Jan van Eyck
Une Révolution optique
Interview de Johan de Smet
Jan van Eyck, une Révolution optique
Jan van Eyck, une Révolution optique
Jan van Eyck, une Révolution optique
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Jan van Eyck, une Révolution optique
 

Jan van Eyck, une Révolution optique

Jan van Eyck, une Révolution optique. L'Adoration de l'Agneau mystique, 1432

"L'oeil n’a qu’une quantité d’éblouissement possible."
Artaud   


Au moment où j'allais commencer cet article sur l'exposition Jan Van Eyck au MSK de Gand - j'ai pu la visiter le 7 mars au matin - elle venait de fermer par mesure préventive concernant le coronavirus. Il s'était pourtant écoulé une semaine seulement. J'avais par chance eu, quelques jours avant cette visite enchanteresse, l'occasion de m'entretenir au téléphone sur sa conception en touts points exceptionnelle avec Johan de Smet, son commissaire (voir notes).

L'exposition est une première, dans sa forme, jamais consacrée à Jan van Eyck (1390-1441) - elle regroupe quelques oeuvres réalisées avec son frère Hubert -, et se déploie sur treize salles dans lesquelles nous pouvons voir plus de 130 oeuvres : peintures, dessins, sculptures, miniatures, livres rares, incunables, archives et objets d'époque (voir notes). Sur les vingt trois huiles sur panneaux de bois qui lui sont attribués, treize sont réunis ici. Les Epoux Arnolfini (1434), sont en effet restés à la National Gallery de Londres, mais le musée a tout de même prêté un Portrait d'homme, le Leal Souvenir ou Tymothée (1432).

Sont montrés, entre autres, les huit panneaux du retable de L'Agneau mystique, un des chefs-d'œuvre de l'histoire de l'art, commencé par Hubert, son frère (1366-1426), en partie restauré (voir mon interview avec Johan de Smet). Comme vous le savez sans doute, l'ensemble du polyptyque est conservé à la cathédrale Saint-Bavon de Gand - aussi accessible - lieu pour lequel il a été créé et installé, le 6 mai 1432. Au milieu du XVIe siècle, les peintres Lancelot Blondeel et Jan Van Scorel, furent chargés de restaurer les panneaux endommagés par les différentes manipulations dont ils avaient fait l'objet. Les détails des panneaux furent souvent "revus ou ré-interprétés" et parfois recouverts de peinture. De grands et nombreux spécialistes ont récemment opté pour retirer certaines couches. Cela a permis de voir des détails enfouis, des fleurs et des plante ; plus de soixante quinze espèces, relève-t-on !

Dès le début de l'exposition, bon nombre d'entre nous avons la forte impression d'entrer dans un espace "secret", extrait du fond des temps. Quand bien-même aurions-nous pu découvrir un ou deux tableaux de Van Eyck en Europe, comme celui du Louvre, La Vierge du chancelier Rolin (lui aussi non prêté à Gand). Ces tableaux nous plongent dans un univers où la peinture a surgi tel la foudre, comme pour "réinitialiser notre oeil". C'est en quelque sorte "une réactualisation de notre regard" à travers une histoire emplie de symboles, de relations insoupçonnables entre les personnages de cette époque et les artistes qui ont inventé l'art flamand. Ils sont, pour partie, ici représentés : Peter Christus, Rogier Van der Weiden, sans oublier Van Dyck plus tard, etc…

