Helmut Federle
lauréat du Prix Aurélie Nemours 2008
Helmut Federle
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Helmut Federle

Helmut Federle

 
 
 
 
L'artiste Aurélie Nemours a créé ce prix en 2000, décerné à un créateur "dont l'œuvre traduit l'exigence de rigueur et le combat pour les valeurs de l'esprit, quelle que soit sa discipline et la forme de son expression.". Ce prix est doté de 20 000 €. Depuis sa mort en 2005, c'est le jury de l'association culturelle Aurélie Nemours qui attribue ce prix avec le concours de la Fondation Aurélie Nemours. Les Lauréats ont été : Julije Knifer, Imi Knoebel, Adalberto Mecarelli, Bernard Aubertin et cette année Helmut Federle.

Boudé par son pays, la Suisse, Helmut Federle est reconnu en France et en Espagne comme un maître de l'abstraction métaphysique. Il conçoit l'art en tant que création spirituelle ou existentielle. Le Prix Aurélie Nemours, délivré par la Fondation éponyme et l'Institut de France, remis le 27 janvier à Paris, au Centre Beaubourg, temple institutionnel s'il en est, consacre Helmut Federle à 69 ans en le reconnaissant en tant qu'artiste intemporel. Son discours tournant le dos à la langue de bois a été très applaudi et beaucoup se sont précipités vers l'auteur plutôt que les petits fours afin de prolonger ce moment particulier.

Le voici avec l'aimable autorisation de l'artiste, la complicité de Nathalie Darzac de l'Institut-de-France et de Rosemarie Schwarzwälder de la galerie Nächst St. Stephan…
 
Véronique Grange-Spahis
Paris, février 2009
 
 
Mesdames, Messieurs,

Je vous remercie pour ce prix qui m'est décerné aujourd'hui par la Fondation Aurélie-Nemours. Mes remerciements vont d'abord à l'artiste Aurélie Nemours elle-même. Sans elle, il n'y aurait pas de prix ni, par conséquent, de lauréat pour le recevoir. Je tiens à lui exprimer, avec tout le respect qui lui est dû, ma gratitude. Je souhaite en deuxième lieu remercier le jury qui, en m'accordant ce prix, a voulu exprimer le fait qu'il reconnaît mon travail – et aussi, je l'espère, mon attitude.

Mais qui est l'homme auquel on accorde ce prix cette année ? Comment se fait-il qu'un peintre né en Suisse et redevable à la Suisse – surtout à Bâle – d'avoir pu faire ses études et d'avoir découvert, notamment dans le Musée des Beaux-Arts de cette ville, les artistes qui l'ont le plus influencé, se soit là-bas toujours vu refuser cette forme de reconnaissance professionnelle ? Comment se fait-il que huit années d'enseignement comme professeur à l'Académie des Beaux-arts de Düsseldorf, en Allemagne, n'aient elles non plus laissé aucune trace et n'ait attiré sur lui aucun intérêt notable ? Comment se fait-il que ce soit en France que ce peintre obtient le premier prix de sa carrière ? N'aurait-on pas pu, ou peut-être même dû m'attribuer, par exemple, le prix pour le pavillon national à la Biennale de Venise en 1997 ? On a attendu que j'aie soixante-quatre ans pour récompenser mon œuvre de peintre, de dessinateur et de créateur de formes architecturales ; voilà qui ne correspond pas non plus tout à fait – pour employer un euphémisme – aux mœurs de notre temps. Cette situation est donc tout à fait à l'honneur du jury du Prix.

