Manet-Degas
autour de motifs communs
 
Manet & Degas
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Manet & Degas

Édouard Manet, Olympia, 1863-1865, Huile sur toile, Paris, musée d'Orsay

Cette exposition permet de rapprocher de grands artistes : Manet et Degas, autour de motifs communs, d'analogies et des sujets qu'ils réinventèrent et imposèrent tels que : des courses de chevaux aux scènes de café, de la prostitution au tub, des portraits divers, et aussi des genres. On trouve les scènes de café, puis la famille de Berthe Morisot et celle de Manet, etc.
Nous découvrons un Degas inédit, des tableaux provenant de l'étranger, qui aussi intéressants que ceux de Manet à la même époque. Ces deux peintres sont réunis dans la lumière de leurs contrastes, oblige à porter un nouveau regard sur leur réelle complicité.
Nous savons que Édouard Manet (1832-1883) et Edgar Degas (1834-1917) sont des acteurs essentiels de la nouvelle peinture des années 1860-1880. Cette modernité picturale fut absolument hétérogène, avec ses conflits divers, et révèle la valeur de la collection de Degas où Manet prit une place plus grande après son décès.
Les expositions croisées existent depuis le XVIIIe siècle et abondent au XIXe siècle lors des fameux salons ; les critiques et écrivains en attestent dans leurs écrits. Au XXe et aujourd'hui, on confronte deux grands artistes. Certaines confrontations de grands peintres, vues dans des fondations privées, ne sont pas toujours heureuses ni évidentes au niveau de l'histoire de l'art.

Quelques notes biographiques sur les deux peintres :
"Nés à Paris dans les premières années de la monarchie de Juillet, Manet et Degas sont tous deux les fils aînés de familles bourgeoises aisées. Après avoir effectué leur scolarité dans des établissements à la réputation solide, ils abandonnent leurs études de droit, auxquelles leur milieu les prédestinait, pour suivre leur vocation artistique. Si ce choix ne s'est pas fait sans heurts dans le cas de Manet, obligé d'en passer auparavant par le concours de l'École navale, auquel il échoue par deux fois, le père de Degas ne semble s'être que faiblement opposé à la décision de son fils, pourvu que celui-ci puisse vivre de sa peinture. Manet et Degas étudient chacun auprès de peintres reconnus et complètent leur formation par des voyages en Italie. Ce parcours, classique pour un jeune artiste, se fait néanmoins en dehors de l'École des beaux-arts, signe possible d'un précoce désir d'indépendance, et assurément révélateur d'une condition sociale élevée. Les premiers biographes de Manet ont invariablement rappelé son appartenance, par la naissance, à la "vieille bourgeoisie française", contre les ambitions de laquelle il doit mener la première des luttes qui émailleront toute sa vie d'artiste. Sa mère, née Désirée Fournier, est fille de diplomate et filleule du roi de Suède. Son père, Auguste Manet, haut fonctionnaire au ministère de la Justice puis juge au tribunal de Seine, personnifie, selon Duret, "toutes les particularités de sa classe, la bourgeoisie, et dans sa classe, de son monde spécial, la magistrature". Une telle description sied particulièrement au Portrait de M. et Mme Manet (voir visuel in catalogue) avec lequel Manet est admis pour la première fois au Salon en 1861. "Légende ou réalité, la rencontre de Manet et Degas au début des années 1860 se serait faite au musée du Louvre devant le Portrait de l'infante Marguerite Thérèse de Velázquez (1654) |148|, dont Degas réalisait alors une copie gravée1 |147|. Intrigué par le fait que ce dernier travaillait directement sa plaque de métal devant son modèle plutôt qu'en atelier – ce que suggère le sens de la gravure, inversé par rapport à l'original –, Manet, "goguenard", se serait ouvertement étonné de l'audace dont faisait preuve son jeune confrère: "Quel toupet ! […] Mon gaillard, vous aurez de la chance si vous vous en tirez comme cela 2." En digne élève de Thomas Couture, Manet copie, quant à lui, surtout les peintres vénitiens du xvıe siècle et les autres coloristes que sont Rubens, Rembrandt ou Boucher. L'observation des maîtres peut aussi générer des œuvres de fantaisie, telles les scènes d'atelier librement inspirées des Ménines de Velázquez peintes par Manet et par Degas. Plus ambitieuse, La Pêche de Manet.

