Mettre de l'ordre : "Les Maîtres du désordre",
une exposition bien rangée
Les Maîtres du désordre
Les Maîtres du désordre
Les Maîtres du désordre
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Les Maîtres du désordre

Les Maîtres du désordre

Masque de China Supay, début du 20e siècle
© musée du quai Branly, photo Sandrine Expilly

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Toute explication du monde doit énoncer l'origine et attester de la stabilité, de la pérennité de celui-ci. A cet ordre global, les faits ajoutent anicroches, évènements incompréhensibles et réalités effrayantes, hasards, chances, accidents, maladies, morts. Prendre en compte l'imprévisible est alors le moyen nécessaire de se l'approprier, de contrôler l'anxiété qu'il génère. Agir sur le désordre (ou peut-être équilibrer ordre et désordre du monde) est le rôle des intercesseurs au travers des pratiques chamaniques. Ce désordre se manifeste aussi au groupe lors des instants de catharsis et de partage, purification et contrepoint des contraintes subies au sein de la société.

L'exposition se divise en trois sections emboîtées, le désordre du monde, la maîtrise du désordre, et la catharsis. Objets ethniques et œuvre d'art se partagent un décor homogène, labyrinthique et complexe dont la vue d'ensemble dans le catalogue suggère qu'il ait été choisi pour son rapport avec l'exposition. L'aspect non fini est censé renvoyer par quelque manœuvre de l'esprit métaphoriquement à la notion de désordre. Il en résulte que les objets sont quelque peu banalisés, disséqués dans leur usage par des esprits affutés, débarrassés de leurs charges anxiogènes d’œuvres chargées, pleines d'énergie, entrouvrant les portes des mystères. La première section atteste magnifiquement du désordre du monde, mythes fondateurs, dieux inquiétants, héros perturbateurs y foisonnent en un inventaire alternant cultes éteints (Dionysos) et exotisme contemporain (Exu). La beauté et la complexité des sculptures et des images révèlent la force de l'adhésion des artistes aux cultes représentés.

Dans la deuxième section, l’intercession par les chamans, acrobates, clowns, danseurs, chanteurs, marionnettistes, est superbement documentée par des objets et vêtements chargés de sens, d'émotions, de traces d'usages. Si l'objet du chamanisme était de maintenir l'équilibre entre ordre et désordre du monde, on ne peut qu'y rêver à ces instants, ces lieux, ces rencontres, ces transgressions où tout cela a servi : théophanies, cérémonies pour la pluie, pour la chasse, divinations, tentatives de guérison, d'envol. Une section de vidéos des maîtres du désordre contemporains relativise l'exotisme de la pratique et montre surtout son universalité et son caractère toujours actuel.

La dernière section évoque la catharsis, le déclenchement, la libération, l'extension et l'apparition dans le corps social de ce désordre tellement contradictoire avec l'humain civilisé soumis au cadre légal qu'est le visiteur moyen du Quai Branly. L'enjeu de la catharsis est la purification. L'équilibre n'est plus assuré par le maître mais par la société qui autorise et codifie le désordre, outil et élément d'une société qui l'intègre et l'assimile. Un groupe humain qui se purge moralement ou esthétiquement de ses contradictions, de ses souillures, de ses difficultés. Celles-ci ont changé de nature au cours du temps : moins de problèmes de bonnes chasses ou de bonnes récoltes, plus d'affaires de pesticides et de rapports de force économiques. Entre l'antiquité des dieux évoqués dans la première section et l'époque contemporaine nous sommes passés de quelques milliers à des milliards d'êtres pollueurs destructeurs et grouillants soumettant la planète à leurs rythmes, leurs désirs, leurs lois, la souillant de leurs excès. L'exposition s'achève sur une accumulation d’œuvres d'art moderne et contemporain, plutôt dans la dérision et l'humour, comme pour faire pardonner la gravité de ce qui précède. Le chaman équilibre l'ordre et le désordre de la nature, l'artiste contemporain semble essentiellement lutter avec le désordre de l'humanité. Cela est-il hors sujet ?

Dans le parcours, d'autres œuvres paraissent plus à leurs places (Joseph Beuys, Jean Michel Basquiat, Anna Alprin, l'intense travail de Jean Luc Verna) Si le combat était entre ordre et désordre alors, les danses des chamans ont-elles été trop efficaces ? La mise en ordre de la Nature aurait-elle gagné et n'est-elle plus équilibrée par assez de désordre ? L'homme en arnachant encore le monde le pousse au bord du gouffre. Qui rétablira l'équilibre au travers d'un nouveau chamanisme? Quel chaman, quelle pratique pour intercéder avec le désordre de l'humanité ? Seule la transgression permet la lutte : les domaines en sont connus, le sexe, la violence, le rêve et son corollaire la drogue. Tous sont interdits de publicité dans les musées parisiens : reste l'art.

Dans l'éternelle lutte d'appropriation des arts premiers entre les marchands d'art et les scientifiques, je pense que les seconds ont heureusement gagné cette manche.
 
Dominique Thierry
Paris, mai 2012
 
 
Musée du Quai Branly, 37 quai Branly, Paris du 11 avril au 29 juillet 2012
www.quaibranly.fr
Commissariat : Jean de Loisy, en collaboration avec Sandra Adam-Couralet
Nanette Jacomijn Snoep, responsable des collections Histoire au Musée du Quai Branly
Conseiller scientifique : Bertrand Hell, professeur d'ethnologie à l'Université de Franche-Comté

L'exposition sera présentée au Kunst-und Ausstellungshalle der Bundesrepublik Deutschland (Bonn, Allemagne) du 31 août au 2 décembre 2012 et à "La Caixa" Foundation (Madrid, Espagne) du 7 février au 19 mai 2013.

Notes : exposition très bruyante, signalétique globalement lisible mais les cartels sont parfois accrochés à des endroits peu pratiques, textes explicatifs clairs, éclairage correct, catalogue complet et bien illustré.

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