J'espère que les divergences entre mes impulsions créatives, mes idéaux, et ceux d'Aurélie Nemours, sont moins importantes que ce qui est souvent le cas – par exemple pour le Prix Turner, décerné au Royaume-Uni, souvent jouet d'une propagande grossière. Turner, un peintre magnifique, n'est pour rien, il est vrai, dans ce malentendu. Ce qui m'importe à moi, c'est le brouillard de l'excitation intellectuelle et spirituelle une fois qu'il a pris forme. Pour moi, ainsi, la forme relève toujours du fond, aussi vulnérable soit-il aux aléas climatiques. Je n'ai pas non plus l'habitude de marquer mes œuvres au fer rouge. Et je reste forcé de constater l'existence de cette pensée d'avant-garde qui se reproduit perpétuellement, vénérant un concept de la liberté totalement galvaudé, et sa conséquence, le besoin maniaque d'inventer ce qui pourra briser un nouveau tabou. Ces stratégies de socialisation artificielle reposant sur une surévaluation de soi-même, ne s'appuient souvent sur aucune expérience, et l'on est tout à fait en droit de les juger incestueuses ; elles semblent servir de moteurs à la société, remplissant ainsi un rôle analogue à celui que les cours de la bourse ont magnifiquement tenu pendant des décennies. La bulle artistique de cette culture arrogante et propagandiste éclatera vraisemblablement comme le fait aujourd'hui celle de l'économie. Mais je suppose que cela ne prendra pas seulement la forme d'une "purification". Ceux qui s'attendraient à ce que cela produise un sens en seront pour leurs frais.

Depuis un siècle, depuis le début de la modernité aucune époque, aucun "zeitgeist" n'a vu les artistes satisfaire aux attentes moyennes et à la demande de consommation largement infantilisante de la société, comme c'est le cas aujourd'hui. Nos structures de socialisation occidentales et leurs valeurs ont été sérieusement mises à mal, notamment par la génération de 1968. On a fait des plus grands cyniques du milieu artistique des figures religieuses comme on a pu le voir ici, au Centre Pompidou  lors de l'exposition "Traces du sacré" ; un directeur de musée, à Vienne, ne trouve rien à redire à se faire photographier et congratuler dans les bras d'un artiste comme une œuvre d'art ; ou encore lorsqu'on nous vend Bernard Buffet comme un concept d'exposition décisif, comme cela a été le cas à Francfort. Je me demande ce qui se passe dans les cerveaux de ces gens-là. D'où vient cette compréhension décadente du sens, cette mièvrerie intégralement régie par les conventions ? Celui qui place Damien Hirst sur un pied d'égalité métaphysique avec Kandinsky est à mon avis un incendiaire agissant avec préméditation. Cette désobéissance convenue, cet actionnisme positiviste est insupportable et constitue à mes yeux la preuve que nous sommes bel et bien au cœur d'un choc de cultures. Mais ce choc n'oppose pas des religions ou des cultures différentes, non, il se produit au sein même de nos cultures et de nos religions respectives ; nous n'avons donc pas à nous étonner de cette colère et de cette violence.

Je voudrais exprimer encore une fois ma gratitude pour la reconnaissance qu'exprime ce prix, et aussi pour le fait qu'on l'attribue à une personne très profondément critique, comme moi, qui ne considère en rien son comportement social autiste comme quelque chose d'extraordinaire et n'accepte donc pas qu'on en use pour justifier sa marginalisation. L'attribution de ce prix à cette personne-là ne me semble pas aller de soi. Je voudrais exprimer la très vive gratitude que m'inspire ce courage. J'aimerais donner à ce remerciement isolé le même poids qu'un flot de remerciements conventionnels lui conférerait en d'autres occasions. Le Prix Aurelie Nemours a mérité cet engagement-là.

          Helmut Federle (Traduit de l'allemand par Olivier Mannoni)
 
 
Galerie Nächst St. Stephan, Rosemarie Schwarzwälder, Grünangergasse 1/2, A-1010 Wien
tél. : +43 1 512 1266,  www.schwarzwaelder.at
Prix Aurélie Nemours : www.institut-de-france.fr
Espace d'Art Concret de Mouans-Sartoux :  www.espacedelartconcret.fr

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