Notons dans cette exposition la filiation et la présence de la Renaissance italienne avec quelques oeuvres de maîtres incontournables (Fra Angelico, Masacio, Ucello, Benozzo Gozzoli, etc…) que les conservateurs ont tenu à mettre en perspective historique. Superbe réactivation mémorielle pour le spectateur ! Continuons dans le monde de Van Eyck et observons de près cette Sainte Barbe (1437), une huile sur panneau, ou La Vierge à la fontaine (1439), autre huile sur panneau provenant d'un collecteur privé, et appartenant au musée royal des Beaux-arts d'Anvers. Nous basculons dans un espace-temps et une esthétique qui s'enveloppent et s'immergent dans la transfiguration des thèmes religieux. Soudain, nous avons la nette sensation que cette peinture, qui ne dévoile pas naturellement sa technique à l'oeil nu pourrait-on dire, si "secrète" et si originale, par sa composition et l'utilisation des couleurs, accomplit une osmose entre l'imaginaire, les lois divines et la lucidité indéfectible des protagonistes. Nous nous déplaçons à travers de nombreux thèmes ponctués par les espaces/salles : Péché originel et Rédemption, avec Adam et Ève ; Mère et Enfant ; La Parole de Dieu avec l'Annonciation ; L'Architecture ; La Statue peinte avec les Saints Jean sculptés ; L'Individu avec les portraits de Joos Vijd et son épouse Elisabeth Borluut, et Le Portrait divin.

Van Eyck offre une vision globale de la peinture à travers une composition presque mathématique, géométrique, dans un style totalement neuf et innovant par sa dextérité, son toucher, son utilisation des pinceaux. Leurs traces disparaissent dans ses œuvres… Ses détails picturaux, ses formes, ses lignes, ses traits, ses couleurs, tout un "système de composition", que l'on va retrouver d'une autre manière, dans les siècles suivants, notamment avec Cézanne et Picasso (regardez les pommes, la lumière blanche, les vert et les rouge, puis les Baigneuses). Johan Huizinga compare l'art de Van Eyck aux lignes de la statuaire égyptienne. Un autre historien, Von Schlegel identifie (le même rapport et la même inspiration convergente) la majesté du style Flamand à la grandeur de la rigidité de la statuaire égyptienne. L'historien Roberto Longhi écrit dans sa fameuse Histoire des arts : "Chez un esprit qui veut s'en tenir à la cohérence, la plus élémentaire, Masaccio et Van Eyck, Titien et Holbein, Bouts et Pollaiolo, Altdorfer et Lotto : il faut très vite prendre parti pour les uns ou pour les autres". Mot catégorique si on lit plus avant son livre.

Rapprochons toutes ces analogies et ces évocations libres des oeuvres présentées dans ce contexte. Dans l'Adoration de l'Agneau mystique (ou Autel de Gand), le personnage de Josst Vidjt, le donateur, supporte bien la "comparaison", il porte un costume de cérémonie bourguignon. Regardez aussi l'Eve, par exemple. Puis, il y a les autres oeuvres de Van Eyck : Le Portrait d'un homme au chaperon bleu (avant 1431) ; L'Annonciation (vers 1434–36) de la National Gallery of Art de Washington DC ; Le Diptyque de l'Annonciation (vers 1435), qui vient du Musée Thyssen-Bornemisza de Madrid. Nous avons dans cette exposition une série non négligeable de pièces provenant de l'atelier de Van Eyck, comme les Trois Marie au tombeau (1440), provenant de Rotterdam. On trouvera aussi, dans cette riche et dense exposition, huit copies d'oeuvres de Van Eyck par le primitif flamand Michiel Coxsie le "Raphaël flamand"(1499 -1592) et surtout celle de l'Agneau mystique (exécuté de 1557 à 1559). Il s'intéressait à la Renaissance italienne, vécut à Rome, rencontra Vasari et Michel-Ange, peignit les fresques de l'église Santa Maria dell'Anima.Rubens lui rendit hommage en reprenant deux de ses dessins ; il réalisa une copie de la descente de croix de Van der Weyden pour le roi Philippe II d'Espagne ; puis cette autre toile de Pierre-François de Noter et Félix De Vigne, où Albrecht Dürer se tient devant l'Adoration de l'Agneau mystique dans l'église Saint-Jean à Gand, vers 1840, elle marque l'intérêt que suscitait l'Agneau mystique. On a évoqué le réalisme eyckien. Jan van Eyck polit les formes à l'infini, sans laisser de traces de son pinceau que tient sa main sûre. C'est tout un ensemble de formes et de savoir-faire condensés en un style unique.

