L'expression du tragique dans une forme burlesque
Gloria Friedmann
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Gloria Friedmann, Le Parfait Amour, 2008, plâtre, résine, tissu

 
 
 
 
Il fut une époque, il fut des siècles, où le grand sujet des peintres était de rivaliser dans l'expression d'une profonde méditation sur la fragilité de la destinée humaine. Un entassement d'objets symboliques abondaient sur les toiles : l'image crue d'un crâne humain côtoyait une pluie de pétales tombée d'un bouquet fané, un étal de poissons morts et de gibiers pendus à des crocs de boucher s'éclairaient à la lumière fumeuse d'une bougie finissante. Un vieillard aux cheveux blancs et portant monocle épiait dans un miroir la nudité inaccessible d'une beauté ingénue. Suggérée par la flétrissure ou un sablier, la mort roda dans un grand nombre de toiles du moyen âge et dans celles des siècles qui suivirent notamment au 16 et 17ème siècles. Il y avait là, d'une part la manifestation d'une croyance religieuse - à savoir que l'être humain doit s'efforcer de se détacher, de son vivant, des biens terrestres pour qu'ainsi purifiée et allégée de son poids terrestre, l'âme puisse atteindre l'au-delà radieux qui lui était religieusement promis - d'autre part, la marque d'une fascination qu'exerçait sur les peintres le thème du passage de la vie au trépas, cette capacité à savoir exprimer la fragilité d'une vie sur terre dont la durée est jouée au hasard d'une loterie cosmique tenue par un grand maître invisible et inaccessible.

Cette interrogation primordiale se retrouve dans les propositions de Gloria Friedmann comme en témoigne l'ouvrage réalisé à l'occasion de son exposition "la lune rousse" au musée Bourdelle à Paris.

Avec lucidité, Gloria Friedmann aligne des images qui évoquent la fragilité humaine, celle des corps mais aussi des esprits, une fragilité qu'elle oppose à la pérennité indifférente de notre planète terre. Dans ce musée qui fut l'atelier du sculpteur Antoine Bourdelle (1861-1923) et où trônent en tous points ses bronzes monumentaux, Gloria Friedmann (née en 1950 à Kronach, Allemagne) a pris intellectuellement et techniquement le contre-pied de la pensée et du savoir-faire du Maître. Marqué par les horreurs de deux guerres menées contre une invasion allemande, Bourdelle exalta la force, le courage et l'esprit de sacrifice qui anime les patriotes en tous pays et quelque fut leur époque ; ainsi de son puissant Héraclès - le plus célèbre des héros grecs - et de ses hommages rendus au Général Alvear artisan de l'indépendance de son pays l'Argentine et au poète Adam Miekiewicz qui écrivit entre autre texte le "livre de la nation polonaise" à une époque où la Pologne n'était plus qu'une province Russe. Cette notion de patrie et de sacrifice fait en son nom est très souvent en France tournée en dérision, voire ridiculisée, au point qu'un ancien directeur d'école des Beaux Arts a pu affirmer sur les ondes nationales "sa honte d'être français" sans craindre pour autant un soupçon de sanction.

Gloria Friedmann nous a dit ne pas approuver ce reniement d'être d'un territoire, héritier d'une histoire, mais elle n'aborde pas pour autant cette problématique des frontières et des affrontements guerriers qu'elle engendre sous l'angle de l'héroïsme. Elle penche plutôt vers une préservation de la mémoire de toutes sortes de victimes, de ces victimes que les militaires nomment globalement du terme de "dommages collatéraux". Ainsi elle oppose, à la massivité des sculptures de Bourdelle évoquant de hauts faits guerriers, des surfaces légères et métalliques découpées en forme de squelette humain, des squelettes schématiques qui épousent des attitudes d'impuissance et de désespoir : l'un est agenouillé et supplie, un autre esquisse le geste d'un suicide par arme à feu, un troisième est pendu, quand un autre encore simule par un "haut les mains", le signe d'une totale reddition. Le plus surprenant est que le fer de ces marionnettes, postées dans des attitudes tragiques, est recouvert d'une peinture rose vif, un rose bonbon qui tranche bruyamment sur la noirceur des bronzes environnants. La gaieté cocasse de cette couleur layette contredit la dramaturgie atrabilaire des postures.

