Gothiques au Louvre-Lens
Le Réseau Gothique - On The Road Again
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Affiche exposition Gothiques

Tout comme le Baroque, le Gothique – huit siècles déjà – renaît aujourd'hui sous d'innombrables visages, telle une veine souterraine, constante, qui irrigue sans relâche l'histoire de l'art, de la littérature, de l'architecture et, bien sûr, de la musique rock. Des réinventions "néo-gothiques" jusqu'aux pulsations sombres de la New Wave anglo-saxonne des années 1980 – souvenons-nous du mythique groupe Bauhaus et de son charismatique chanteur Peter Murphy – le souffle gothique n'a jamais cessé d'habiter la création. Ce n'est pourtant qu'au XVIIIᵉ siècle que le terme "gothique" s'impose véritablement. Rétrospectif par essence, il désigne un mouvement artistique né bien plus tôt, entre le XIIᵉ siècle (vers 1130) et le XVIᵉ siècle, dont les cathédrales furent les premiers manifestes de pierre.
L'exposition Gothiques, placée sous la direction d'Annabelle Ténèze, propose un vaste voyage à travers huit siècles de création. Plus de 250 œuvres – sculptures, objets d'art, peintures, arts graphiques, photographies, installations, mobilier, littérature, musiques et univers de la Fantasy – y composent un itinéraire foisonnant, du Moyen Âge au XXIᵉ siècle. Le parcours évoque le romantisme noir du XVIIIᵉ et du XIXᵉ siècle, la redécouverte du style néogothique et son influence sur des générations d'Gothiquess. Il convoque l'imaginaire de Nosferatu, l'ombre de Bela Lugosi incarnant Dracula, les visions ténébreuses de Tim Burton, ou encore le premier roman gothique d'Horace Walpole, Le Château d'Otrante (1764). De l'Allemagne romantique aux scènes du métal contemporain, le Gothique traverse le temps comme une obsession magnifique : celle d'un monde perdu, d'un rêve enténébré qui ne cesse de hanter nos cultures. Citadelles imprenables, abbayes en ruine, châteaux de cauchemar et lieux de claustration deviennent alors les symboles d'une imagination fiévreuse. Ce sont des paysages intérieurs, des architectures mentales, où s'entrelacent mystère, mélancolie et fascination. Le cinéma, à son tour, s'en empare, bâtissant des univers aux codes dramatiques et fantastiques, des royaumes d'ombre où l'on pénètre comme dans un songe – ou un labyrinthe.
D'où surgit donc le mot "gothique" ? Voilà la question cardinale que soulève cette exposition magistrale. Comment cet art de la lumière transfigurée et de la couleur céleste en est-il venu à incarner, aux yeux de nos contemporains, une esthétique subversive drapée de noir et nimbée de fantastique ? Quel mystère explique cette fascination perpétuellement renouvelée ?

Les réponses s'offrent aux visiteurs du Louvre-Lens, dévoilées à travers les arcanes d'une histoire pluriséculaire. Le parcours regorge de merveilles : œuvres fantastiques, romantisme noir, théâtre incarné par Sarah Bernhardt et son légendaire chapeau chauve-souris – dont une photographie saisissante témoigne ici –, Victor Hugo et Viollet-le-Duc ressuscitant l'âge d'or des cathédrales…
Le vocable "gothique" résonne comme l'écho d'une période artistique sans pareille : celle des bâtisseurs de cathédrales médiévaux. Né en Île-de-France et en Picardie au XIIe siècle, l'art gothique puis néo-gothique a engendré des formes d'une exceptionnelle diversité. Sa puissance expressive traverse les âges par sa variété kaléidoscopique et son caractère grandiose. Sources d'émerveillement absolu, ses motifs, son élégance humaniste, ses échos fantastiques s'allient à d'incroyables prouesses techniques architecturales. Embrassant tous les arts – de l'architecture à la sculpture, des vitraux aux manuscrits enluminés –, le gothique médiéval offre à chacun un visage singulier, miroir de sa propre sensibilité.

