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Quand la danse s'expose…
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Arles 2015 - Baiser et tête écrasée - Denis Plassard

 
 
 
 
Une simple image peut-elle retranscrire fidèlement l'esprit d'une danse ? Figer le mouvement sur pellicule ou sur carte mémoire permet certes de garder une trace d'un spectacle "vivant" éphémère par définition… Mais la photographie de danse se retrouve souvent cantonnée dans un rapport utilitaire avec son objet, devenant une source de documentation voire d'archives, et non une œuvre artistique. D'où l'austérité de la plupart des expositions sur la danse, à moins d'inclure des vidéos donc de l'image en mouvement.

Parmi les exemples récents, la double exposition consacrée à la chorégraphe américaine Lucinda Childs, au CND (Centre National de la Danse) et à la galerie Thaddaeus Ropac de Pantin. La chorégraphe a fourni de nombreuses archives, mais peu de photographies : il s'agit surtout de carnets, de croquis et d'affiches de spectacles des années 1960 et 1970. Au CND les photos exposées montrent un instant d'une chorégraphie, suspendue, un mouvement figé : or les chorégraphies de Childs sont caractérisées par la répétition et un travail sur l'espace en mouvement. Ces images donnent donc plus une idée de la mise en scène et de l'occupation de l'espace que de la nature du geste. Et la présentation assez morne dans des vitrines ou sur des murs blancs ne renouvelle pas la scénographie ! Plusieurs téléviseurs anciens permettent néanmoins de voir des extraits de chorégraphies, dont le fameux "Einstein on the Beach" créé avec Bob Wilson : soudain le travail de L. Childs devient vivant. Une salle de projection accueille finalement des films expérimentaux autour des pièces dansées de la chorégraphe, mais il faut bien connaître son œuvre sur apprécier : même la vidéo a ses limites !

A la galerie Ropac les chorégraphies sont mises en regard du travail de Sol LeWitt, peintre conceptuel avec lequel Childs a collaboré plusieurs fois, notamment pour "Dance" en 1979. Là encore c'est plus le contexte de création qui est exposé que les œuvres dansées. La correspondance abondante entre les deux artistes éclaire ce processus mais les tableaux minimalistes de LeWitt n'apportent aucune chair au travail de la chorégraphe, malgré la réalisation d'un tableau grand format en direct à la galerie qui sera effacé à la fin de l'exposition par un disciple du peintre… Danse intellectuelle et peinture minimaliste, difficile d'y retrouver l'émotion du spectacle vivant. L. Childs a souvent dit qu'elle ne voulait pas faire une danse "personnelle" et ces deux expositions montrent bien la difficulté de rendre tangible son travail à travers des documents imprimés ou des oeuvres sur papier.

Ces problématiques sont inhérentes à la danse, et la Biennale de Photographie de Danse créée sous la houlette de P. Pauwels et P. Verrièle les aborde régulièrement. Le premier est chorégraphe, le second historien de la danse, et les 22 et 23 novembre derniers ils ont présenté deux journées d'étude à Paris dans les locaux de Micadanses. Au menu donc, des témoignages de danseurs, chorégraphes et photographes, et des débats avec des universitaires et des spécialistes. P. Verrièle a rappelé en introduction les rapports compliqués entre danse et photographie, et les rendez-vous ratés dès la fin du 19ème siècle : ainsi Loie Fuller qui préféra le cinéma à la photographie, ou la mondaine Cléo de Mérode qui mit fin à sa carrière de danseuse lorsqu'elle exigea de contrôler toutes les images de l'Opéra de Paris où elle figurait… A l'époque les photographes de danse ne mettaient jamais les pieds sur le plateau, ils restaient dans les salons et les studios. Autre exemple, celui des Ballets Russes, pour lesquels on ne dispose d'aucune photo en Europe, car Diaghilev se méfiait des photographes. Il resterait à faire l'histoire des images liées aux Ballets Russes, car il existe tout de même quelques photographies en Russie.

