…

Il faut absolument voir ces tableaux et suivre la trajectoire d'un tel artiste qui ne cessera de s'engager. Contre la guerre en Indochine, la grève de 1949 contre la fabrication et le transport du matériel de guerre destiné à l'Indochine… Au Salon d'automne de 1951, cinq tableaux représentent la grève des dockers, la police fera décrocher 7 tableaux : qui "font offense au sentiment national", selon la phraséologie de l'époque ! Puis il y aura après la guerre d'Algérie. Il se rendra clandestinement avec le parti communiste pendant six semaines, et fera des croquis (62 dessins avec Mireille Miaille), qui fera l'objet d'un ouvrage accompagné d'un poème de Jacques Dubois. Regardons aussi ce tableau : Les Fondeurs. Il illustrera le recueil de poèmes de Guillevic, L'Âge mûr, en 1955. Dans cette exposition, on pourra voir le portrait d'Elsa Triolet et de Louis Aragon (1956).

Boris Taslitzky écrira de nombreux textes. Passionné, attentif au destin des hommes et des conflits sociaux, il peint toujours la joie et l'outrage, comme le dira. La destinée humaine emplit toute son œuvre. Il peindra pour le film de René Clément : Paris brûle-t-il ? Dans les années 1970, il enseigne le dessin à l'École nationale des Arts décoratifs. Il écrit Hommage à Courbet puis peint le tableau : Pour Angela (Angela Davis). En 1978, on réédite son ouvrage : Cent onze dessins faits à Buchenwald. En 1981, il figure dans l'exposition Paris-Paris, 1937-1957, au Centre Pompidou. Il expose à Berlin en 1987 ; il consacre plusieurs toiles à l'Apartheid en Afrique du Sud. Il continue inlassablement à suivre l'actualité politique et les bouleversements sociaux dans le monde. Sa peinture résonne de tout ce tremblement qu'il retranscrit à sa manière, avec parfois un lyrisme animé d'une certaine violence. Pour ses 90 ans, l'espace Niemeyer à Paris, lui consacre une rétrospective. Ce que l'on peut retrouver aussi dans les textes qu'il a écrit : Tu parles… ! Son autobiographie, et un recueil de nouvelles Tambour battant. Il s'éteint en 2005. Un peintre et une œuvre à découvrir sans plus tarder !
 
Patrick Amine
Roubaix, avril 2022
 
 
Boris Taslitzky (1911-2005) : L'art en prise avec son temps, du 19 mars au 29 mai 2022
La Piscine, Musée d'art et d'industrie André Diligent, 23, rue de l'Espérance 59100 Roubaix
www.roubaix-lapiscine.com - lapiscine.musee@ville-roubaix.fr - tél. : + 33 3 20 69 23 60

(1) Il nait le 30 septembre 1911, à l'hôpital Tarnier à Paris, naît Boris Taslitzky, fils de Smerko (Simon) Taslitzky (1883-1915), ingénieur, et d'Anna Riback-Taslitzky (1889 ? - 1942), couturière, fille et petite-fille de rabbins. Venus respectivement d'Ukraine (Ekaterinoslaw) et de Crimée (Talnoë) en 1904 et 1905, et se sont rencontrés à Paris. Bien que ces derniers soient juifs, Boris Taslitzky est baptisé suite à l'incompréhension de sa mère, qui ne parlait pas encore français et pensait qu'il s'agissait de le faire vacciner.
(2) Notre entretien sur l'exposition INFERNO avec Jean Clair et Laura Bossi, voir dans le sommaire dans les articles d'exporevue.com – février 2022. Tableau : Le Petit camp de Buchenwald, 1945 - Huile sur toile, 300 x 500 cm - Collection Centre Pompidou, Paris, Musée national d'art moderne - Centre de création industrielle.
 

Boris Taslitzky

Boris Taslitzky (1911-2005), Autoportrait au chevalet,
1925, Huile sur toile, Collection privée, Photo Alain Leprince

 

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