André Chastel écrivait en 1968, à l'occasion d'une exposition au Louvre : "Les idées sur le gothique ne se sont pas profondément renouvelées dans les dernières décennies. Mais il n'est guère de pays d'Europe où des découvertes, parfois toutes récentes, n'aient apporté des vues fraîches sur l'époque, son activité extraordinaire. Tout semble net, soigné, voulu ; le moindre objet est doté d'une forme qui le définit avec bonheur, en l'inscrivant dans une structure idéale."
Un peu d'histoire. Le mot "Goth" désigne d'abord un peuple, mentionné dès 115 après J.-C. par l'écrivain romain Tacite (58-120), qui les nomme "Gotones" dans ses Annales (II, 62). Ce peuple germanique, originaire des contrées baltes, constituait l'une des nations les plus reculées du monde romain. Ces Goths migrèrent vers le sud, franchissant le Danube – fleuve traversant dix pays de l'Europe actuelle – avant de se scinder entre Wisigoths et Ostrogoths. Au Ve siècle, ils déferlent en Italie, dans le sud de la Gaule et en Espagne. Ce "réseau" gothique déploie une profusion de sculptures (pierre et bois) provenant de Paris, de photographies des grandes cathédrales "Chartres en tête" de dessins, du bestiaire gothique peuplé de gargouilles, de l'écriture gothique reconnaissable entre toutes – lignes droites, hampes, jambages et crêtes ornant livres, chartes et inscriptions lapidaires. Les créateurs contemporains s'invitent au festin : Wim Delvoye et son Twisted Dump Truck (Clockwise) trônant dans le hall, sa cathédrale métallique en anamorphose ; Agathe Pitié (née en 1986) et son Sac de Rome par les Goths, toile pétillante de couleurs aux innombrables personnages évoquant Bosch ou Brueghel ; une photographie d'Anders Petersen ; la styliste Iris Van Herpen et sa robe-cathédrale ; Emilie Pitoiset, Florian Varennes, Benjamin Lacombe, Stan Manoukian ; les jumelles Christine et Thérèse Lipinski, programmant The Cure et Siouxsie and the Banshees… Revenons aux classiques. À l'orée de l'exposition, une statue de Childebert veille sur un ensemble historique : missel de l'abbaye d'Anchin (1200), Bible cistercienne, gisants de Liège (1371), Anges de Saudemont des Beaux-Arts d'Arras – deux statues polychromes de la fin du XIIIe siècle –, Christ bénissant de Lippo Memmi (1325-1329), un Bellini magnifique, La Vierge d'Humilité adorée par un prince de la maison d'Este (1425-1450) du Louvre, une Annonciation de Rogier Van der Weyden. Alentour, armoiries, blasons et héraldique déploient leurs mystères ; un gisant en pierre noire de Tournai de Guillaume Lefranchois (1446). Vers les salles du fond, les vitraux des jours de la semaine de Wim Delvoye illuminent l'espace. La salle la plus contemporaine exhibe panoplies "Goths", figurines et objets divers, témoins d'un revival gothique réinventé par une multitude d'Gothiquess, toutes disciplines confondues.

Cette exposition foisonnante captive par ses multiples strates, ses parcours entrelacés, ses surprises incessantes. L'histoire du gothique – voyage temporel magistral – semble renouer avec une sensation épidermique pour ses mystères et énigmes, interpellant les nouvelles générations, un certain ethos européen et international contemporain. L'exposition réunit sculptures, peintures, objets, photographies – avantage considérable de rassembler un corpus habituellement dispersé entre musées, villes et sites historiques. À voir absolument. En noir ou en couleurs !
Patrick Amine
Louvre-Lens, novembre 2025

Gothiques, Exposition Louvre-Lens, Louvre-Lens.
Exposition Gothiques du 24 septembre 2025 au 26 janvier 2026
99 rue Paul Bert - 62300 Lens. www.louvrelens.fr

Commissaire générale : Annabelle Ténèze, directrice du Louvre-Lens.
Catalogue sous la direction d’Annabelle Ténèze et Florian Meunier, Louvre-Lens Editions El Viso, 2025. Commissaire scientifique : Florian Meunier, conservateur en chef du patrimoine au musée du Louvre, département des Objets d'art, Conseillère scientifique : Dominique de Font-Réaulx, conservatrice générale du patrimoine, spécialiste du 19ème siècle, chargée de mission auprès de la Présidente-Directrice du musée du Louvre, Commissaire associée : Hélène Bouillon, directrice de la Conservation, des Expositions et des Éditions du Louvre-Lens.

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