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Le festival Circulation(s) au 104
Quand la jeune photographie scrute l'Europe et l'histoire

Circulation
 

L'édition 2019 du festival met l'accent sur les traumatismes du passé européen et occidental, révélant une tendance des photographes du continent à s'interroger sur leur identité.

Plusieurs photographes exposent ainsi des séries basées sur des archives et des documents anciens, à l'instar de l'Italien Umberto Coa : il s'est vu confier les archives d'un anarchiste italien anonyme. De ce corpus personnel il fait une installation très noire d'où émergent des slogans militants, des objets intimes et des photographies floues, autant de traces des combats politiques des années 1970 à 1990.

Plus classique, le français Mathieu Farcy s'intéresse aux Gueules cassées de 1914-1918 d'après les archives de l'hôpital de La Pitié Salpêtrière. Là encore une présentation sur fond sombre mélange portraits de soldats partiellement recouverts de bandeaux noirs (signe de deuil, ou de censure) et textes poétiques, pour une évocation de la défiguration qui évite le voyeurisme.

Certains travaux abordent plus directement le passé politique, comme la série des frères Şovăiăla (Roumanie) sur les diapositives de propagande utilisées sous l'ère Ceaucescu. Ces diapos projetées dans les écoles présentaient des situations stéréotypées où des "pionniers" du communisme montraient l'exemple à l'usine, à l'école, en famille… Les artistes ont récupéré plusieurs stocks de ces diapositives tombées en désuétude après 1989, et ils les exposent sur des tables lumineuses en regard de portraits des anciens pionniers. En réalité, comme l'explique Mihai Şovăiăla, "nous avons cherché à contacter ces enfants qui posaient pour les diapositives, mais c'était difficile donc nous avons mis en scène des habitants de Bucarest qui ont connu cette période". Il ajoute que les diapositives de propagande étaient à l'époque produites "par des réalisateurs et des photographes célèbres", et aussi proches du régime, puisqu'il fallait une autorisation pour exercer le métier de photographe à l'époque. Pour ce travail les frères Şovăiăla espèrent "ajouter des couches de sens aux images initiales" et faire connaître en Europe de l'Ouest la photographie roumaine de l'ère communiste.

Enfin, actualité oblige, le Brexit s'invite dans le travail du Britannique Ed Alcock : récemment naturalisé Français il confronte des portraits de militants pro Brexit avec un vieux manuel d'anglais utilisé en France dans les années 1960… Il s'en dégage une vision surannée de la Grande-Bretagne, un pays fantasmé comme aiment à l'imaginer les partisans du Brexit.

Le questionnement sur l'identité se retrouve dans des travaux plus portés sur le genre et le rapport au corps, notamment chez les photographes femmes. Ainsi la jeune Chloé Rosser (Grande Bretagne) qui photographie des corps nus dans des postures décalées, voire contraintes : "je photographie les modèles dans leur propre maison, ce sont des femmes, des hommes, des personnes transgenre aussi. Mais on ne voit presque jamais leur visage." Sur certaines photographies, il est en effet difficile de dire s'il s'agit d'un homme ou d'une femme, la peau et les muscles ne donnent aucune indication de genre, et c'est cette indétermination que recherche la photographe, jusqu'au trouble.

De même, l'Estonienne Birgit Püve réalise des portraits d'Estoniens anonymes ou célèbres pour trouver l'essence d'une identité nationale fluctuante. Le pays ayant été effacé des cartes plusieurs fois au cours de l'histoire récente, elle s'interroge sur ce qui subsiste de l'identité d'une nation dans les traits du visage.

Pour l'Italienne Marilisa Cosello, c'est le formatage du corps par le fascisme qui pose problème, et elle le démontre dans trois séries de photographies. La première montre les exercices de gymnastique imposés aux jeunes, où l'individu s'efface dans le groupe. Ensuite elle s'attaque aux attitudes physiques qui traduisent "la soumission" et l'acceptation des contraintes. Enfin elle rassemble des photographies familiales qui illustrent la construction d'autres archétypes exploités par le fascisme, en Italie comme en Roumanie.

Les inquiétudes exprimées par ces travaux traduisent finalement les évolutions récentes des identités européennes, et les doutes qui les accompagnent.
 
Olympe Lemut
Paris, Juillet 2019
 
 
Circulation(s) au Centquatre (Paris 19) jusqu'au 31 juillet 2019
www.festival-circulations.com

Credits
Home sweet home © Ed Alcock
Right color © Hélène Bellenger
Palimpset © Philippe Braquenier
Good luck © François Burgun
Unwanted © Anna Cherednikova
Post-industrial stories © Iona Cirlig
Non dite che siamo pochi (Do not say we are few) © Umberto Coa
Esercizi obbligatori (Compulsory Exercises) © Marilisa Cosello
#Nextluk © Ivan Da Silva
Butterflies are a sign of a good thing © Ulla Deventer
Diagnosis © Emile Ducke
Chers à canon © Mathieu Farcy
Snapkins © Maksim Finogeev
Preuves d'amour © Camille Gharbi
SICK.Cette sensation de brûlure dans ma gorge, qui revient, mes larmes chaudes sont
tombées sur la rue © Pippa Healy
100 Hectares of Understanding © Jaako Kahilaniemi
The Unlightnment © Luka Khabelashvili
Le soleil des loups © Marine Lanier
Untitled (The asylum seeker) © Caterina Lorenzetti
Unseen sights © Douglas Mandry
Minimal republics © Rubén Martín de Lucas
Fundação lar do emigrante português no mundo (Fondation Foyer de l’Émigré Portugais dans le Monde) 2016-2018 © Nelson Miranda
Family © Margaret Mitchell
Project Iceworm © Anastasia Mityukova
Once Upon the Time © Morvarid K
Für mich. Tu m’as appris à être un papillon dans le seul but de me briser les ailes.© Sina Niemeyer
Frozen waves © Dina Oganova
What Rough Beast, Its Hour Come Round at Last? © Patricia Petersen
Long distance call © Prune Phi
Estonian document © Birgit Püve
Forme et fonction © Chloé Rosser
Los Menomos © Jordi Ruiz Cirera
Subterranean River © Łukasz Rusznica
Ethnographies © Felicia Simion
"I need your help. Florina" © Kateryna Snizhko
Reacknowledged structures: models © Mihai et Horatiu Șovăială
The Splitting of the Chrysalis & the Slow Unfolding of the Wings © Yorgos Yatromanolakis

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