Emmanuel Saulnier, white square black square, sculptures de l'oxymore, exporevue, magazine, art vivant et actualité

    Emmanuel Saulnier, white square black square
       Sculptures de l'oxymore
 
 
Dans la Galerie de l'Atelier Brancusi, le Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Centre de création industrielle, invite chaque année un artiste contemporain à confronter son œuvre à celle de Constantin Brancusi. Après Claude Rutault en 2002, et Richard Deacon, en 2003, le sculpteur français Emmanuel Saulnier installe dans la galerie et le jardin deux mises en espace, l'une blanche, l'autre noire. "Place blanche place noire" s'éclairent l'une l'autre dans une correspondance de matières.
sol
de verre
asphalte
brisé

IN

"Place blanche" est située à l'intérieur de la galerie. Elle en occupe presque la totalité, soit une trentaine de mètres carrés, sol de verre brisé et d'éléments en verre et en acier suspendus. 12 pièces sont accrochées au plafond sur des rails électriques par des S en verre réalisés pour l'œuvre. Leur position dépend du fil d'acier qui les traverse et sort du sol. Figures souples en suspens, tracés dans l'espace. Cette place, dont on ne peut fouler le sol, est fermée par un cadre métallique sur 3 côtés. Le regard est invité à parcourir la verticalité suggérée par le dynamisme des lignes courbes. Se porte-t-il sur le sol ? Il découvre ces morceaux de verre empilés. Hasard de superposition ? Forme, élan, ligne, l'œuvre d'Emmanuel Saulnier est lumière.

OUT

"Place noire" installée dans le jardin extérieur, visible par les baies de l'atelier, recouvre toute la surface de la cour-jardin, soit un rectangle de cent mètres carrés. Œuvre sans socle, "Place noire" est une sculpture tactile, sonore. Le sol du jardin est recouvert de "blocs d'asphalte brisé et de conglomérats noirs, cassés irrégulièrement, qui proviennent du revêtement de la chaussée parisienne défoncée pour être refaite".

BLACK SQUARE

Le spectateur en marchant dans l'espace ainsi configuré fait jouer sous ses pieds les morceaux noirs disjoints. Univers sonore, dans lequel il ancre son corps, il participe à cette verticalité si chère à Brancusi et qu'Emmanuel Saulnier revendique et nomme "l'énergie sculpturale, son air et son fondement métaphysique".

Structure éphémère, "la place sombre, dure, et fragile qui sert de socle et de fond au corps, morceau par morceau", "Place noire" retient la lumière : lumière d'un début d'après-midi ensoleillée par une journée d'hiver, feuilles mortes dorées, bleutée de la tombée de la nuit. L'asphalte devient reflet, miroir de la couleur du ciel : "Il y a pour moi un tempo particulier de la sculpture, de son langage et de sa physique qui passe étroitement par l'intelligence de la lumière noire mise en œuvre". Les arbres du jardin sertis dans les blocs s'étirent, comme les colonnes de Constantin Brancusi dressées. Ils répondent aussi à ces éléments en verre et en acier de la "Place blanche". Verticalité.

Le spectateur vit alors une autre dimension de l'espace ; il devient le promeneur qui peut s'asseoir sur le banc de pierre du jardin situé au cœur de la ville, à Paris… Jardin protégé au pied du parvis du Centre Beaubourg. Brancusi, artiste isolé sauvage qui voulait se préserver dans les murs de son atelier ?

"Place blanche place noire" : lieux de rencontre au cœur de ville. Quand Paris cherche à se reconstituer un centre et qu'elle ne fait pas appel hélas aux artistes, il est bon de s'arrêter…si près des Halles et de participer à l'horizontalité de l'instant. White square black square…

OXYMORE

"Le terme "sculpture" peut conduire aujourd'hui encore à renouveler la tenue des choses et la prise sur le réel. Je le vis comme l'enjeu d'une intelligence du tangible et son indispensable exercice métaphorique", Emmanuel Saulnier, Pourquoi la sculpture plutôt que rien ? 2000

C'est en se promenant dans l'espace extérieur du jardin, OUT, que le spectateur entre sur la place, riche du regard IN de la transparence des éclats de verre qui composent le sol de la "Place blanche". L'invitation à l'OVER ne peut se produire qu'en retournant sur ses pas.
Entrer à nouveau dans la galerie, s'arrêter devant la vitrine de l'atelier, musarder sur les lignes courbes du fusain Etudes de nu, têtes inclinées, et sur Le portrait de la mère de Constantin Brancusi, oeuvres choisies par Emmanuel Saulnier et capter la lumière à nouveau donnée par des éclats de verre empilés, et nous sommes au cœur de l'OVER.

"Jamais tour d'ivoire l'œuvre se place comme un alter ego".
(Propos recueillis par Marielle Tabart, lors d'un entretien avec Emmanuel Saulnier le 6 août 2004.)

Florence-Valérie Alonzo
Paris, janvier 2005

Emmanuel Saulnier à l'atelier Brancusi, Place Blanche Place Noire, du 20 octobre 2004 au 31 janvier 2005.

accueil     vos réactions     haut de page