La biographie des frères Van Eyck possède de nombreuses zones d'ombre. On ne peut pas toujours suivre leurs parcours, leurs faits et gestes à travers leur vie. Jan van Eyck, qui vécut dans la province du Limbourg, avait une rente à vie, versée dès les années 1425 par Philippe le Bon, duc de Bourgogne, son protecteur et confirmée dix années plus tard. Il s'installa auprès de lui, à Lille et louait sa science de l'optique et l'originalité de son art. Van Eyck "voyageait" pour son protecteur, prenait des renseignements dans les villes d'Europe qu'il traversait. Philippe le Bon le chargea de rapporter de Lisbonne un portait d'Isabelle du Portugal, qui devait devenir sa troisième épouse. Le Duc avait un fils, le Prince Josse, qui fut baptisé à Gand lors de l'inauguration du retable. La Bourgogne s'étendait au Nord, de la Picardie à la Frise orientale, dont Gand était la ville la plus riche (Bruges, également riche, n'étant pas loin), l'économie était florissante. En une centaine de pages, nous pourrions explorer tous les éléments picturaux et les documents originaux qui composent cette exposition d'une très haute qualité scientifique et d'une richesse visuelle historique sans commune mesure, tant pour le spectateur profane que pour le spectateur averti et/ou spécialisé. Nous pourrions aussi traverser des siècles de peinture pour mettre en perspective cet événement Van Eyck, Il ne faudrait pas oublier d'évoquer la splendeur métaphorique propre oeuvre de Van Eyck, cette Révolution optique, initiée dans le berceau de l'Agneau mystique.

Roberto Longhi écrivait, dans son livre cité plus haut : "les artistes […] se tiennent tous par la main pour former la chaine de la tradition historique". C'est en quelque sorte ce que nous ont montré les deux derniers siècles (XIXe et XXe) de l'histoire de la peinture. Dans l'un de ses essais, le romancier, J.-M. Coetzee, souligne un point de vue qui rappelle les auteurs précédents. Il écrit que les critiques et historiens de l'art de génération en génération ne perdent pas leur temps, à soutenir des œuvres et des artistes. C'est pour eux une nécessité impérieuse qu'ils s'attachent à transmettre à travers le Temps, car la peinture du XVe siècle a toujours été le produit une relation sociale, où les pratiques existentielles étaient différentes des nôtres.

L'exposition Van Eyck nous offre une sorte de nouveau déclencheur esthétique pour parcourir les siècles passés et traverser le nôtre afin d'affiner une présence, une nouvelle perception de la peinture, une autre dimension visuelle lumineuse en regard de la pléthore des images qui nous entoure.
 
Patrick Amine
Gand, mars 2020
   liste des œuvres en pdf - Guide en pdf - Interview de Johan de Smet


MSK, Musée des Beaux-Arts de Gand (Belgium)-Museum voor schone Kunsten (MSK) - Citadelpark, Fernand Scribedreef 1, Gand (Belgique). Jusqu'au 30 avril.
Pour voir les tableaux en ligne sur : closertovaneyck.kikirpa.be.
Commissaires : Johan de Smet et Hellen Wyns. On espère que l’exposition rouvrira en avril ou sera prolongée.
www.mskgent.be

Catalogue, Edition Hannibal, 504 p., 64,50 €. Le Guide du visiteur, très bien réalisé, par les services éducatifs du musée : Matthias Depoorter et Lieven Van Den Abeele. 112 p., 15 €. La catalogue de l'exposition en français sera disponible début avril, il peut-être commandé. Au Musée Groeninge de Bruges, on peut voir La Vierge au chanoine Joris Van der Paele de Jan van Eyck (1436).

Notes diverses :

Jan Van Eyck (1390-1441), son frère Hubert Van Eyck (né vers 1366 à Maaseik, actuelle province de Limbourg en Belgique, et mort en septembre 1426 à Gand), il commença le fameux retable : L'Agneau Mystique (1432), installé à la cathédrale Saint-Bavon de Gand et que son frère Jan continuera. Note : "Le cœur de l'exposition est composé des huit panneaux du retable fermé de l'Agneau mystique de Jan et Hubert van Eyck. Entre 2012 et 2016, ces panneaux ont été restaurés au MSK par l'Institut royal du Patrimoine artistique. À titre tout à fait exceptionnel, ils sont exposés, ainsi que les représentations d'Adam et Ève qui n'ont pas encore été restaurées, comme des tableaux autonomes, en dehors de la cathédrale Saint-Bavon de Gand, à hauteur du regard des visiteurs, de sorte que les splendides couleurs, les matières presque palpables et les superbes détails peuvent être admirés de tout près par tout le monde. Dans cette présentation unique, ils sont accompagnés de la moitié des œuvres de Van Eyck que nous connaissons."