La vie est une farce, crient les squelettes regroupés sous l'étonnant titre de série "cabaret", un titre qui en s'ajoutant à la couleur rose souffle un vent burlesque de tragi-comédie, convoquant dans nos mémoires le souvenir du célèbre film "l'ange bleu", film où Marlène Dietrich humilie à plaisir, dans un beuglant des années 30, un notable amoureux jusqu'à sa déchéance.

Ce soupçon de farce macabre s'insinue dans la théâtralité grinçante de "Garden Party", un ensemble de sept vasques métalliques posées haut sur tables, des vasques en forme de pots de fleurs et peintes en vert tendre. Sept cartels en céramique y sont collés précisant les qualités botaniques de la rose qui aurait pu y être plantée et le nom et la photo d'une célébrité qui lui est dédiée. Le choix s'est porté sur des femmes réputées pour leur talent et leur beauté et sur des hommes politiques ayant œuvré pour maintenir la paix des armes. Mais de même que la vision des squelettes - fussent-ils de couleur rose et associés au générique de Cabaret - étouffait tout frémissement de joie, le titre de Garden Party, appelant à la fête est contredit par une mise en scène que l'œil découvre peu à peu comme relevant d'un registre funèbre. De par leur forme ovale et leur matériau, leurs contenus textuels et photographiques de ces cartels ressemblent fort à ces livres encadrés déposés sur les pierres tombales et le pot de fleurs pourrait bien renvoyer à l'image de ceux qui ornent annuellement en novembre, les tombeaux ou à celle d'un urne funéraire.

Tout passe, nous rappelle Gloria Friedmann : la jeunesse, la beauté, le pouvoir. La mort est dans l'œuf, image d'un crâne repoussant la coquille qui l'enserre (Hello, 2008). La beauté s'est envolée constate Narcisse, un squelette se mirant dans un miroir. "Nous ne parlons pas de notre mort et pourtant nous ne sommes pas éternels. Soyons honnêtes avec nous-mêmes" nous murmure l'artiste. Le temps nous est compté, répète en Tic Tacquetant un ensemble de petits réveils posés sur le rebord d'une cheminée que surmonte un squelette brillamment argenté. Le temps nous a été déjà compté surenchérit un amoncellement d'animaux empaillés.

Du constat de la fragilité du vivant, Gloria Friedmann a conçu deux résolutions : en premier lieu, agir pour préserver la nature, sans nostalgie excessive d'un paradis perdu et militer pour une défense de la terre qui soit à l'écoute d'un devenir raisonnable de notre planète. En seconde part, suspecter dans tout discours politique, les traces d'une possible manipulation des esprits. Ainsi Metropolis (2008) - une surface de 7m de haut épousant les contours d'une forme humaine - est recouverte d'une photo de foule en marche tandis que des chefs d'Etats occidentaux sont photographiés - nous faisant face - devant des pots de cactus (Verts, 1997), en dessous d'un étalage de cochonnailles (G7, 1997) ou paraissent immergés dans un aquarium (Chambord, 1997).

Alliant une imagerie plus spatiale que sculpturale à un engagement politique, Gloria Friedmann caricature ces élus en exploitant chaque fois l'effet théâtral du miroir. Le summum de cette méfiance est atteinte quand elle expose "painting as a Past Time" (2008), trois reproductions de paysages signés… Adolf Hitler, Dwigt Eisenhower et Winston Churchill. Le pouvoir envahit la sphère privée… Une citation de Marshall Mc Luhan en 1964 illustre bien la pensée de Gloria Friedmann : "Il n'y a pas de passagers sur le vaisseau spatial, nous sommes tous membres d'équipage".
 
Liliane Touraine
Paris, février 2009
 
 
Musée Bourdelle, 16, rue Antoine Bourdelle, 75015 Paris
www.bourdelle.paris.fr - tél. : +33 1 49 54 73 73
Le catalogue édité par Paris-Musées à l'occasion de l'exposition "la lune rousse" est riche de bien d'autres œuvres s'étirant des années 1980 à 2008 avec 318 pages et de nombreuses reproductions en couleur ; texte français-anglais, 30€

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