The Paper Revolution
Soviet graphic design and Constructivism (1920-1930's)
Paper Revolution
Paper Revolution
Paper Revolution
Paper Revolution
Paper Revolution
 

Paper Revolution

V. Mayakovsky, About this
© The Rodchenko and Stepanova Archive

Pour le 100ème anniversaire de la Révolution russe le musée Adam revisite un des courants artistiques qui accompagna la naissance de l'URSS, le Constructivisme. Persuadés de pouvoir jouer un rôle déterminant dans la création d'une société nouvelle, les artistes de ce mouvement se heurtèrent rapidement au principe de réalité : le peuple n'était pas prêt à changer radicalement de mode de vie ni d'esthétique. C'est pourquoi le Constructivisme se concrétisa surtout à travers le graphisme et les publications de magazines, d'où le titre de l'exposition, Une Révolution de papier.

Les deux commissaires (Alexandra Sankova et Konstantin Akinsha) ont choisi l'angle du graphisme comme porte d'entrée dans la mouvance constructiviste, et l'exposition bénéficie de la coproduction du musée du Design de Moscou, ce qui permet aux visiteurs de voir des œuvres rarement montrées en Europe de l'ouest. Certains prêts proviennent en outre de collections privées russes ou de fondations, le tout complété par des extraits du film Octobre de S. Eisenstein (1928). Si la scénographie minimaliste peut surprendre les visiteurs, l'exposition renferme une foule d'informations et de documents passionnants, à condition de lire le livret rédigé par les deux commissaires… Chaque section de l'exposition s'attache à un aspect du graphisme constructiviste, comme la typographie, l'influence du Suprématisme de Malévitch, le photomontage ou les unes de magazines. Dans des vitrines ou sur les murs les livres et les affiches illustrent les changements radicaux introduits par les Constructivistes dans le langage visuel : invention de typographies, usage de formes géométriques, bouleversement des perspectives, collages et photomontages audacieux…

Parmi les artistes vedettes du mouvement se trouve Alexander Rodchenko, fortement influencé par le Dadaïsme et par Malévitch : la couverture qu'il réalise en 1923 pour un recueil de poésie de Maiakovski marque ainsi le début officiel de l'esthétique constructiviste. Une majorité de documents exposés concerne d'ailleurs Rodchenko, dans sa période militante : car cet aspect est bien mis en valeur dans l'exposition. En effet les artistes constructivistes servirent le régime soviétique dans sa volonté de créer un homme nouveau et une esthétique révolutionnaire, quitte à abuser du photomontage comme ce fut le cas pour Rodchenko : dans ses nombreuses images publiées dans la revue URSS en construction il retoucha des photos d'ouvriers sur les sites des grands travaux entrepris par Staline. La figure de l'ouvrier et de l'homme du peuple revenait d'ailleurs fréquemment dans les images des années 1920-1930, surtout dans les nombreuses revues et magazines qui virent le jour sous l'impulsion des artistes eux-mêmes.

Au-delà de l'usage novateur de la typographie ou des couleurs, les Constructivistes eurent recours à l'imagerie traditionnelle des icones orthodoxes, comme le soulignent les deux commissaire : ainsi G. Klutsis représente-t-il Lénine en 1924 comme une figure de saint émergeant d'un fond mal défini pour impressionner la foule. La mort de Lénine donna d'ailleurs naissance à une forme de religion politique centrée sur sa personne, en référence au culte des saints dans la religion orthodoxe : ou comment le communisme réinventa la religion sous couvert de la supprimer… Les revues et magazines contribuèrent beaucoup à la diffusion de la propagande soviétique, les titres accrocheurs et l'abondance d'images palliant l'absence d'analyse politique : selon les commissaires une revue comme URSS en construction finit par devenir un équivalent des Biblia pauperum du Moyen âge, soit des livres d'images destinés aux pauvres et analphabètes. Le succès de l'esthétique constructiviste fut tel qu'il engendra ensuite des copies et des plagiats parmi la population russe, comme le montrent plusieurs documents imprimés exposés ici et réalisés par des anonymes dans les années 1930. Il s'agissait donc d'un succès politique puisque la nouvelle esthétique avait pénétré jusque dans les esprits du peuple…

La fin de la période constructiviste se révèle moins brillante politiquement, car outre les accusations de formalisme dont souffrirent certains artistes leur production s'orienta vers des ouvrages de luxe destinés aux grands dirigeants politiques, ce que les commissaires appellent "des ouvrages d'autoglorification". Emballés dans des coffrets raffinés et peu diffusés, ces ouvrages allaient donc à l'encontre des idées fondatrices du Constructivisme : le mouvement se délita progressivement à la fin des années 1930, et Rodchenko entama avec un certain succès une carrière de photographe "plasticien" comme il serait qualifié aujourd'hui.

Cette exposition très ramassée et présentée dans une seule salle du Adam n'occulte donc pas les aspects les plus politiques du mouvement constructiviste, comme l'aveuglement militant des artistes face aux manipulations des images et leur promotion d'un monde ouvrier idéalisé. Si les Constructivistes se fourvoyèrent en politique, ils ont en tout cas révolutionné le graphisme et l'édition du début du 20ème siècle et exercé une influence durable sur les avant-gardes artistiques occidentales : cent ans après l'audace de certaines de leurs œuvres frappe encore les esprits.
 
Olympe Lemut
Bruxelles, septembre 2017
 
 
ADAM Museum, Bruxelles, jusqu'au 8 octobre 2017
www.adamuseum.be

accueil     vos réactions     haut de page     retour