Marie Rauzy
ou la stridence du quotidien
Marie Rauzy
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Marie Rauzy

Marie Rauzy, La nature, c'est beau, 2013, acrylique et huile sur toile

 
 
 
 
Opposition, Opposition… le monde n'est qu'oppositions, proclament avec une véhémence épique et lyrique les toiles de Marie Rauzy présentées à la galerie Marie Vitoux. En effet, elles semblent traversées par toutes les contradictions de la vie et de l'art. Elles sont construites sur une dissonance qui leur donne à la fois beauté et raison d'être. La première d'entre elles, purement picturale, se manifeste dans la rivalité sur une même toile de la peinture à l'huile et de l'acrylique. La première prête sa fluidité et ses nuances infinies aux paysages incertains et aux indécises lumières entre chien et loup. La seconde pose ses empâtements aigus et capricieux sur les personnages bien tranchés, venus d'on ne sait où.

Autre contradiction, celle qui met en prise la grisaille du quotidien et les délires d'imagination de ses mornes acteurs. Quoi de plus banalement quotidien que le premier terme de la trilogie métro-boulot-dodo ! Marie Rauzy excelle à nous présenter ces zombis, ces rêvasseurs, ces abrutis transportés comme des paquets par le métropolitain. Ne nous y trompons pas, ce sont d'autres nous-mêmes. Mais ce que dépeint l'artiste avec une acuité sans pareille, ce sont les imaginations, les fantasmes, les rêveries qui traversent la tête de ces endormis. Une vie vibrante, toujours présente dans l'autre, l'être là-bas masqué par l'être-ici, et qui en assure peut-être la permanence. Un dormeur debout et une dormeuse assise voyagent dans le tableau Désir d'affluence, songeant peut-être à la belle Marie-Madeleine qui revendique sa fière nonchalance devant Marthe la laborieuse. Or ce dernier sujet est emprunté à un tableau du Caravage, ce qui met le visiteur en face d'une autre opposition, celle de la peinture présente — celle du bel aujourd'hui — et la peinture de notre prestigieux patrimoine culturel. Nous avons tous un musée imaginaire dans la tête, un charivari d'images qui accompagnent les regards que nous posons autour de nous. Parfois, nous ne les voyons même pas, elles surgissent derrière notre dos à notre insu. Marie Rauzy les voit et en fait le portrait. Tels ces petits angelots grassouillets et rubéniens qui voyagent incognito, inaperçus des voyageurs. Ils rappellent ces êtres, évoqués par le poète dadaïste Ribemont-Dessaigne, qui se cachent derrière les troncs d'arbre, de l'autre côté de l'observateur. On a beau tourner autour de l'arbre on ne les voit jamais !

Il y a sur une autre toile de l'artiste, Par exemple, une scène captée sur un quai de métro. Deux ados qui ont la vivacité du flou se divertissent autour d'un téléphone portable. Ainsi passe le temps. Dans leur dos une belle affiche montre une scène muséale de notre imaginaire collectif, le retour du jeune Tobie parti chercher un médicament pour guérir son vieux père, (tableau de Jan Sanders van Hemessen). Il pourrait ne pas y avoir trop d'écart entre les deux oisifs doublement immobiles dans le métropolitain, assis devant l'écran de leur portable, et le jeune Tobie se mettant en route pour la bonne cause. Marie Rauzy saisit le hasard d'un instantané pour donner un prolongement archétypique à une scène quotidienne. Elle explique : on a de grandes idées dans la tête, mais on grogne dans le métro. Ce qui l'amène à montrer une autre opposition dans sa démarche, celle qui existe entre le momentané et le permanent, entre l'instant et la durée, entre le flou et le fixe.

Cette mise face à face d'une image culturelle et de notre réalité métropolitaine se retrouve sur la grandiose toile 1 000 000 m2. Bien que mesurant 150 x 90 cm, elle donne à sentir cette immensité, par le flou de la peinture à l'huile qui évoque l'espace souterrain du RER. Là un homme vêtu simplement d'acrylique noir et blanc tend les bras à l'horizontale, comme pour saisir la vastité du lieu. Il est immédiatement reconnaissable en la personne de l'étonné d'un Souper d'Emmaüs du Caravage. Il ne s'agit pas d'un détournement d'image à la manière des situationnistes, mais d'une gestuelle dramatique qui traverse les siècles. L'opposition des époques est levée par la vérité de l'expressivité corporelle. D'autres tableaux sont de la même veine. Sous le titre en clin d'œil poétique, Les chiens sont interdit dans le métro, se présente un seigneur de la Renaissance fièrement appuyé sur une lance, accompagné de son chien fidèle. Dans un métro anonyme on retrouve son avatar en usager dépourvu de toute prestance, une main sur la barre, avec pour seule consolation le regard du chien.

Car l'opposition homme-animal est très présente dans l'œuvre de Marie Rauzy. L'animal est innocent, comme cette poule qui voyage clandestinement dans une rame qu'elle prend probablement pour une basse cour. (Mais savons-nous ce qui se passe dans la tête d'une modeste volaille ?) Quant aux humains roublards, ils se parent de masques et de casques zoomorphes afin de cacher et révéler à la fois leur identité. Témoins cet homme à tête de biche assis sur un strapontin, ou cet autre qui se coiffe d'une tête de lion. Et que dire de cet infortuné clochard couché sur le pavé comme un chien battu, cependant que dans le haut de la toile des vacanciers se bronzent sur une plage lisse dans des poses de carte postale. Autre opposition violente : les rupins et les miséreux.

Enfin le malentendu existentiel qui oppose les femmes aux hommes, ou plutôt la féminité à la vanité "machiste" trouve une expression poignante dans le grand tableau En croire ses yeux. La guerre, passe-temps favori des mâles occupe toute la toile dans un combat mythique entre les chevaliers "casqués, bottés, corrects et beaux garçons" (Eluard, commentaire de Guernica) qui s'entretuent dans une mêlée héroïque, sous le regard d'une spectatrice, debout de dos, à la fois dans le tableau et hors du tableau. Elle pourrait bien personnaliser le titre de l'exposition de Marie Rauzy : Flou d'immobilité.
 
Michel Ellenberger
Paris, novembre 2013
 
 
Marie Rauzy, jusqu'au 30 novembre 2013
Galerie Marie Vitoux, 2 rue d'Ormesson, Paris 75004
www.galeriepierremarievitoux.com - tél. : +33 1 48 04 81 00

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