Fauves et Expressionnistes De Van Dongen à Otto Dix
Chefs-d'œuvre du Musée Von der Heydt
Fauves et Expressionnistes De Van Dongen à Otto Dix
Fauves et Expressionnistes De Van Dongen à Otto Dix
Fauves et Expressionnistes De Van Dongen à Otto Dix
Fauves et Expressionnistes De Van Dongen à Otto Dix
 
 

Fauves et Expressionnistes De Van Dongen à Otto Dix

Ernst Ludwig Kirchner, Moulin à vent à Fehmarn, 1913, huile sur toile, Wuppertal,
Von der Heydt-Museum (c)Von der Heydt Museum/Wuppertal,
Fauves et Expressionnistes De Van Dongen à Otto Dix

 
 
 
 
 
Longtemps sous-estimée en France, quand elle n'était pas complètement occultée, la peinture expressionniste allemande du XXe siècle bénéficie depuis quelques années de remarquables expositions, évaluant cette production à l'aune de son contexte. Après Allemagne Les Années noires au Musée Maillol puis Emil Nolde au Grand Palais et au Musée Fabre de Montpellier, le Musée Marmottan se joint au mouvement à travers un choix resserré mais très significatif d'œuvres du musée de Wuppertal. Cette institution fut baptisée Von der Heydt après la seconde guerre mondiale, du nom du baron et son fils qui lui offrirent leurs tableaux modernes, acquis peu avant voire au moment où les nazis frappèrent d'anathème l'avant-garde artistique…Après la chasse aux "dégénérés", les bombardements des années 1940 portèrent un nouveau coup dur à la collection Von der Heydt. Ce qui en subsiste rassemble néanmoins des tableaux majeurs de la peinture allemande, bien sûr, mais aussi autrichienne autour de Kokoschka, ainsi que française.

On l'a souvent dit, la galaxie fauviste partage bien des points communs avec la peinture contemporaine d'Outre-Rhin, notamment son emploi d'une couleur libre structurant la composition, mais prend des directions bien différentes, même au sein de la mouvance. Motif cher à Raoul Dufy, Le Port du Havre (1906) reprend des formules de Monet par le sujet et le traitement spatial japonisant ; l'organisation dense des éléments montre tout autant la dette générale de Dufy à l'égard de l'impressionnisme, avant que le peintre normand ne s'approprie une touche fugace et elliptique. Peu avant de rejoindre la cordée cubiste de Picasso, Braque regarde aussi du côté de l'auteur d'Impression soleil levant dans Le Port d'Anvers (1906), peint avec une palette enjouée qu'il abandonnera bientôt. Son ami Vlaminck, pourtant l'un des grands zélateurs du fauvisme, s'incline sagement devant le Cézanne de l'Estaque pour exécuter Trois Maisons (1910) : sans être négligeable, la toile ne reflète pas la capacité de synthèse et d'innovation dont fait preuve le cubisme cézannien des années 1907-1909. C'est plutôt dans les représentations humaines qu'il faut voir les expériences les plus hardies et séduisantes. Toile rayonnante d'Herbin, le Portrait de jeune fille (1907) partage quelque parenté avec La Femme au chapeau (1905) de Matisse ; néanmoins, le fauvisme d'Herbin s'oriente davantage vers Van Gogh, médité avec beaucoup de finesse, par le contraste solaire du bleu et du jaune comme l'application de touches plaquées. Kees van Dongen, le mondain, livre avec son Nu de jeune fille (1906) une troublante image de la féminité, offerte sans pudeur. Une nymphe subitement apparue, comme le dernier mot du symbolisme finissant ? Une prostituée malheureuse et généreuse à la fois, dans la veine d'un Toulouse-Lautrec ? À moins d'y voir simplement un beau modèle, transformé en figure décorative dans un genre bientôt développé par Matisse, quoique beaucoup moins leste. Quant à Robert Delaunay, sa Femme aux potirons (1915-1916) renoue, par le thème et son attention monumentale, avec le meilleur de la scène de genre hollandaise du Siècle d'or : c'est La Laitière de Vermeer, revue et corrigée par la loi du contraste simultané ! S'en dégage, dans la solennité du geste, une noblesse sans pompe ; paradoxalement, la couleur chatoyante magnifie cette humble femme, transfigurée par l'éclatement du prisme.

