Raymond QueneauAllez-y voir - Écrits sur la peinture
Raymond Queneau, Allez-y voir
Étonnant Queneau ! C'est un recueil inédit de 40 textes qui ont été publiés entre 1928 et 1975. (1903, Le Havre-1976, Paris). L'auteur de Zazie dans le métro (1959), d'Exercices de style (1947) et Loin de Rueil (nombreux ouvrages en Folio et dans L'Imaginaire), créateur de collections chez Gallimard, il sera nommé directeur de l'Encyclopédie de la Pléiade (1956), – il adhère au groupe surréaliste d'André Breton en 1924 – il le quitte en 1930. Il travaille à une Encyclopédie des sciences inexactes – manuscrit qui sera refusé par ses principaux éditeurs.
Ces textes, emplis de curiosité et d'humour, permettent de découvrir des peintres oubliés tel que Elie Lascaux ou Pegeen Hélion, la femme de Jean Hélion, Alain Biancheri (école de Nice), Morris Hirshfield (1907-1946) qui sera exposé après sa mort par Peggy Guggenheim, en 1947 dans sa fameuse galerie Art of this Century, et plus tard chez Maeght, à Paris. Il y a des textes sur Mirò : L'ÉMIR aux MirOirs, Prassinos, Picasso, avec un humour débridé, Maurice de Vlaminck, Dubuffet, abondamment commenté et suivi en tous points. Et sur la peinture d'Arnal (André-Pierre, 1939) : "Puis, il n'est point difficile d'établir que tout signe se réfère plus à d'autres signes qu'au signifié ; par conséquent, les signes de la peinture se réfèrent aux signes de la peinture, c'est-à-dire que la peinture est faite pour les peintres (comme la poésie pour les poètes). Le tableau peut parler du monde, par exemple, du monde qui nous entoure et de l'époque où nous vivons. Et c'est ce qu'il fait, lui, Arnal. Allez-y voir." Dixit l'auteur du catalogue, en 1957. Queneau évoque aussi les frères Goncourt qui furent de grands collectionneurs ; il les fustige quelque peu notamment sur leurs points de vue sur la peinture et leurs goûts. Goût particulier à une époque qui se retrouve notamment dans les discours "impressionnistes" sur l'art. Il n'y avait pas encore d'enseignement de l'histoire de l'art. Ce sont les marchands, les journalistes, les collectionneurs et les artistes qui forgeaient d'une certaine manière le goût d'une époque. Rappelons que ce sont deux journalistes français qui découvrirent William Blake et mis en lumière l'œuvre oubliée de Vermeer. Et Diderot vint, il fut le premier critique d'art qui forma plusieurs générations avec ses Salons, recensions d'expositions au dix-huitième siècle. Ils furent diffusés en Europe par les frères Grimm. Les artistes les plus commentés ou les plus évoqués dans le style de Queneau sont Mirò, Dubuffet et le style de ses écrits – il contribuera à le publier chez Gallimard –, Enrico Baj, Mario Prassinos. Il affectionne particulièrement les œuvres, les peintures où figurent des mots, du graphisme, etc. Ces textes ont été écrits pour des catalogues d'exposition, ou des articles pour des revues (NRF, Poésie 45, Les Lettres françaises, Poésie vivante, L'œil) ou des journaux (L'intransigeant) ou encore des ouvrages collectifs. On peut ne pas être d'accord sur ce qu'il écrit sur Chirico en 1928 (c'était à l'époque du Surréalisme) – le temps lui donne tort. Avant la débâcle en 1940, il est voisin de Mirò en Normandie, son texte sur ses "caractères" et le langage pictural : les "miroglyphes" est étonnant. Cette très bonne édition comporte une photo de Queneau en frontispice, quelques reproductions (Dubuffet, Mirò), des notices sur les peintres, une bibliographie et un index (très utiles). Ce livre est comme une promenade alerte, vivifiante et documentée avec des artistes et des œuvres qui ont marqué une partie du XXieme. A lire.
Patrick Amine
Paris, février 2024
Raymond Queneau, Allez-y voir, Écrits sur la peinture
Edition établie par Stéphane Massonet Les Cahiers de la NRF - Gallimard - 02.2024 |