Pierre Cordier hommage
Pierre Radisic
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Piet par Pierre Radisic

C'est de 1978 que, fraîchement inscrit à l'atelier de photographie de La Cambre, date ma première rencontre avec Pierre Cordier.
Il y enseignait l'histoire de la photographie, et je suis loin d'être le seul à avoir adoré ce cours passionnant quant au contenu et à la manière dont il était donné.
Etant novice, je découvrais grâce à lui ce qu'était une lecture d'image pertinente et je lui en suis encore reconnaissant à ce jour.
Pierre avait étudié à sciences po. Il était devenu photographe par passion de manière totalement autodidacte. Il s'était lié d'amitié avec Georges Brassens pour qui il a réalisé la plupart de ses pochettes de disque. Et un jour il inventa par hasard le chimigramme auquel il restera attaché toute sa vie.
A partir de ma deuxième année, il a été intégré dans l'atelier en tant que professeur de para photographie, qui comme il le soulignait n'était pas de la photographie en parachute, mais une façon d'expérimenter le matériau photographique de manière différente, comme lui même l'avait fait pour le chimigramme.
Il faut savoir qu'à l'époque il avait gardé son procédé secret et que même s'il donnait quelques indices, personne ne savait comment il arrivait à créer ses images.

Un jour où je visitais un musée dans lequel était exposé un chimigramme, un rayon de soleil frisant vient se poser sur celui-ci et dévoila les légères traces de cutter sur le papier… Et j'ai soudain compris son procédé ! Je suis rentré chez moi, non sans avoir acheté du vernis et un cutter, et je me suis mis au travail… Jusqu'à 9 h du matin! Les images étaient à peine sèches lorsque je suis arrivé à son cours en lui disant que j'avais bien travaillé… J'ai donc rempli la table de mes chimigrammes et j'avoue que Pierre a dû s'asseoir tellement il était surpris, ému et sans doute aussi inquiet car j'avais percé son secret… Et même si je n'ai persévéré qu'une petite semaine dans cette voie, un lien s'est créé entre nous pour toujours.
Pierre prenait son travail très au sérieux, et il était en recherche de reconnaissance de manière quasi obsessionnelle, ce qui ne le rendait pas toujours heureux, car bien que son travail soit reconnu, il trouvait que ce n'était pas à sa juste valeur et que cela restait bien trop confidentiel.
Dans une de nos innombrables conversations, je l'ai encouragé à expliquer sa technique, lui disant que les gens sont tellement cons qu'il y en a beaucoup qui pensent qu'il met juste une poudre sur du papier et que l'image apparaît comme par magie, et que ce n'est pas ce qu'il y a de mieux pour sa reconnaissance artistique…
Cependant il avait une crainte, celle que quelqu'un d'autre fasse mieux que lui avec sa technique… Mais il a surmonté cette crainte et a peu à peu commencé à donner des ateliers et des conférences où il dévoilait son procédé et sa démarche.
Je pense que cela ne lui aura fait que du bien, car il s'est fait des disciples, dont aucun n'a fait mieux que lui. Sur le tard il s'est aussi ouvert à des collaborations qui l'ont rendu moins solitaire dans son travail, lui qui l'était déjà dans la vie, au sein de son minuscule atelier de rue de la Charité.

Nous avions décidé un jour de nous appeler mutuellement Piet plutôt que Pierre, en référence à Mondrian que nous aimions beaucoup et cela sera resté ainsi jusqu'à la fin.
Il aimait la musique presque autant que moi, surtout le jazz, et tout comme moi il jouait de la batterie. Il aurait aimé jouer comme Max Roach et moi comme Steve Gadd, mais il faut reconnaître que nous en étions loin, très loin… J'ai été l'écouter jouer à l'Amour fou et il est venu m'écouter à Courtrai lorsque Walter Hus m'avait enrôlé dans son band.
Nous avons aussi été à un concert de Michel Portal, qui, pour un prix modique, nous a enchanté, ainsi qu'à un concert de Woody Allen, qui, pour un prix exorbitant, a fait que nous en sommes sortis en le détestant, tellement il jouait mal !
Mes études terminées, nous sommes devenus collègues pendant quelques années dans l'atelier de photographie dans lequel j'ai également donné cours, jusqu'à ce que je sois gentiment éjecté par les influenceurs en poste… Il n'avait pas toujours un rapport facile aux institutions qu'il avait pourtant tendance à courtiser, peut-être parce qu'il en attendait trop et qu'en plus son travail pouvait parfois être considéré comme photographique par les responsables de la peinture et comme pictural par ceux de la photographie… Une petite parenthèse pour dire que pour moi qui, contrairement à lui, n'attendais pas grand chose des institutions, les plus belles réalisations que j'ai eu l'occasion de faire en Belgique m'ont été proposées par Les Brigittines et par l'Atelier 34zéro de Wodek, respectivement salle de spectacle et musée de sculpture…

A un moment, Pierre s'est exilé pour quelques années dans le sud de la France. J'ai été lui rendre visite, il vivait dans une magnifique villa entourée d'un jardin immense, contraste improbable avec son petit atelier bruxellois. S'il était solitaire, il n'en était pas moins très sociable et il s'est vite lassé des conversations à propos du foot, des voitures et de l'entretien des piscines qu'il pouvait avoir avec des voisins. Et il est donc revenu ici pour continuer son œuvre qui me semble unique et précieuse à bien des points de vue.
Pierre n'avait pas peur de partager ses relations, quand nous allions en Arles où il connaissait tout le monde. Il m'a mis en contact avec beaucoup de galeristes, éditeurs et collectionneurs, ce qui m'a vraiment aidé dans mon parcours. Il aura donc été en ce qui me concerne le Maître que je revendique aujourd'hui, parfois un exemple et parfois le contraire, mais avant tout un ami fidèle.
Et bien sûr je ne pourrais omettre de vous parler d'un de ses traits de caractère les plus marquants : son sens de l'humour ! Pierre adorait les plaisanteries, même graveleuses. Des personnages tels que Reiser, Wolinski, le professeur Choron, monuments de la culture française, faisaient partie de son panthéon. Il avait toujours sur lui un petit calepin dans lequel il notait les nouvelles blagues afin de ne pas les oublier et de pouvoir les resservir, et je pense qu'il ne fut pas un jour où il ne le sortit.

Adieu mon bon Piet,
Piet

Pierre Cordier hommage Pierre Radisic
 
Portrait Chimigrame par Pierre Radisic…
Chemigram Pierre Radisic, Music Walter Hus, 2007

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