De l'autre côté du Rhin, la couleur prenait aussi tous ses droits, empruntant volontiers des chemins de traverse. Quatre Femmes (1910) de Kirchner prouve combien l'Arcadie exotique de Gauguin fit rêver en Europe : les corps nus dans un paysage verdoyant appartiennent certes à un courant alors en vogue, de Renoir à Matisse, mais les teintes arbitraires, le cerne sombre et les réserves sur la toile n'appartiennent qu'au prophète des Marquises. Kirchner a toutefois tendance à s'exprimer par un trait anguleux, aux accents inquiétants pour Femmes dans la rue (1914), description nocturne d'une rue où errent des couples anonymes, et d'un géométrisme nerveux dans Moulin à vent à Fehmarn (1913), qui dénote une grande compréhension des premiers essais cubistes de Picasso. Reprenant lui aussi l'enseignement de Gauguin avec un graphisme acerbe, Pechstein portraiture son petit garçon dans un style presque inquiétant ; le regard de l'enfant est oblitéré, sans vie même (Fils de l'artiste dans un sofa, 1917). Cette manière dérangeante, nourrie par la détresse de l'Allemagne du temps, se révèle tout autant_ sinon plus_ chez les deux grands noms de l'expressionnisme de l'entre-deux-guerres. Grand numéro de variété avec magicien et danseuse (1942) de Max Beckmann s'attache au monde interlope et superficiel du cabaret pour exhiber la société à la dérive, selon un angle de vue déjà employé par Seurat dans Chahut. Otto Dix s'intéresse aussi au spectacle, mais pour se mettre lui-même en scène dans une composition qui frise le surréalisme (À la beauté, 1922) : portant un costume impeccable, l'artiste se dresse au premier plan, nous fixant pour mieux interroger ; autour de lui, un couple de danseurs fort élégants évolue sur un tempo différent de celui de l'enthousiaste batteur noir de jazz, alors qu'arrive une femme visiblement de petite vertu…Faut-il y voir la métaphore d'un peuple qui tente d'oublier l'humiliation de la guerre, avant de basculer davantage dans la déchéance ?

Dans un registre très différent, tout comme leurs préoccupations esthétiques, les membres du Bleue Reiter (fondé en 1911) entreprennent de multiples variations sur le potentiel suggestif de la couleur. Le plus éminent d'entre eux, Kandinsky, s'engagera même sur la voie de l'abstraction, comme on le sait : avant le grand saut de 1912, l'artiste d'origine russe peint d'éclatants paysages (Église villageoise sur les bords du lac de Rieg, 1908 ; Maisons à Munich, 1908), où la vibration symphonique de la touche n'a d'égal que la rigueur d'organisation des formes, suivant en cela les préceptes des séries de Monet, regardées avec grand intérêt par Kandinsky, tout comme par Gabriele Münter, sa compagne injustement oubliée (Paysage sous le givre, 1911). Les autres contributeurs au Bleue Reiter évoluèrent dans le domaine purement figuratif, de façon non moins originale. La Première Guerre Mondiale emporta deux artistes prometteurs : August Macke, parvenu à un compromis entre l'ordre géométrique et la perception aigüe de la lumière, dans un style parfois proche de celui de Robert Delaunay (Jeune fille avec des poissons dans un récipient de verre, 1914), et Franz Marc, remarquable peintre animalier, à la recherche d'un Éden aux couleurs chaudes, vives et sereines (Renard d'un bleu noir, 1911). Souvent d'une grande finesse psychologique, même lorsqu'il tend à faire du visage un masque (Les Yeux noirs, 1912), Alexej von Jawlensky sait aussi faire montre d'une maestria ornementale dans la mélancolique Jeune fille aux pivoines (1909), qui capte le regard par la magnifique interpénétration entre la profondeur du sentiment et la force de la tonalité.

Concluant le parcours, un cabinet d'arts graphiques confronte autoportraits et diverses représentations d'artistes. Au-delà des singularités propres à chacun, émerge un même regard introspectif qui dépasse la simple interrogation personnelle : ces gravures et dessins résonnent comme les bribes d'une plainte lancinante, face aux sombres menaces planant sur le monde. Preuve s'il en est qu'en des temps troublés, l'art peut être, sinon un espoir, au moins un exutoire.
 
Benjamin Couilleaux
Paris, février 2010
 
 
Fauves et Expressionnistes De Van Dongen à Otto Dix
Chefs-d'œuvre du Musée Von der Heydt
Musée Marmottan 2, rue Louis Boilly 75016 Paris
du 28 octobre 2009 au 20 février 2010
http://www.marmottan.com/francais/Evenements/Fauves-expressionnistes/

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