Je recommande ces fameux ouvrages qui font autorité depuis plusieurs décennies. Elisabeth DHANENS, Hubert et Jan van Eyck, Fonds Mercator, Anvers, et Ed. Albin Michel,1980. Danny PRAET & Maximiliaan P.J. MARTENS (réd.) - L'Agneau mystique - Van Eyck : Art, Histoire, Science et Religion, Paris 2019. Erwin PANOFSKY, Early Netherlandish Painting. Its Origins and Character, Cambridge 1953. Les Primtifs flamands. Ed. Hazan, 1992-2010. Réédition en 2019. Essai théorique avec un chapitre sur Van Eyck, où nous retrouvons les lumières de l'auteur sur nombre de détails sur la peinture flamande dans son ensemble. On peut aussi retrouver la fameuse Histoire de la peinture flamande depuis ses débuts jusqu'en 1864, d'Alfred Michiels, Paris-Bruxelles, 1866. Des extraits sur le Net. Et quelques livres publiés récemment tel que : Jean-Philippe Postel, L'Affaire Arnolfini - Les secrets du tableau de Van Eyck. ed. Actes Sud, mars 2016, 156 p. 18 € - Livre très documenté écrit par un docteur en médecine. Une méthode d'observation d'ordre clinique. Nous pouvons lire ou relire le Musée imaginaire d'André Malraux, Folio-Ed. Gallimard. J.-K. Huysmans, Ecrits sur l'art (1867-1905), Ed. Bartillat, 2019, Paris. Il signale qu'il a vu des Van Eyck à Bruxelles, en 1876, p. 70. Johan Huizinga, L'Automne du Moyen-Âge, Payot, 2002. Paris. - En 1902, à Bruges, il s'est tenu une grande exposition historique sur les primitifs flamands.
Note de Cathérine Verleysen, directeur du musée des Beaux-Arts de Gand, elle écrit dans son introduction : "Celle-ci (la technique révolutionnaire de Jan van Eyck) est principalement marquée par le raffinement du médium qu'est la peinture à l'huile, qui lui a donné la possibilité de peindre les détails les plus infimes et de rendre les matières presque palpables. Grâce à la parfaite synchronisation de l'œil et de la main, il est parvenu à transformer ses plus fines observations en images fidèles à la réalité. Sa connaissance de la physique l'a rendu capable d'imiter les effets optiques de la lumière qui sont nécessaires pour accentuer l'expérience de l'espace dans son œuvre. Non seulement par le jeu de l'ombre et de la lumière, mais également par la façon dont la lumière se déplace dans l'espace, est absorbée entre les plis des vêtements, se reflète sur les cuirasses convexes et concaves et se fraie naturellement un chemin à travers les surfaces transparentes comme le verre et les pierres précieuses ou encore l'eau courante."

Bref Florilège :

"Il me reste ce soir dans la mémoire surtout les Cézanne, les Chinois, les Ruysdael et les Van Eyck et les Egyptiens, ce qui probablement resterait dans la mémoire d'à peu près tous les peintres." Giacometti 1990, p. 203. Giacometti's drawings after Van Eyck, Paris 1991–92, p. 306–10.
"Jamais, à notre sens, aucun peintre n'a plus hautement commandé à son génie. Il le dirige, comme un théologien de science universelle et profonde établit ses thèses et prodigue et dispose et ramasse ses arguments. C'est un vainqueur calme, sûr de lui. Son Adoration de l'Agneau se déploie telle qu'un raisonnement éloquent et pathétique; c'est une page belle comme une philosophie, admirable et claire comme une explication du monde." M. Verhaeren, 1899.

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