On se souvient de la formidable exposition de Manet à Orsay (5 avril-17juillet, 2011) intitulée Manet, inventeur du Moderne, dont le commissaire était Stéphane Guégan. Il est encore le commissaire associé avec Isolde Pludermacher de cette nouvelle exposition – une exposition qui avait été programmée par Laurence des Cars lorsqu'elle était la directrice du Musée d'Orsay.
Stéphane Guégan précise quelques dates importantes : "Avril 1859. L'un a déjà vingt-sept ans, l'autre pas encore vingt-cinq… Il s'en fallut de peu, cette année-là, que Manet et Degas débutassent enfin au Salon, le premier avec Le Buveur d'absinthe (1859, Ny Carlsberg Glyptotek, Copen- hague), le second avec Portrait de famille | 39 |). Les recherches d'Henri Loyrette, dans les deux cas, ont permis de lever quelques méprises persistantes. À suivre les souvenirs, pas toujours fiables, d'Antonin Proust, Baudelaire aurait été auprès de Manet quand celui-ci apprit le rejet de son Buveur d'absinthe par le jury du Salon de 1859. Les ressorts d'une dramatisation de type hagiographique surgissent ici dans leur évidence: Manet ne peut être que la proie du conformisme institutionnel, le guignon le soude à Baudelaire, avant que la lutte ne les enivre tous deux… Rien, en fait, ne prouve que Le Buveur d'absinthe fût jamais soumis au jury du Salon. Seule certitude, récemment documentée : Manet, incapable de finir à temps son tableau, tenta d'attendrir l'administration impériale par deux fois, et obtint, semble-t-il, ce double délai avant l'examen de passage. Il est donc probable qu'il ait renoncé à envoyer l'œuvre, et qu'Antonin Proust ait préféré maquiller cette défaillance en persécution. En outre, jusqu'à sa vente en 1872, Le Buveur d'absinthe ne présentait qu'une demi-figure modeste, maladroite, et n'avait rien d'un "début" au Salon. Baudelaire lui-même ne dit jamais mot de cette obstruction faite au génie naissant !"

Manet fut un afficionado de Goya et Vélasquez, comme il l'a montré dans quelques-unes de ses œuvres : Le Christ aux anges, L'Homme mort ou Tres de Mayo… Une part de cette œuvre hispanisante allait l'imposer au Salon de 1861. En mars 1863, Manet commence par exposer 14 tableaux, dont Lola de Valence, chez Martinet, mais réserve Le Déjeuner sur l'herbe (musée d'Orsay, Paris) au Salon de 1863. On rejette le Déjeuner… au Salon des refusés, ordonné par l'empereur. Manet reste très réceptif aux plaintes suscitées par les rigueurs du jury. Lors du Salon de 1864, Le Christ aux anges lui vaut une nouvelle polémique, aussi virulente que celle du Déjeuner sur l'herbe.
L'exposition nous montre les correspondances et les mêmes thèmes que les deux artistes ont abordés : les courses, les cafés, les portraits, la mer… Rappelons que Manet, fin lettré, connaissait les écrivains de son époque et les critiques d'art ; il attendait plus d'attention à son œuvre de la part de Baudelaire, qui avait fait l'éloge de Constantin Guys, Peintre de la vie moderne, texte qu'il écrivit sur l'artiste, que de Zola qui lui consacra un très grand article. Manet avait fait son portrait que l'on retrouve dans cette exposition.
J'avais, lors de la fameuse exposition de 2011, écrit un texte sur Manet : Poésie de Manet, lequel était suivi par un entretien avec Philippe Sollers, La Révolution Manet, pour la Revue des Deux Mondes, mars 2011 – que l'on peut consulter encore – entretien que j'avais réalisé en novembre 2010.), qui devait se poursuivre dans un format plus ample. Mais il resta dans sa première et originale version. (Nous avons pu faire une vidéo de cet entretien.)
Extrait ci-dessous :
"Il faut dire immédiatement que Manet est tout entièrement poésie. Son geste, son motif, ses couleurs, son trait, ses femmes, ses personnages, son histoire et l'Histoire, sa volonté et son détachement, son style, son phrasé, ses leitmotive, ses fleurs, ses chats, ses cafés, ses visions, ses sensations, tout converge vers un moment intraduisible dans le langage commun. Il traverse le temps, il incorpore les expériences du passé, il se tourmente, et froisse ses nerfs, à fleur de peau ! Au moment où Manet surgit dans l'histoire de la peinture, à son époque, aux alentours de 1857-1860 (que les historiens nom-ment "génération 1860"), il a déjà peint des toiles qui trouent le paysage ambiant. Ses contemporains les plus attentionnés vont vers lui pour lui témoigner leur soutien. Ils s'informent de sa "manière". Que veut-il peindre, et comment envisage-t-il la peinture et son geste ? Dans l'histoire présente, dans l'histoire passée, dans l'histoire future ! Que se passe-t-il lors de cette période historique (1860-1863) ? Ce sont Fantin-Latour, Degas, Cézanne, Monet, Gauguin, Van Gogh et quelques autres qui apparaissent dans ce paysage bouleversé par 1858 et par la Commune. Les consciences critiques se réveillent, bien sûr, avec les écrivains (Baudelaire, Flaubert, Zola, etc.) et les peintres (Daumier, Degas, Delacroix, Courbet, etc.), qui manifestent, à leur manière, par leurs œuvres et leurs prises de position esthétiques et idéologiques.
Qu'est-ce qu'un chef-d'œuvre ? Ou qu'appelle-t-on une œuvre "classique" ? Les classiques nous permettent de comprendre qui nous sommes et où nous sommes arrivés. Chaque culture est nécessaire à une autre. Cette confrontation est essentielle. Pourquoi faudrait-il prendre tant de temps, tant de réflexion pour regarder les œuvres d'art et les chefs-d'œuvre, à voir la peinture classique, à lire les grandes œuvres littéraires et à entendre les grands compositeurs ?
Cioran rapporte cette histoire : "Alors qu'on préparait la ciguë, Socrate était en train d'apprendre un air de flûte. “À quoi cela servira ? lui demande-t-on. – À savoir cet air avant de mourir.” Si nous regardons les tableaux de Manet réalisés à différentes époques, si nous analysons leur caractéristique, leur style, leur place dans l'histoire de la peinture jusqu'à nos jours, on peut dire qu'ils appartiennent au “classique”, parce qu'ils tendent à léguer l'actualité au rang de rumeur de fond, sans pour autant prétendre et rendre cette rumeur. (E. M. Cioran, "Ébauches de vertige", in Écartèlement, Gallimard, 1979.) Ainsi est classique ce qui persiste comme rumeur de fond. Un chef-d'œuvre rejette automatiquement l'actualité de son temps."