Mais la question principale reste celle du rôle du photographe : simple témoin du spectacle ou créateur aussi ? La disparition progressive des magazines spécialisés depuis une dizaine d'années oblige les photographes de danse à se renouveler, voire à réinventer leur profession. Soit en flirtant avec les arts plastiques comme Laurent Paillié, soit en appliquant à la danse des techniques audiovisuelles venues d'autres univers (Quentin Chevrier). Car à l'origine les photos de danse étaient destinées à être publiées dans la presse, et les photographes jouaient un rôle de passeur en direction du public. Or aujourd'hui l'essentiel des images de danse sert pour la communication en particulier sur Internet et les réseaux sociaux. Avec un aspect non négligeable : désormais les chorégraphes et danseurs peuvent produire eux-mêmes facilement des images de leur travail et les mettre en ligne directement. Quel espace reste-t-il aux photographes professionnels, et ce métier est-il amené à disparaître ?

Les grandes compagnies peuvent encore payer pour obtenir des photographies professionnelles de leurs spectacles dans des lieux "traditionnels" comme les théâtres ou les MJC. Mais les petites compagnies ou les danseurs moins intégrés dans le circuit doivent se débrouiller par leurs propres moyens. Tous les chorégraphes s'accordent cependant sur l'importance de diffuser des images de danse, quel que soit le support ou la forme. Certains d'entre eux pratiquent d'ailleurs aussi la photographie, effaçant ainsi la frontière entre les deux côtés de l'appareil photo, notamment lorsqu'ils se photographient eux-mêmes. Ainsi Denis Plassard, qui a réalisé des séries d'autoportraits où il porte des gens dans ses bras en cachant systématiquement son visage. Qu'il s'agisse des patients d'une unité de gériatrie ou de passants dans les rues de Sydney, il doit faire en moyenne une douzaine de prises de vue avant d'obtenir la bonne image. Ses séries font apparaître une chorégraphie du porté où le danseur joue le rôle d'intermédiaire entre les gens "ordinaires" et la danse, tout en se mettant lui-même en scène. Le danseur comme passeur en contact direct avec le public ?

La danseuse Anne Perbal quant à elle fait des autoportraits avec l'aide d'une assistante, lors de performances conçues pour être photographiées. Elle ne semble pourtant pas très à l'aise avec la fonction de cette assistante et elle revendique un droit d'auteur sur les images : elle sélectionne en effet seule les photographies à éditer, les retouche et contrôle les tirages jusqu'au bout. Cependant sur les livres publiés ensuite les deux noms figurent sur la couverture ! Qui est donc l'auteur des photographies dans ce cas ?

Enfin Karine Saporta fait de la photographie en parallèle de son travail de chorégraphe depuis de longues années. Elle ne fait pas d'autoportraits, ne photographie pas ses propres spectacles et pourtant elle fait poser comme modèles ses danseurs. Elle s'intéresse dans ses images comme dans sa danse à la notion de "fixité" et d'immobilité, bien loin du mouvement continu et fluide : la technique photographique lui convient donc parfaitement. Elle estime que le corps devient signifiant dans l'arrêt ou l'apnée, et qu'il s'approche alors de son incarnation. Une position à rebours de la course permanente encouragée par la civilisation contemporaine ultra connectée, et presque contraire à l'essence de la danse… Chercher le mouvement figé plutôt que son essence même à travers la photographie ?

Ces trois exemples montrent que la photographie de danse se développe désormais largement en-dehors de son cadre traditionnel (les spectacles ou les expositions), notamment grâce aux chorégraphes artistes. A voir la multiplication des expositions, conférences, livres et films consacrés à la représentation de la danse récemment (dont La Danseuse de Stéphanie Di Giusto sur Loie Fuller, et le dessin animé Ballerina) on comprend que ce sujet travaille aussi bien le milieu de la danse contemporaine que ceux de l'art et de la recherche universitaire. Sans doute parce que parler de danse en images permet d'aborder autrement le statut du corps et de ses représentations : les débats récurrents sur la nudité ou le corps malade pourraient s'enrichir de l'expérience des chorégraphes, photographes et artistes de danse. Il faut donc œuvrer pour plus d'interdisciplinarité !
 
Olympe Lemut
Paris, janvier 2017
 
 
Lucinda Childs, Nothing personal, 1963-1989 :

  - CND Pantin jusqu'au 17 décembre 2016

  - Galerie Thaddaeus Ropac Pantin jusqu'au 7 janvier 2017, www.ropac.net

  - Biennale nationale de Photographie de Danse, mai 2017 à Brive (France)

Denis Plassard : denisplassard.wix.com/hors-sol

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