Cette exposition permet d'observer les différences dans les réalisations picturales et graphiques des deux artistes, et comment ils expriment leurs points de vue sur la société de leur époque et le monde environnant. Deux regards pleins de charme et d'acuité, mais aussi démontrant une nouvelle vision de la peinture. Le travail des commissaires et des archivistes reste exemplaire pour juxtaposer les œuvres de nos peintres. Les prêts étrangers des œuvres facilitent de telles mises en parallèle des styles. Ce parallélisme d'acteurs nous propose une nouvelle lecture d'une époque agitée par de nombreux facteurs sociaux et de nouvelles conceptions esthétiques de la peinture. Manet s'oppose au goût ambiant, et Degas, même sans ses danseuses, ouvre une nouvelle voie, une nouvelle sensibilité pour le regard du spectateur par ses thèmes intimes. La muséographie contemporaine et les nouveaux outils de communication participent aujourd'hui de ces mises en scène de sujets, de relation entre deux artistes, entre deux visions du monde et de l'histoire. Allez voir cette exposition qui tend à renouveler nos perceptions et à réinventer notre regard sur Manet et Degas.
 
Patrick Amine
Bruxelles Paris, avril 2023
 
 
Manet-Degas, Musée d'Orsay, du 28 mars au 23 juillet 2023.
Musée d'Orsay-Esplanade Valéry Giscard d'Estaing 75007 Paris-France. Fermé le lundi.
www.Musee-orsay.fr

Notes :
Cette exposition est organisée par les musées d'Orsay et de l'Orangerie et le Metropolitan Museum of Art, New York où elle sera présentée de septembre 2023 à janvier 2024.
Catalogue sous la direction de Laurence des Cars, Stéphane Guégan, Isolde Pludermacher. Musée d'Orsay-Ed. Gallimard, 137 pages. Paris 2023. Paul Valéry : Degas Danse Dessin. Folio Essais n° 323, 1998. 272 p. 1ère édition 1938, Gallimard.
Manet-Degas, Œil pour œil, par Stéphane Guégan et Isolde Pluddermacher, mars 2023, Ed. Gallimard.

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